Considéré par beaucoup comme son meilleur album, « Sign O’ The Times » de Prince revient en version augmentée dès le 25 septembre dans les bacs et sur toutes les plateformes digitales disponibles. Chapeautée conjointement par le Prince Estate et Warner Bros. Records, cette édition sans doute quasi définitive terrassera jusqu’au fan le plus aguerri. Vous pensiez tout savoir et tout connaître de cette époque charnière ? Vous n’êtes pas au bout de vos surprises…

 

Lorsque Prince et Jeff Katz se préparent à concevoir la pochette emblématique de « Sign O’ The Times » pour sa sortie en mars 1987, de nombreuses photos sont réalisées à cette occasion. Mais Prince savait-il, consciemment ou non, qu’une de ses épreuves non retenues allait, trente trois ans après sa sortie initiale, servir à illustrer l’édition super deluxe qui nous arrive aujourd’hui tout en nous parlant à ce point ? Car c’est bien en fantôme évanescent, Cloud Guitar en bandoulière et lunettes fixées sur le nez, qu’il nous scrute de toute son aura immatérielle, véritable image iconique issue du passé. Comme si Prince savait déjà qu’en 2020, il nous parlerait de l’au-delà et aurait sa revanche sur l’Histoire. Choix pertinent totalement évocateur, ce premier contact avec l’objet convoité est en soi un acte fort. Heureusement pour nous, si c’est le premier, ce n’en est pas pour autant le dernier et unique.

On ne va pas revenir sur la genèse de « Sign O’ The Times » dont on vous a déjà raconté en détails les coulisses et qui, du split de The Revolution à la sortie effective du double-album dans le commerce, aura connu de nombreux avatars et atermoiements, avant que public et critiques saluent de pair cet éternel chef-d’œuvre discographique.

FOREVER IN MY LIFE

Si « Sign O’ The Times » a acquis cette renommée, c’est sans doute parce que depuis sa sortie l’album est  celui qui représente le mieux la frénésie créative de son auteur, sa propension à définir l’histoire post-moderne de la musique contemporaine tout en n’oubliant jamais les racines de la musique Noire dont Prince est encore à ce jour le plus brillant des héritiers. Pour tout dire, si on doit faire découvrir un album à un auditeur novice en la matière, « Sign… » apparaît bien comme l’œuvre-somme de l’artiste. Cette collection de seize titres résume parfaitement toutes les qualités de son géniteur ;  arrangements novateurs parfois accidentels (le clavier ralenti de « The Ballad Of Dorothy Parker »), production néo-futuriste bâtie sur la programmation éminemment organique des boîtes à rythmes comme l’atteste la vraie fausse batterie de « Play In The Sunshine », fusion des styles musicaux au sein parfois d’un même morceau, et bien évidemment last but not least, sens inné du songwriting ,de la mélodie et de la rythmique.

Enregistré il y a presque 35 ans avec un mix d’origine bien particulier, le disque aura souffert d’une traversée du temps qui l’aura placé comme étant un de ceux dont une remasterisation était définitivement nécessaire. Confiée une nouvelle fois à Bernie Grundman après son remarquable travail effectué sur « 1999 » l’an passé, celle-ci redonne enfin une clarté et une pêche bienvenues à l’ensemble des titres connus, faces B et versions longues incluses. Pas sûr que votre sono se remette aisément de la furie du jam final de la version « hautement explosive » de « La, La, La, He, He, Hee » ou du groove de « It’s Gonna Be A Beautiful Night », des coups de boutoirs de « It » ou des cordes cristallines de Clare Fischer sur « Slow Love ».

Mais pour arriver à synthétiser, conceptualiser et organiser cette portion de l’Histoire Princière, il aura fallu enregistrer à tour de bras, en compagnie ou non de Wendy & Lisa dont ce sont ici les dernières collaborations officielles, percuter tous les genres, dupliquer certains titres en autant de déclinaisons possibles, hésiter entre l’électronique pure et l’instrumentation charnelle, plonger tous types de guitares (saturées, pizzicati, funky, bluesy, etc.) dans des caresses cuivrées signées des omniprésents Eric Leeds et Altanta Bliss.

C’est ce à quoi s’est attaché Michael Howe, archiviste en chef du Prince Estate, en compilant trois CD remplis d’inédits ras la gueule certes, mais avec une vision axée à la fois sur le respect  de la chronologie des enregistrements qui débute en 1979 avec la version originelle de « I Could Never Take The Place Of Your Man » pour s’achever avec un remix jamais sorti de « Strange Relationship » commandé par Prince à Shep Pettibone en 1987 et sur la volonté de cerner parfaitement une période considérée à juste titre comme un véritable Pinacle artistique.

Il en ressort plusieurs évidences, comme cette volonté de placer le groove au-dessus de tout, d’explorer le Gospel et le Jazz à sa manière comme il l’avait fait avec le Rockabilly entre 1981 et 1982, de se renouveler en permanence et dessiner ainsi les prémices du « Black Album » et de « Lovesexy » au moment où l’aventure avec The Revolution s’achève.

POWER FANTASTIC

Les 45 titres inédits studio débutent donc avec « I Could Never Take The Place Of Your Man » enregistré en 1979, au moment où Prince travaille alors sur son deuxième album. Produit et arrangé à la façon de « Why You Wanna Treat Me So Bad ? », c’est également la première fois où on entend Prince ne pas utiliser sa voix de tête. Adepte alors du falsetto, le morceau sonne alors comme une anomalie temporelle  et étonne par la maturité fulgurante de son jeune auteur, capable de signer une mélodie imparable doublée d’une émotion quasi constante. Prince reprendra la chose en 1986 et y accolera ce fameux break final à la guitare qui en fera un de ses plus glorieux hits. Il faut croire que cette première ébauche rentre dans la case des titres dont Prince pensait qu’ils n’étaient pas encore prêt à rencontrer son public.

Déjà diffusé en novembre dernier dans une version antérieure pour les besoins du Super Deluxe de « 1999 », « Teacher, Teacher » bénéficie de nouveaux arrangements marqués par l’influence indéniable de Wendy Melvoin et Lisa Coleman. Touches délicates de sitar, clavecin scintillant, fingercymbals de sortie, finesse absolue des chœurs ramènent la version rock de 1981 vers des rivages plus pop, comme une réminiscence flagrante de ce que le duo avait apporté à Prince pour les besoins de « Around The World In A Day ».

C’est d’ailleurs elles qu’on retrouve encore pour « All My Dreams », highlight historique des éditions pirates, longtemps considéré comme appartenant aux sessions de « Parade » dont on espère d’ailleurs goûter une nouvelle édition Super Deluxe un jour prochain. Évoquant immédiatement l’illustration sonore d’une comédie romantique en noir et blanc des années 1940 (d’où son appartenance à la periode centrée autour de « Under The Cherry Moon »), il n’y a pas d’autre adjectif que celui de délicieux pour décrire ces plus de sept minutes de bonheur sur lesquelles l’ombre des Beatles semble planer. Solaire et hypra-mélodique, « All My Dreams » résume une partie du talent de Prince, capable d’emporter la mise en l’espace de quelques secondes mutines, en ne sacrifiant jamais sa capacité à oser de telles audaces stylistiques.

C’est ensuite à « Can I Play With U ? » de débouler. Morceau phare s’il en est, connu depuis belle lurette là aussi par les adeptes des bootlegs, sa sortie enfin officielle va faire tourner de l’oreille les auditeurs. Le son est absolument dantesque et ne fait que renforcer les trouées de trompette bouchée de Miles Davis, ici présent en special guest de luxe. Déstructuré et syncopé, se finissant sur une partie de guitare affolante, soutenu en arrière par un Eric Leeds visiblement aux anges de partager le sillon avec une de ses idoles, la tornade sonique de ce titre légendaire n’est plus à prouver.

La première vraie surprise du coffret pour ces mêmes adeptes des versions alternatives du marché noir parallèle de l’ombre illégalement obscur viendra de « Wonderful Day » dont la version présentée ici est totalement inédite. Là encore, l’influence de The Revolution est omniprésente et propose enfin le titre finalisé avec une instrumentation riche, et plus du tout cette version décharnée, réduite à sa plus simple expression de squelette rythmique. Bien au contraire ! Peu apprécié par votre serviteur du temps de cette architecture minimaliste, les nouveaux apparats de « Wonderful Day » servent enfin un morceau qui apparaît désormais comme un petit bijou, hit en puissance tel que Prince pouvait les concevoir à l’époque. Malheureusement, la version 12″ Mix également présente renoue avec la version un peu pauvre qui avait précédemment fuitée et ne propose finalement qu’un killer de dance floor certes efficace mais légèrement vain.

La version originale de « Strange Relationship » réserve aussi  quelques surprises, puisque si l’intro (écourtée par rapport à la version pirate) reprend bien la progression au Sitar, elle se finit de manière totalement inédite par un jeu de percussions et de claviers entremêlées qui éveille chez l’auditeur une irrépressible envie de taper du pied  avant de se lever pour déhancher tout son corps.  Dance, dance, dance !

Une petite pause s’impose avec l’un des premiers instrumentaux de ce magnum opus intitulé « Visions », court essai pianistique de Lisa Coleman qui devait ouvrir l’une des configurations prévues de l’album « Dream Factory » avant que cette dernière ne la reprenne à son compte lors de l’édition spéciale du « Eroica » qu’elle sortit avec Wendy en 1990 sous le titre «Minneapolis #1 ».

Longtemps fantasmée en version extended (ce qu’elle n’est pas), « The Ballad Of Dorothy Parker » sous-titrée « with horns » est, comme son nom l’indique, une prise alternative d’un des morceaux les plus aimés des fans qui voit Eric Leeds apporter sa contribution de saxophoniste tout au long du morceau. Si ces ajouts de cuivres sont des plus sympathiques, ils n’apportent pas grand-chose à la grandeur d’un morceau qui n’est plus à démontrer. Tout au plus, le collectionneur compulsif sera heureux de la posséder et montrera surtout l’évolution intellectuelle et artistique d’un Prince souvent frappé au coin du bon sens lorsqu’il s’agissait d’épurer ses chansons pour n’en garder que la substantifique moelle.

S’il y a bien un titre qui a fortement marqué les aficionados des sorties pirates, c’est bien « Witness 4 The Prosecution ». L’ approche hendrixienne de la première mouture, le plaquage parcimonieux des cuivres, les chœurs puissants de Wendy, Lisa et Susannah boostés par une spatialisation à décorner un bœuf, tout concourt à faire de ce premier single un incontournable, tout en se demandant pourquoi Prince ne l’a jamais sorti de son vivant. Sans doute parce qu’il y avait encore matière à triturer le morceau dans tous les sens pour le transformer en une nouvelle version à l’approche totalement opposée. La Version 2, avec son beat roboratif synthétique évoque d’emblée la noirceur poisseuse du « Black Album » (on pense à « Dead On It » ou « Bob George ») et s’érige alors en funk cybernétique monstrueux. Ces deux propositions diamétralement différentes de « Witness 4 The Prosecution », ce sont les deux faces d’un même artiste capable de secouer son précipité afin de devenir le Docteur Prince et Mister Nelson de son époque.

Introduit par un long speech de Prince qui donne des indications précises aux membres de The Revolution se trouvant à différents étages du studio d’enregistrement, début jazz rock démarrant sur les notes de piano de Lisa pour laisser toute sa place à une discussion dissonante entre la trompette d’Atlanta Bliss, la flûte traversière d’Eric Leeds et la batterie de Bobby Z, c’est ainsi que démarre « Power Fantastic (Live In Studio) ».  Après ce passage quasi expérimental, le titre débouche alors sur une version très proche de celle diffusée en 1993 sur la compilation « The Hits / The B. Sides » où Prince délivre une performance vocale totalement habitée. Frissons !

Parfaitement placé à ce moment de l’exploration du coffret, « Power Fantastic » permet de mettre en lumière l’approche jazz de Prince, approche qu’il développera de manière plus conséquente avec les albums « 8 » et « 16 » de Madhouse ou le projet avorté de « The Flesh ». « And That Says What ? », « It Ain’t Over Until The Fat Lady Sings » (sur le deuxième CD consacré aux inédits) ou la présence de la version live de « Four » de Madhouse sont symptomatiques de toutes ces tentatives instrumentales jazz que Prince a parsemé tout au long de sa carrière, que ce soit pour l’album de « The Family » ou la période 2002/2003.

Retour au funk rock avec le totalement exclusif « Love And Sex » qui n’a de commun avec l’inédit présent sur l’édition Deluxe de « Purple Rain » que le titre. Enregistré en mars 1986 et initialement prévu pour le troisième album de Sheila E, celui-ci souffre des mêmes maux que son homonyme créé en février 1984. Comme son prédécesseur, le titre n’est pas mauvais en soi mais semble légèrement tourner à vide, comme si Prince était en quête d’une étincelle qui ferait définitivement décoller le morceau, en vain et ce malgré une belle guitare omniprésente.

Décliné en pas moins de trois versions, « A Place In Heaven » est également un morceau bien connu des fans hardcore. Ballade beatlesienne à la sauce princière, marquée au fer rouge par les harmonies si chères à Wendy & Lisa, une nouvelle fois elle ne surprendra pas  les adeptes du marché pirate, si ce n’est la version à l’envers présentée ici dans sa version intégrale inédite, une version que n’aurait certes pas renié un certain David Lynch, mais qui apparait quand même comme légèrement dispensable au regard de la collection globale proposée. Assez curieusement, on peut élire la version chantée par Lisa comme étant supérieure à celle interprétée par Prince, tellement le mixage rend prégnant la présence vocale de la claviériste. C’est bien simple, on a l’impression, façon chair de poule, qu’elle chante dans votre salon à dix centimètres de vos oreilles. Impressionnant !

S’ensuit « Colors », un nouvel inédit instrumental à la guitare très court et assez anecdotique d’un peu plus d’une minute signé Wendy Melvoin qui devait servir d’interlude musical au projet « Dream Factory » pour céder ensuite sa place au 7″ Mix de « Crystal Ball » dont on se demande également pourquoi cette version écourtée se devait d’être présente si ce n’est pour marquer le coup et ne pas oublier un incontournable de la période dont la quintessence se trouve bien dans sa version intégrale de plus de dix minutes.

Après ce léger passage à vide, notre attention est de nouveau convoquée avec « Big Tall Wall » présenté dans deux versions dont une était déjà connue mais qui bénéficie d’un habillage sonore de restauration qui rend enfin justice au morceau. Cependant la version 1 totalement inédite lui est éminemment supérieure, ne serait-ce que dans sa présentation up tempo ou dans son instrumentation qui rend totalement accro dès les toutes premières minutes, comme à l’image de la version finalisée de « Wonderful Day ».

Le premier CD d’inédits s’achève avec la version originale, largement diffusée en édition pirate, de « In A Large Room With No Light » dont Prince avait proposé une version réarrangée en 2009 à l’occasion de ses shows de Montreux.

CRUCIAL

Le deuxième CD d’inédits issus du Vault débute avec « Train » que Prince avait donné à Mavis Staples pour l’album « Time Waits For No One » (best production ever du label Paisley Park avec le disque de Jill Jones). La version de Prince est identique à celle circulant sous le manteau depuis plusieurs années et souffre quand même un poil de sa comparaison avec l’interprétation sans failles et rutilante délivrée par Mavis deux ans plus tard. C’est surtout l’occasion pour l’auditeur de commencer à visiter la partie « gospelisante » de Prince qui plane sur une grande partie des inédits.

Connue jusqu’à présent dans sa version intégralement chantée par Wendy, « Eggplant » renoue une nouvelle fois avec les accents les plus pop de Prince. Cette chanson n’aurait pas dépareiller, que ce soit sur « Around The World In A Day », « Parade » ou sur une des faces B de l’époque, même si elle n’arrive jamais vraiment à atteindre la qualité intrinsèque des plus brillants classiques de l’époque. Cependant, la guitare rythmique de mi-parcours permet de lui faire gagner quelques galons supplémentaires et l’envie d’y revenir assez régulièrement.

« Everybody Want What They Don’t Got » permet de poursuivre provisoirement cette veine pop tout en confirmant ses influences évidentes envers les Fab Four de Liverpool, trop souvent ignorées ou minorées par les « spécialistes ». Prince avait en commun avec John, Paul, George et Ringo non seulement un sens immédiat de la mélodie mais également cette science si particulière des arrangements, sans parler de sonorités troublantes comme l’attestent des titres comme « Paisley Park » ou « Do U Lie ? ». Ici, on regrettera juste la brièveté de la démonstration, dépassant à peine les deux minutes.

Sorti de nulle part, inconnu jusqu’à ce jour, « Blanche » est un blues rock somptueux qui swingue du feu de Dieu, rappelant dans l’esprit des titres comme « Calhoun Square » ou « Zannalee », avec un Prince goguenard, en pleine démonstration crasse de ses super-pouvoirs de guitar hero. Assurément un des sommets de cette liste d’inédits !

Vous vous souvenez de « Cloreen Bacon Skin » sur le « Crystal Ball » de 1998, ou bien encore de « Purple Music » sur l’édition Super Deluxe de « 1999 », de leurs longueurs déraisonnables bien que symptomatiques lorsqu’il s’agit d’amener à la transe, portés avec fierté comme si la répétition rythmique et métronomique menaient à une sorte d’élévation spirituelle ainsi qu’une irrépressible envie de rejoindre la piste de danse ? La version 2020 se nomme « Soul Psychodelicide », soit un peu moins de treize minutes de Jam funky, véritable boucle diabolique enfermée sur elle-même, cherchant le point nodal de la jouissance et donc de la délivrance, surtout pour un groupe qui doit coûte que coûte tenir la note sur la durée sous l’œil sadique d’un Prince chef-d’orchestre fier de convoquer le pouvoir hypnotique de sa musique. On en ressort volontiers KO tout en saluant la performance car c’en est bien une !

Encore sonné et hagard, ding dong c’est « The Ball » qui sonne à la porte, présenté enfin dans une version sonore digne de ce nom. L’ébauche du « I Know » de « Lovesexy », rare dernier vestige du « Crystal Ball » originel à n’avoir jamais été publié officiellement, décline une nouvelle fois la vibe la plus funk de Prince. Clap your hands, stomp your feet !

Le sans fautes se poursuit de plus belle avec « Adonis & Batsheba » dont les accents mélodiques ne sont pas sans rappeler les circonvolutions de « Power Fantastic » ou « Pink Cashmere », délivrant en permanence une richesse musicale absolue et, cerise sur cette pièce montée menaçant de s’effondrer à tout moment, se finissant dans un solo de guitare d’anthologie.

Prise alternative à la version studio finale, « Forever In My Life (Early Vocal Run-Through) » est également un autre grand moment. Cette version hybride, partagée entre une première partie en mode country/folk et une deuxième renouant avec les accents les plus gospel de la version live,  éclaire une nouvelle fois la manière passionnante dont Prince appréhendait ses chansons et sa capacité à explorer le chemin des possibles avant publication définitive.

Ces variations permanentes qui peuvent apparaitre comme de fausses hésitations sont omniprésentes lorsqu’on passe dans les coulisses de la création princière. « Crucial (Alternative Lyrics Version) » n’échappe pas à cette règle. Reprenant l’instrumentation originelle, Prince y appose de toutes nouvelles paroles qui n’ont rien à voir avec la version publiée officiellement en 1998. Cette prise totalement inconnue jusqu’ici, en plus de bénéficier d’une fin non shuntée laissant ainsi l’intégralité du solo final, contient également quelques parties de cordes de Clare Fischer disséminées en bout de course.

Disponible depuis peu en version pirate, « The Cocoa Boys » baptisé jusqu’alors « Coco Boys », va également créer sa petite surprise puisqu’il s’agit de la version finalisée avec riffs de cuivres en lieu et place de la voix témoin de Prince. Fort de cet apport non négligeable, le morceau se finit une nouvelle fois dans un raout funky en fusion qui ferait danser n’importe quel neurasthénique.

Afin sans doute de nous ménager pour la dernière ligne droite de cette édition pantagruélique, le deuxième disque d’inédits s’achève en douceur avec « When The Dawn Of The Morning Comes », nouvelle tentative de Gospel à la sauce Roger Nelson de Minneapolis couché sur une rythmique qui n’est pas sans rappeler celle du piteux « Hypnoparadise » millésimé 2004. Il faudra atteindre les tous derniers instants du titre pour se montrer légèrement indulgent et être (un peu) emballé par le bouzin.

Enfin « It Be’s Like That Sometimes » propose une catchy song dont Prince avait le secret et dont on peut penser qu’il ne savait pas trop quoi en faire. Il n’empêche, en trois minutes et dix neuf secondes montre en main, l’homme savait comment trousser des ritournelles immédiatement addictives sans pour autant atteindre les sommets que sa notoriété semblait lui demander en permanence. Sur un album, on appelle ça un filler mais de qualité !

REBIRTH OF THE FLESH

Le troisième et dernier CD d’inédits studio débute avec « Emotional Pump » que Prince avait pensé vouloir donner un temps à Joni Mitchell, et on se demande bien pourquoi à l’écoute, tellement la chanteuse se serait retrouvée en terrain totalement étranger avec cette funk song typique du son de Prince.

Quoiqu’il en soit, cet inoffensif mais toutefois plaisant amuse-bouche va très vite laisser sa place à « Rebirth Of The Flesh », mythique morceau que le grand public va enfin découvrir dans toute sa fulgurance. Pensé initialement pour faire l’ouverture à la fois de l’album « Camille » et celle du « Crystal Ball » de 1987, le titre laisse toujours aussi pantois tant il semble sortir d’ailleurs avec sa voix trafiquée, sa boîte à rythmes perforatrice, ses riffs incisifs de guitare et sa hargne jubilatoire. Un must have, comme on dit !

On reste avec le personnage de Camille pour « Cosmic Day » dont la deuxième moitié n’avait jamais fuité sur le marché parallèle. Troisième single officiel de cette édition Super Deluxe, pop song à la voix encore plus pitchée que d’habitude, le titre n’arrive finalement à convaincre qu’une fois la six cordes de sortie, celle-ci permettant à Prince de décocher trois soli homériques dont il avait le secret. Dans le genre sucrerie funky Made In Minneapolis, on peut aisément lui préférer un « Good Love » ou un « Feel U Up ».

Avant-dernière itération gospel de cette configuration augmentée, « Walkin’ In Glory » est une totale réussite et transforme l’essai quelque peu raté de « When The Dawn Of The Morning Comes » vu plus haut, ne serait-ce que par son approche organique de l’instrumentation. Piano, orgue, cuivres, guitares hurlantes ou cocottes funky, démultiplication de la voix princière afin de recréer de toutes pièces un chœur évangélique au complet ont qu’on a déjà envie de crier au fou ! Mais quand le morceau s’emballe très vite en mode surchauffe, tout en se terminant sur les citations déchainées de « 2 Nigs United 4 West Compton » (parfaitement !), on est au bord de l’apoplexie totale, terminale et définitive. Si « Blanche » est un sommet, celui-ci est son pic jumeau. Soyez prévenus !

Une chose semble certaine, nous ne connaitrons jamais cette historique première version de « Wally » enregistrée puis effacée par Prince dont la légende, rapportée par la fidèle Susan Rogers, voulait qu’il s’agisse du plus beau morceau  jamais écrit par le Kid de Minneapolis, au sens le plus émotionnel du terme. Le lendemain, toujours selon la légende (qui est parfois bien plus belle que la vérité comme chacun sait), Prince réenregistre une nouvelle version qui va faire les choux gras des collectionneurs, avant d’apparaitre sur la Toile avec un son bien dégradé pour ne pas dire proprement dégueulasse. C’est donc cette fameuse deuxième prise qui nous arrive ici et si le titre est effectivement digne d’intérêt, autant dans sa construction bancale que dans sa volonté à créer un lien émotionnel avec une histoire passée douloureuse, le tout se finissant souvent chez Prince dans un solo de guitare en mode maelstrom qui détruit tout sur son passage, force est de constater que sa légende est effectivement bien plus belle que sa véritable nature. A vous de vérifier le niveau de hype !

Suite à cette demi-déception, une triplette de petits hits en puissance va défiler ; que ce soit « I Need A Man » écrit pour Bonnie Raitt avec son mantra percus / cuivres ultra dansant, le groovy « Promise To Be True » proposant en outro la dernière marque gospel du lot ou bien « Jealous Girl » et sa coolitude californienne assumée, on prend plaisir à entendre ce Prince là, dernier faiseur de tubes qui s’ignorent, troussés à la perfection et sans aucune faute de goût.

Quant à « There’s Something I Like About Being Your Fool » et son flow reggae, après quelques secondes d’incrédulité, force est de constater que Prince tire largement son épingle du jeu, grâce notamment à la trompette bouchée d’Atlanta Bliss et un solo de guitare particulièrement inspiré pas piqué des hannetons.

On ferme le rideau avec le remix jamais entendu de « Strange Relationship » réalisé par Shep Pettibone, déjà responsable de la version extended de « Hot Thing » également présente sur le CD consacré aux faces B, versions longues et remixes. Véritable machine dansante à remonter le temps, celui où on se rendait en discothèque pour se secouer la couenne sur les versions longues de « Kiss » ou « U Got The Look », il est un parfait épilogue qui amène tout naturellement aux enregistrements live audio et vidéo qui vont suivre. Avec sa fin tout en nappes de claviers et piano honkytonk, celui-ci nous rappelle surtout ce temps béni où le staff princier, pour nous faire patienter de l’attente d’avant-concert, nous balançait à fond les ballons ce type de surprises dans les enceintes de la salle.

PLAY IN THE SUNSHINE

Il existera toujours des discussions pour savoir pourquoi tel concert et pas tel autre, pourquoi telle date et pas celle-ci, pourquoi un main show plutôt qu’un aftershow. Qu’est-ce qui fait qu’on puisse décider à la place de Prince surtout quand on a eu la chance de vivre la chose en vrai et que, forcément, on aurait envie de réentendre cet instant où on y était. C’est donc le concert d’Utrecht du 20 juin 1987 que l’Estate a choisi pour rendre hommage à la tournée « Sign O’ The Times » qui, rappelons-le une énième fois, est non seulement l’une des plus folles et des plus belles de l’histoire de Prince mais également de l’Histoire tout court.

Commençons par les choses qui fâchent et déplorons quand même l’aspect quelque peu aseptisé de cet enregistrement en Stade où comble de l’ironie, le public semble bien en retrait pour ne pas dire inexistant. On a parfois l’impression d’écouter un filage privé du spectacle, et les hurlements, hourras, sifflements et autres manifestations d’un public en transe manquent pour le coup cruellement à l’appel. Non pas que les Hollandais soient des pisse-froids de première catégorie, loin s’en faut lorsqu’il s’agit de Prince, mais l’enregistrement brut directement pris sur console ne donne pas vraiment une idée du niveau de frénésie qui empara toute la population européenne ces plusieurs jours de printemps 1987.

Pour le reste, aucune surprise pour ceux qui auront vécu la chose ou qui se seront cramé la cervelle à coups de DVD du film éponyme. Toutes les versions de l’album revisitées en live valent leur pesant de cacahuètes, et pour celles et ceux qui seraient en parfait terrain inconnu, autant vous le dire clairement, ça va être compliqué de vous en remettre. Que ce soit « Sign O’ The Times » et sa guitare hurlante extradimensionnelle, la syncope perpétuelle de « Housequake », la furia de « I Could Never Take The Place Of Your Man », la lubricité salace et permanente de « Hot Thing », les hoquets cuivrés de « Girls And Boys », la sensualité déliquescente de « If I Was Your Girlfriend », la fiesta funk de « It’s Gonna Be A Beautiful Night », la claque à double effet kiss cool de « Forever In My Life » ou bien la force tellurique convoquée sur « The Cross », peu de chances pour ne pas dire aucune pour que vous puissiez vivre ça ailleurs avec un autre artiste. C’est beaucoup trop haut, trop fort, trop génial, et surtout trop pas de ce monde. C’est comme ça, vous n’avez que vos yeux pour pleurer et vos oreilles pour essayer de comprendre pourquoi et comment. Bonne chance !

Et si ça ne suffisait pas, l’Estate vous assène le coup de grâce fatal. 2h15 d’un concert filmé à Paisley Park le soir du 31 décembre 1987, alors que Prince rêve déjà de fondu au noir et de pistils turgescents. Pour faire bonne mesure et rendre grâce à son public américain qui n’aura pas eu la chance de voir la tournée passer par chez elle, Prince délivre un show impeccable où même Miles Davis vient faire un petit coucou. Grands écarts, grimaces, classe permanente, dextérité musicale des plus énervantes, glissades et arrachage de jupe entre les dents, le fan heureux va enfin pouvoir découvrir l’intégralité du show jusqu’alors partiellement disponible dans une qualité douteuse. Merci l’Estate !

Voilà, c’était Prince version 1987. Au-dessus de tout le monde. Loin, si loin. Engorgé d’un trop plein créatif qu’il n’aura jamais essayé de contenir mais pourtant castré à plusieurs reprises, que ce soit par Warner avec « Crystal Ball » ou par lui-même avec le « Black Album ». C’était Prince version 1987, celui qui se cachait derrière Madhouse ou Jill Jones. C’était Prince version 1987, sorcier des studios, musicien illuminé par son inspiration sans fin, magnifié par une direction artistique unique où scénographie, fringues, clips et film restent trente trois ans plus tard d’un visionnaire absolu.

Les fans vont encore sortir les mouchoirs, les autres ne s’en relèveront peut-être pas, mais tout le monde sera encore une fois en mode totalement halluciné. Et c’est tant mieux !

Sign O’ The Times Super Deluxe Edition (NPG / Warner ), disponible le 25 septembre 2020.

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