Le 15 juin prochain sort « Prince and the Parade and Sign O’ The Times Era Studio Sessions », le livre de Duane Tudahl centré sur les années 1985 et 1986 de Prince. Schkopi.com a pu le lire et vous donne les premiers détails. Notez que cet article n’est en aucun cas un résumé de cet ouvrage de plus de 600 pages. Il relate juste quelques-uns des points saillants du contenu (notamment pour les non-anglophones, vu qu’aucune traduction n’est prévue) et évite de le spoiler. Les sujets abordés dans « Prince and the Parade and Sign O’ The Times Era Studio Sessions » sont beaucoup plus nombreux et détaillés. Le livre est disponible en précommande sur les sites habituels. Le premier chapitre (janvier 85) peut être téléchargé gratuitement sur le site crée pour l’occasion (duanetudahl.com/free-chapter).
L’auteur
Cette suite logique et attendue de « Prince and the Purple Rain Era Studio Sessions: 1983 and 1984 » paru en 2017 (réédité et augmenté en 2018) s’impose d’emblée comme LE livre de référence pour quiconque s’intéresserait à Prince et à cette période charnière de sa carrière. Beaucoup croient tout savoir sur cette période tant la documentation est abondante (nombreux ouvrages, magazines, sites spécialisés, interviews, forums, podcasts….). Une grande partie des connaissances que nous avons sur cette période se base sur les travaux menés entre la fin des années 80 et le début des années 2000 par l’équipe du fanzine d’Uptown, des fans passionnés et rigoureux qui ont été les premiers à interviewer les personnes de l’ombre comme Susan Rogers. Le nom le plus connu de cette équipe était Per Nilsen (Suédois), qui a sorti sous son nom des livres de référence (« A Documentary », et « Dance Music Sex Romance »). Mais ce n’était que l’arbre qui cachait la forêt. Il travaillait avec JooZt Mattheij (Néerlandais), aujourd’hui à la tête de Princevault.com et Duane Tudahl (Américain), pour ne citer qu’eux. Cette équipe a rédigé l’encyclopédie « The Vault », sorti en 2004. Leur travail rigoureux a permis d’enrichir nos connaissances sur l’histoire de Prince, de ses albums, ses chansons, l’artiste et l’homme. Chacun de leurs ouvrages ou publications font autorité. Ceux de Duane ne font pas exception et sont dans la droite lignée des précédents.
Les objectifs pour ce livre sont les mêmes que pour le premier volume : raconter la carrière de Prince, l’homme mais surtout l’artiste, ce qu’il était au quotidien en allant plus loin que tout ce qui a été écrit sur cette période auparavant et sans détails salaces sur sa vie privée. La majorité des biographies parlent de Prince « la superstar » et relatent les ‘quoi, où et quand?’. Ici, comme avec son livre précédent, Duane parle de Prince « l’homme », « l’artiste » et « la superstar » en répondant aux questions ‘avec qui?’, ‘pourquoi?’ et ‘comment?’. Pour cela, il s’est basé sur l’œuvre de Prince évidemment, les paroles de ses chansons (il disait souvent que tout était dans sa musique), ses interviews, mais aussi sur les propos de son entourage de l’époque, ceux qui étaient en permanence à ses cotés pour raconter et tenter d’expliquer l’homme qu’il était. Cela permet aussi d’avoir un autre regard sur certaines chansons et d’en avoir une autre appréciation.
La méthode est la même : s’assurer de la fiabilité des informations, vérifier les sources et les corroborer et juste ce qu’il faut dans le sens de la précision. Pour cela, Duane a conduit des interviews pour recueillir des informations de première main. Lorsqu’il n’a pas pu avoir certaines personnes (comme Sheila E.), il s’est appuyé sur leurs interviews et autres publications. Les notes de studio, magazines et livres d’époques ou plus récents, interviews accordées à d’autres auteurs….tout a été épluché par Duane pendant 2 ans pour fournir une restitution la plus fidèle possible de ce qu’était Prince durant ces années-là (en 200 000 mots maximum – contrainte de l’éditeur avec laquelle il a eu du mal à s’accommoder). Un des risques à éviter : tomber dans le piège des musiciens qui veulent tirer la couverture vers eux depuis le décès de Prince en s’attribuant des faits de gloire.
L’homme et l’artiste
Autre risque : décrire un Prince loin de la réalité dépeinte depuis plus de 30 ans. Les esprits chagrins pourraient être heurtés par certaines vérités déjà bien connues et relatées depuis une trentaine d’années sur le caractère « particulier » de Prince et la façon dont il traite son entourage. Depuis 2016, pour beaucoup de fans, « His Royal Badness » est devenu « His Royal Goodness » ou un ange sur Terre incapable de faire le moindre mal à quiconque. Michael B. Nelson, trompettiste des NPG Hornz à partir de 1992, a raconté combien c’était dur d’être dans le groupe de Prince et de travailler avec lui au quotidien à son époque. Mais après avoir discuté avec les musiciens de ses groupes précédents et ceux qui ont suivi, il dit que Prince était encore plus dur avec The Revolution et de plus en plus souple avec les suivants. En d’autres termes, plus Prince avançait dans sa carrière, plus il devenait cool avec ses musiciens (voire très indulgent diront les mauvaises langues à propos de 3rd Eye Girl).
Entré dans la légende
« Prince and the Parade and Sign O’ The Times Era Studio Sessions » parle donc du Prince de ces années 1985 et 1986, avec The Revolution. Comme tout au long de sa carrière, Prince s’est donné à fond pour son art et en attendait autant de son entourage. Il voulait que ses musiciens soient pleinement disponibles, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, tout au long de l’année, même en période d’anniversaires, Thanksgiving, Noël et Nouvel An, leur accordant peu de répits. Tout pouvait être source d’inspiration (un album d’un autre artiste, un film, un tremblement de terre, un article qui lui déplait, une relation de passage, un anniversaire, une dispute, le contenu d’un sac à main….) ou de découvertes (si la Linn Drum était son jouet préféré dans les années 82/84, le synthétiseur/échantillonneur Fairlight CMI deviendra un de ses instruments de prédilection à partir de 85) et prétexte à création et d’expression artistique. Un exemple: le jour des festivités prévues pour célébrer le mariage de Bobby Z. (et Vicki), Prince s’était une nouvelle fois disputé avec Susannah. Tout le monde étant présent ce soir-là, il convoque le groupe juste après la fête pour enregistrer une chanson, certes magnifique, mais déprimante sur cette dispute! Quelques temps plus tard, il enregistrera un titre (toujours inédit) rendant hommage à Bobby Z. et Vicki qui symbolisait une sorte de couple parfait.
Même ses propres moments de détente étaient exploités pour son œuvre. Quelques illustrations :
– Après le « Purple Rain Tour », Alan Leeds organise une escapade de quelques jours au Brésil pour Prince. Après une journée à la plage, Prince demande à Leeds ce qui est prévu pour la journée suivante. Leeds propose une nouvelle journée de détente à la plage. Réponse de Prince : « On a déjà fait ça hier. On rentre ». Pendant ce cours voyage, une fan lui a transmis une lettre dans laquelle elle lui fait part de son amour et son admiration. Le message était rédigé avec un anglais approximatif, ce qui a suscité quelques moqueries de la part de l’entourage. Prince a décidé de faire, à partir de cette lettre, une chanson délicate que les fans connaissent bien.
– En juin 85, Prince passe quelques jours à Paris. Entre visites de la capitale et ballades en scooter, il fait le casting d’ « Under The Cherry Moon » et écrit des chansons qu’il enregistrera plus tard (« Girls And Boys », « Love Or Money », « Alexa De Paris » – on en apprend d’ailleurs un peu plus à propos d’Alexa Fioroni qui a inspiré ce titre et qui n’était pas qu’une simple danseuse dans le film) et quelques autres qui seront publiées sous « Parisongs » et non « Controversy Music ».
L’ouvrage précédent a décrit les multiples facettes de l’artiste, ses relations complexes teintées de respect et de défiance avec les membres de The Time (en particulier avec Morris Day et Jesse Johnson), l’esprit de compétition qu’il a instauré de facto, son caractère lunatique et autoritaire mais aussi et surtout son processus créatif, ses sources d’inspiration et les détails de chacune des sessions d’enregistrement. Autour de 230 sessions ont été documentées entre 1983 et 1984, années durant lesquelles il a évolué en offrant d’une part une marge de manœuvre à Wendy & Lisa pour les laisser s’exprimer musicalement et enrichir ses créations et en passant du statut de star à celui de SUPERSTAR d’autre part. Le Prince décrit dans ce nouveau livre est donc celui qui, à 26 ans, est une superstar à 360 degrés : albums, singles, film, productions, tournée, récompenses, reconnaissance de ses pairs – tout lui réussit. Avec cela viennent l’argent à flot, les filles et de nouveaux amis. Est-ce que cela le rend heureux ? Non. Il se demande « Ca va être ça ma vie maintenant ? ». En ce début d’année 85, il en est seulement au premier tiers de la tournée monumentale qui traverse les Etats-Unis, mais il s’ennuie déjà et veut passer à autre chose. N’importe quelle autre star de cette stature profiterait de ces succès, se reposerait sur ses lauriers et mettrait un ou deux ans avant de commencer à concevoir un autre album. Pas lui. La moitié de son futur opus, « Around The World In A Day » était déjà prêt avant même que ne sorte « Purple Rain ». « Around The World In A Day » sort 2 semaines après la fin du « Purple Rain Tour », et fidèle à son rythme, l’album qu’il prévoit de sortir l’année suivante est déjà bien avancé.
320 sessions
Près de 320 sessions sont recensées pour les années 85/86 avec des projets multiples : « Parade », le score d’ « Under The Cherry Moon », les albums de Jill Jones, Mazarati, deux albums pour Sheila E. (Romance 1600 enregistré en quasiment un mois début 85, et le troisième enregistré principalement en 86), « The Flesh », « 8 » de Madhouse (mis en boite en moins de 5 jours), « Dream Factory » et « Camille » qui évolueront vers « Crystal Ball » puis « Sign O’ The Times », des chansons pour le film « The Dawn », les premières graines du futur « Black Album », sans parler des faces B, remixes pour lui ou ses artistes (Sheila E., Madhouse….), titres offerts à qui veut ou demande (Bangles, Deborah Allen, Joni Mitchell, Taja Sevelle….), des morceaux sans objectif précis, des instrumentaux sans nom et des mixes à l’infini.
Prince n’a pas participé à la totalité de ces 320 sessions qui pouvaient se dérouler dans plusieurs studios en même temps (au Sunset Sound même, au Studio Complex à Los Angeles, ou chez lui – Paisley Park n’étant pas encore construit) et au cours desquelles entre 1 et 5 chansons pouvaient être créées ou retravaillées. A partir de 1984, il a appris à déléguer et confier ses « enfants » à Wendy, Lisa, Sheila E. Eric Leeds, David Z. et ingénieurs, parfois en donnant des consignes bien précises ou en les laissant faire ce qu’ils/elles voulaient. Chacune des sessions faisait l’objet d’au moins une copie cassette (y compris, voire surtout celles où il n’était pas présent lorsqu’il demandait à ce que des mixes soient refaits). Pourquoi ? Les conditions d’écoute dans un studio professionnel sont optimales, avec du matériel et des enceintes haut de gamme. Prince demandait ces cassettes pour les réécouter dans sa voiture et s’assurer que tel ou tel élément dans tel ou tel titre était perceptible et que le rendu correspondait à ce qu’il souhaitait avec des conditions d’écoute inférieures et plus communes. Cela en dit long sur le travail qu’a dû entreprendre l’Estate pour récupérer toutes ces bandes et y desceller les différences parfois minimes. Parfois, Prince perdait ces cassettes ou les donnaient à ses musiciens ou entourage. Cela explique aussi la vaste disponibilité sur bootlegs et le net des chansons de cette période et les multiples versions de certains titres avec des différences mineures dans le mix (exemple avec le ‘medley’ « Girl O’ My Dreams » / « Can’t Stop This Feeling I Got » / « We Can Funk »). Lorsqu’il faisait ou faisait faire des mixes instrumentaux de certaines chansons, c’est souvent parce qu’il envisageait de les donner à d’autres artistes. Une fois que les titres d’un album étaient sélectionnés et l’ordre défini, il fallait refaire des mixes en raccourcissant ou allongeant des titres pour que l’album fasse entre 35 et 45 minutes, en tenant compte des contraintes des supports physiques de l’époque (vinyles et cassettes) et faire des faces avec des durées équilibrées.
« Just do it »
Wendy, Lisa, Sheila E., Eric Leeds et Atlanta Bliss étaient donc les musiciens sur lesquels Prince se reposait de plus en plus pour travailler sur des nouveaux titres et vu qu’il considérait que tous ses « enfants avaient besoin d’une vie » (propos rapporté par Susannah), il leur demandait aussi de mettre à jour d’anciennes compositions restées inédites. Pour les anciens titres, Prince a confié à Wendy & Lisa le soin d’enrichir des morceaux de 82-83 comme « Teacher, Teacher », « Strange Relationship » et « Wonderful Ass » (dont il voulait faire une face B). Il demandait aussi à ces ingénieurs de faire des nouveaux mixes de chansons comme « Electric Intercourse ». On découvre aussi avec ce livre qu’un de ces vieux titres revisités par Prince était en fait une chanson prévue pour Vanity 6 qu’il a fini par sortir en face B (nous ne donnerons pas le nom de la chanson en question – et non, il ne s’agit pas de 17 Days – pour ne pas spoiler, mais à la réécoute cela devient évident). Il n’y avait évidemment pas que des chefs d’œuvre dans tout ce lot de morceaux, et les musiciens n’étaient pas forcément enthousiastes sur chaque titre. Dans une interview (non-retranscrite dans le livre), Eric Leeds raconte qu’il avait fait une remarque de ce type à Prince à propos d’une chanson. Prince lui a répondu « je ne te paies pas pour que tu aimes ma musique, mais pour que tu joues ma musique ». Lorsqu’il a demandé à Wendy d’ajouter sa voix sur « Eggplant », celle-ci a émis des réserves sur la qualité de la chanson. Elle a eu comme simple et ferme réponse « Fais-le, c’est tout». Et bien sûr, il y avait des bijoux, beaucoup plus nombreux, à propos desquels tout le monde était d’accord et qui les rendent fiers d’avoir collaboré avec lui et leur donne le sentiment d’avoir fait partie de quelque chose d’énorme, plus grand qu’eux. Malgré les hauts et les bas, ils restent encore aujourd’hui fascinés par le personnage, son talent et sa force de travail. Ce privilège d’être aux premières loges pour voir cet artiste si particulier et aussi talentueux est résumé ainsi par Susan Rogers : « J’étais avec lui pendant plus de quatre ans et chaque jour avec chaque nouvelle chanson j’ai eu ce sentiment de gratitude et d’étonnement et l’excitation à chaque fois. Je ne sais pas si j’étais facilement impressionnable – peut-être aussi – mais ce mec était tellement génial qu’à chaque fois qu’il faisait quelque chose de nouveau, je pensais que cela pouvait être la plus grande chose qu’il ait jamais faite ». Ils ont été les premiers témoins des moments de grâce enregistrés seul (« Sign O’ The Times », « Joy In Repetition », « Forever In My Life » pour n’en citer que quelques-uns) ou en groupe (« Sometimes It Snows In April » et « Power Fantastic »).
Même s’il laissait une certaine latitude à ses associés pour les embellissements et arrangements, il reste le seul décisionnaire et impose ses choix. Il pouvait ne pas tenir compte du travail réalisé, le conserver, demander à ce que cela soit refait, ou le réutiliser sur un autre morceau plus tard. Prince utilisait aussi les nombreuses copies cassettes évoquées plus haut pour faire des ballades en voiture avec ses gardes du corps, managers ou amis pour guetter les réactions, avoir un avis sur une nouvelle chanson, les enchainements etc….Mais personne ne sait vraiment si ces avis étaient pris en compte, tant le personnage pouvait lui-même changer d’avis en deux secondes. Il est donc difficile, voire impossible, de savoir à quel degré Prince tenait compte des avis de son entourage. Il avait du mal à remettre publiquement en cause son propre travail, il estimait que « si quelque chose était nul, ce n’était pas de sa responsabilité » (dixit Susannah).
Songs girls in the band wrote….
Il n’était pas totalement fermé pour autant aux propositions musicales de son entourage. Ce qui se dessine à la fin du film « Purple Rain », à savoir qu’il chante une composition de Wendy & Lisa (dans le film uniquement rappelons-le) prend forme dans la vraie vie. « Mountains » était à la base un instrumental composé par Lisa lorsqu’elle avait 13 ans et qu’elle a réenregistré avec Wendy un jour où Prince n’était pas là. Même chose pour leur instrumental « Carousel » auquel Prince a ajouté des paroles pour en faire « Power Fantastic ». Ces chansons seront bien publiées officiellement, mais pas forcément avec les crédits qui vont avec, ce qui sera source de tensions. Des idées pouvaient aussi émerger lors des nombreux jams improvisés, qui étaient systématiquement enregistrés et réécoutés. Mais les idées lors de ces moments pouvant venir de n’importe qui, n’importe quand, il était encore plus facile d’oublier la paternité de telle ou telle ligne de basse ou de synthés et ne pas la créditer à qui de droit une fois le morceau sorti (cf. « Data Bank »).
La collaboration avec Clare Fischer est également renforcée à cette période. Prince lui envoie une multitude de chansons (prévues pour « Parade », l’album de Jill Jones, « Dream Factory »…) pour qu’il y ajoute des parties de cordes. Comme pour les ajouts de Wendy, Lisa et Eric, certaines contributions de Fischer seront conservées, d’autres non et quelques-unes réutilisées pour d’autres morceaux.
Eric Leeds était l’autre musicien que Prince sollicitait très souvent, au point qu’il n’était plus capable de saisir au vol les opportunités pour se reposer : « Nous avions travaillé sans cesse pendant une semaine et demie, puis, tout à coup, je n’ai pas reçu d’appel de Prince pendant un jour. Je suis dans un hôtel à Los Angeles, j’ai appelé le studio pour demander où était Prince. On m’a répondu qu’il était rentré chez lui. Je l’ai alors appelé – à l’époque, nous avions tous son numéro de téléphone – pour le questionner. Il a dit qu’il était rentré chez lui et me demande:
– «Et toi, tu es où»,
– «Je suis toujours à Los Angeles, je peux partir ?»
Et il a dit: «Oh merde, tu es toujours là-bas? Reste. Je reviendrai demain. »
Je me suis dit: « Oh putain. »
En écoutant « Adore », une de ses plus belles et romantiques chansons, il faut aussi imaginer Eric Leeds et Atlanta Bliss contrariés d’avoir été appelés en urgence à prendre un avion pour rejoindre Prince alors qu’ils espéraient passer la semaine de Thanksgiving en famille.
Love Or Money
Sur la disponibilité de ses musiciens, Jill Jones déclare que « Prince ne semblait pas comprendre la différence entre quelqu’un qui ne voulait pas faire quelque chose et ne pouvait pas le faire physiquement à cause de l’épuisement, et il était confus lorsque les autres ne pouvaient pas respecter son emploi du temps. ». Lassées et stressées par les coups de téléphone au milieu de la nuit pour les enjoindre à venir au studio, Lisa et Wendy ont décidé de cesser de répondre à ces appels nocturnes. Pour contribuer à ce stress, s’ajoutaient le caractère et les humeurs imprévisibles de Prince, surtout, comme rapporté dans le volume 83/84, lorsque Prince avait décidé de passer ses nerfs sur quelqu’un qui n’avait rien demandé. A chaque fois qu’elles allaient le voir, elles ne savaient pas « qui » elles allaient trouver en face d’elles. Comme le feront Morris Hayes et les NPG plus tard, elles ont donné des noms à ces personnalités multiples de Prince : « Steve » était le Prince cool, marrant ; « Marilyn » était le Prince capricieux et « George Jefferson », en référence à une série TV, annonçait par sa démarche que la journée allait être très compliquée. Les ingénieurs avaient appris à repérer quelques signes sur la façon dont aller se dérouler la journée avec le nombre de sucres qu’il prenait dans son café : un sucre n’annonçait rien d’inquiétant, deux sucres annonçaient une journée intense de boulot.
Ces conditions de travail, ajoutées à la déception de n’avoir reçu un bonus qui ne dépassait pas les 10 000 dollars après le Purple Rain Tour (alors que la tournée de 98 concerts sur 5 mois en a rapporté 30 millions), le manque de reconnaissance dans les crédits, la communication particulière (personne du noyau dur de The Revolution n’a été informé du recrutement permanent d’une nouvelle section de cuivres et de danseurs/choristes), les amendes en cas de fausse note, retard ou juste parce que Wendy a bu une bière en public, ont incité les musiciennes à demander une augmentation. Quant à Sheila E., elle tombera de très très haut après le « Purple Rain Tour ». Comme elle l’a évoqué dans son autobiographie, le comptable de Prince est venu lui présenter une facture qui approchait le million de dollars. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle croyait que cette tournée était comme toutes celles qu’elle avait faites auparavant (en tant que musicienne pour Marvin Gaye notamment). Elle ne savait pas que tous les « avantages » dont elle a bénéficié (coiffure, costumes, mise à disposition des ingénieurs du son pendant ses soundchecks, chambres d’hôtel, frais inhérents à la tournée…) n’en étaient pas. Tout lui a été facturé, jusqu’au moindre café qu’elle a commandé sans qu’elle ne soit prévenue par les managers, la production ou Prince. Elle a mis des années à rembourser cette dette que Prince n’a pas voulu effacer tout comme il a refusé d’augmenter Wendy et Lisa.
Bien que sourd à ces problématiques financières avec ses employés, l’argent ne semblait pas être un problème pour Prince qui dépense sans compter des sommes faramineuses en heures de studio, parfois sans y être (il demande à un ingénieur de venir, lui dit « j’ai un truc à faire dehors, je reviens » et part pendant 8 heures, laissant l’ingénieur tout seul sans rien faire), en billets d’avions et hôtels pour les musiciens qu’il convoque et renvoie puis re-convoque, envoi des bandes par Fedex, et projets qu’il abandonne rapidement : en juillet 85, il souhaite qu’Apollonia 6 tourne des clips pour chacune des chansons de leur album, alors qu’il était sorti depuis plus de 8 mois. Cela a nécessité le recrutement d’une équipe de tournage, d’acteurs et la construction de décors. Après avoir regardé quelques minutes d’un premier montage, Prince dit « c’est de la merde » et met fin au projet. Comme lui, les ingénieurs et musiciens ne devaient pas compter leur temps et leur énergie et maitriser leurs nerfs. Souhaitant changer d’espace de répétitions, il loue un entrepôt dans les environs de Minneapolis. Cela a demandé un déménagement, mais aussi la réinstallation du matériel d’enregistrement et une toute nouvelle console. Susan Rogers a eu besoin d’une journée et demie non-stop pour installer le tout. Prince arrive avec le groupe, commence à jouer quelques minutes puis dit : « je déteste cette endroit, on se casse ». L’équipe a donc dû refaire le chemin inverse pour re-déménager et réinstaller le tout dans l’ancien entrepôt.
« Personne n’a à me dire ce que je devrais faire »
Ayant réussi tout ce qu’il a entreprit jusque-là, Prince ne fait confiance qu’à son propre jugement. Même ses managers, Cavallo, Ruffalo et Fargnoli n’ont plus leur mot à dire. Bob Cavallo confie dans le livre, qu’une fois que Prince a remporté son Oscar (chose qu’il n’avait lui-même jamais imaginée) les managers étaient réduits au rôle d’exécutants, et non plus de conseil. Cavallo explique qu’il ne servait plus qu’à organiser ce que Prince voulait et faire monter les enchères auprès de la Warner. Susannah résume cet état d’esprit de la façon suivante avec les mots de Prince : « Personne n’a à me dire ce que je devrais faire. Ils doivent simplement faciliter mes besoins et mes désirs. ». Il paiera cher cette attitude, qui n’a fait que s’affirmer avec le temps, dans la soirée qui a suivi les American Music Awards. Après avoir refusé de participer à l’enregistrement de « We Are The World », ses managers lui ont conseillé de rester à l’hôtel et de faire profil bas. On connait la suite, Prince décide d’aller au restaurant, s’en est suivie une bagarre avec un paparazzi. Le lendemain, Prince est dépeint dans la presse comme quelqu’un d’insensible à la famine en Afrique, qui va au restaurant entouré de molosses prêts à en découdre. Cet évènement va fortement ternir son image aux yeux du public américain pour plusieurs années au point qu’il sera contraint de revenir dessus dans plusieurs interviews pour expliquer qu’il n’est pas un monstre. A ce revers public, s’ajoute la publication d’une interview dans un journal à scandales de son ancien garde du corps, Big Chick, qui continuera à dégrader son image et le faire passer pour un extraterrestre.
La Warner a tenté en vain d’influer sur « Under The Cherry Moon » pour que le film soit en couleur. Prince a cédé en tournant le film en couleurs mais en utilisant des moyens techniques permettant une qualité de tirage en noir et blanc optimale. Prince lui-même a fait part de ses doutes pendant le montage et savait que ce projet était voué à l’échec (il n’a cessé de répéter « je déteste ce film » un soir), mais il a quand même été jusqu’au bout. La Warner est revenue à la charge en organisant une projection avec lui du film en couleurs. A la fin de la séance, Prince a dit « c’est horrible, détruisez toutes ces bandes en couleurs ».
Strange Relationships
L’esprit de compétition de Prince est aussi un des marqueurs de ce livre. Dans le premier volet, Duane avait relaté cette motivation qu’avait Prince d’aller toujours plus loin pour forcer ses musiciens à dépasser leurs limites et à se perfectionner lui-même par la même occasion. The Time (et en particulier Jesse Johnson, qui était un de ses moteurs) ne sont plus là. Restent les membres de The Revolution qu’il cherche à défier de temps en temps. Il utilise des techniques qui lui sont propre pour les faire avancer (en déroutant et humiliant Bobby Z. en plein concert par exemple), titille BrownMark en particulier, mais tous refusent d’entrer dans ce jeu, parce qu’ils savent que c’est perdu d’avance. « Prince pouvait battre n’importe qui d’entre nous sur nos propres instruments » dit Wendy, à l’exception d’Eric Leeds et Atlanta Bliss parce qu’il ne jouait pas des cuivres et Lisa pour laquelle il avait un respect immense. En dehors de son cercle, Jimmy Jam et Terry Lewis, dont il prétendait avoir arrêté la carrière après les avoir virés 3 ans auparavant, cartonnent en produisant notamment « Control » pour Janet Jackson. Prince considèrera comme une traitrise le fait que Jérôme Benton participe aux clips de Janet et le vire (« je ne pouvais pas être des deux côtés de la barrière »). Quand Morris Day rencontre un certain succès en solo (3eme place dans les charts R&B) avec sa chanson « Oak Tree » (le chêne), Prince lui envoie un petit tacle sympa en chantant en concert qu’il faut couper cet arbre qui n’est bon qu’à faire des jambes de bois (et danser comme s’il en avait une – voir le clip de « Kiss »). Il s’est montré plus cruel avec Saint-Paul/Paul Peterson qui a quitté le groupe « The Family ». Laissé à Los Angeles avec 140 dollars par semaine en guise de salaire pendant que Prince tournait « Under The Cherry Moon », Paul se voit proposer un contrat avec une somme mirobolante de la part du label MCA pour faire un album solo. Jeune, ayant à peine 20 ans, l’envie de chanter ses propres chansons et avec plein de rêves dans la tête, il annonce à Prince qu’il le quitte. Comme Morris Day et Jesse Johnson avec « Mutiny », Saint-Paul aura droit à une réponse musicale et cinglante de la part de Prince avec la chanson « Dream Factory » et l’insulte avec le slogan « Saint-Paul, punk of the month » (le salaud du mois) qu’il fera chanter par le public lors de plusieurs concerts . Wendy & Lisa aussi auront droit à une pique sur « Rebirth Of The Flesh ». Nous ne reviendrons pas sur l’histoire de « Shockadelica » déjà contée dans un autre article. En dehors de ce cercle, les rapports entretenus entre Prince et Miles Davis, ce qu’il en est réellement de leur collaboration musicale, et ce qu’il pensait de Michael Jackson (« ne soyez pas naïfs à son sujet ») sont également relatés en détail dans ce livre de Duane, tout comme le long processus ayant conduit à la dissolution de The Revolution et la formation d’un nouveau groupe.
LE nouveau livre de référence
Après avoir dit tout ça, est-ce que « Prince and the Parade and Sign O’ The Times Era Studio Sessions » permettra même aux fans les plus hardcore et pointus d’apprendre des choses ? La réponse est clairement « OUI », car le cœur de ce livre reste le détail et l’analyse du travail de Prince en studio à cette époque. Bien que beaucoup de chansons travaillées à cette période soient sorties ou disponibles suite à des fuites non-contrôlées, ce n’est que la partie immergée de l’iceberg. La lecture des sessions donne clairement le vertige. Beaucoup de titres ne sont pas encore arrivés jusqu’à nos oreilles, on découvre l’existence de chansons jamais référencées auparavant et de jams impromptus, on en apprend encore plus sur la liste des titres prévus pour le film « The Dawn » (plus longue que ce que l’on croyait savoir – « Heaven », bien connue des fans plus ou moins hardcores, en fait partie), sur le gâteau de la discorde qui a fait l’objet d’un enregistrement (« Lemon Cake »)…..
Son aspect encyclopédique fait qu’il ne se lit et relit pas comme une biographie traditionnelle. Mais il devient, comme son prédécesseur, une fois la première lecture faite, LE livre à consulter quand on a besoin d’une info sur un titre bien précis (avec l’aide de l’index – Princevault.com ne pourra pas être aussi exhaustif et/ou détaillé) ou à feuilleter pour lire des histoires plus folles les unes que les autres.
Prince and the Parade and Sign ‘o the Times Era Studio Session: 1985 and 1986
Par Duane Tudahl
Relié : 620 pages
Editeur : Rowman & Littlefield Publishers
Langue : Anglais
Dimensions du produit : 15.24 x 22.86 cm
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Vous pouvez suivre Duane Tudahl sur la page Facebook qu’il a créée pour son livre : The Complete Book Series
Nos pages dédiées à Tudahl :
- Notre interview de Duane Tudahl réalisée en 2017
- Notre article sur « Prince and the Purple Rain Era Studio Sessions : 1983 and 1984 »
Vous pouvez également consulter nos autres articles liés à cette époque :
- Prince & The Evolutions
- L’album Camille
- Mazarati
- Les albums inédits
- L’évolution des albums
- Les projets abandonnés
- La légende Prince/Miles Davis