Depuis la mort de Prince, de nombreux objets lui ayant appartenu ou qu’il a offert à des proches font surface sur les sites de ventes aux enchères. L’intérêt varie selon leur nature et les vendeurs. Un disque proposé début septembre a attiré plus particulièrement l’attention : La vendeuse est Karen Krattinger, l’assistante personnelle de Prince entre 1984 et 1989.
Parmi les nombreux items qu’elle vendait sur le site RRAUCTION se trouvait un disque particulier qui a longtemps fait l’objet de fantasmes et le bonheur des bootlegers : il s’agit d’un projet d’album inédit datant de 1986, « Camille ». Étonnamment, ce disque n’etait pas vendu seul mais proposé dans un lot avec 18 autres disques connus en version promo. Même la description ne le mettait pas particulièrement en valeur et le disque est caché par d’autres. L’objet en question est un 33-tours, sans pochette illustrée. Ce n’est qu’après plusieurs jours, peut être à cause ou grace aux interrogations des acheteurs potentiels, que des images plus nettes ont été publiées.
« Camille » a finalement été vendu aux enchères pour 29 645 dollars.
C’est la première fois qu’il nous ait donné de voir cet objet. Jusque-là, nous savions juste qu’un pressage-test avait été fait, mais personne n’avait jamais posté de photo de cet objet qui avec le temps a acquis une aura et est devenu une légende. Quelques personnes ont prétendu posséder ce 33-tours ou une copie K7 sur des forums anglophones mais, sans preuve, le fait que des exemplaires de ce disque aient survécu à une éventuelle destruction était parfois remis en question. Le nombre de vinyles pressés est inconnu, mais suffisamment limité pour susciter l’intérêt des fans hardcore…et qui ont un gros compte en banque. En plus de sa rareté, l’histoire de cet album mérite que l’on s’y attarde encore un peu plus tant ce disque illustre la carrière de Prince par bien des aspects : les enregistrements constants, la qualité des chansons, les projets avortés, les alter égos et les pièces de puzzle qu’il a caché un peu partout dans son œuvre.
Contexte
En 1986, Prince est un artiste hyperactif qui refuse de se reposer sur ses lauriers. L’année est bien remplie avec un album (« Parade »), une tournée, un film (« Under The Cherry Moon »). Même si le film est un échec et que l’album se vend moins, il réussit l’exploit de placer deux titres au sommet du Billboard (la même semaine en avril, « Kiss » est numéro 1, et « Manic Monday » offert aux Bangles en numéro 2). Il est sollicité par de nombreux artistes qui veulent sa griffe sur leurs albums. La tournée affiche complet partout où elle passe et il bénéficie encore d’une certaine aura. Dans le même temps, Prince commence à réfléchir sur un projet de comédie musicale avec Mazarati (« The Dawn ») et travaille parallèlement sur les albums de Jill Jones et Sheila E.
La construction des studios Paisley Park a commencé en début d’année et s’achèvera début 87. Pour enregistrer, Prince utilise essentiellement son home-studio et surtout le Sunset Sound de Los Angeles, qu’il connait très bien depuis 1981 puisque tout ou partie de ses albums depuis « Controversy », ainsi que ceux de ses protégés (Vanity 6, Apollonia 6, « What Time Is It » et « Ice Cream Castle » de The Time, « The Glamorous Life » de Sheila E., les titres pour Mazarati…) ont été enregistrés là-bas. Prince squatte littéralement ce studio, et il lui arrive même d’en louer plusieurs en même temps pour garder un œil sur ses projets satellites dont il délègue la production à David Z. Prince vit tellement dans ce studio que les propriétaires lui ont carrément installé un lit (avec du linge pourpre évidemment) rien que pour lui dans l’enceinte du complexe.
Un double album avec The Revolution (« Dream Factory ») est finalisé en été, mais il suspend le projet. Sa relation avec Wendy & Lisa commence à se tendre pour diverses raisons (elles lui avaient fait comprendre avant le Parade Tour qu’elles envisageaient de partir, l’extension de The Revolution avec 3 danseurs et des cuivres passe difficilement aux yeux de Wendy qui vit également mal l’histoire d’amour tumultueuse que vit sa sœur jumelle Susannah avec Prince). Elles auraient également mal pris le fait de ne pas être créditées correctement pour les chansons « Mountains » et « Sometimes It Snows In April » sur l’album « Parade ». Brownmark aussi se montre insatisfait pour plusieurs motifs : Il estime avoir joué un grand rôle dans la production de « Kiss » avec l’ingénieur du son David « Z » Rivkin. Si ce dernier obtient un crédit d’arrangeur et qu’il s’en contente, la contribution de Brownmark n’a pas été reconnue et mentionnée. Il est déçu de s’être vu dépossédé de Mazarati, groupe qu’il avait découvert mais que Prince a transformé. Financièrement, il est mal payé et est à deux doigts d’accepter la proposition de Stevie Nicks qui lui propose de lui tripler son salaire pour sa tournée « Rock A Little ». Il en parle à Prince, qui réussit à le retenir, lui explique qu’il ne peut pas se passer de lui et lui fait miroiter un avenir de star. Résultat, sur la tournée Parade, Brownmark est confiné au simple rôle de bassiste, caché derrière les trois choristes-pseudo danseurs et accessoirement gardes du corps Wally Safford, Greg Brooks et Jerôme Benton. Prince entend également des critiques de la part d’artistes noirs et de magazines spécialisés qui lui reprochent de renier ses racines noires en faisant de la musique pour les blancs (« Around The World In A Day » et « Parade »). Ses anciens compagnons de route mènent avec plus ou moins de succès des carrières en solo pendant que les productions de son label sont ignorées (albums de Mazarati et The Family l’année précédente qui, bien qu’appréciés, n’auront pas d’impact dans les charts). Michael Jackson l’invite chez lui et lui propose de chanter en duo sur le morceau-titre de l’album qui suivra « Thriller » : « Bad ». On connait l’histoire : Prince refuse. Ce que l’on sait moins, c’est que durant une de leurs rencontres, Prince n’a pas arrêté d’appeler Michael Jackson « Camille »….
Shockadelica
A la même période, en septembre, Jesse Johnson prépare la sortie de son deuxième opus solo intitulé « Shockadelica ». Prince avait déjà utilisé un mot similaire (« Shock-a-laka ») dans la chanson « All Day, All Night » qui date de 1984 et qu’il donnera à Jill Jones pour son album de 1987. Jesse revendique la paternité de néologisme et le définit comme étant « le sentiment que l’on ressent face à une chanson ou une fille excitante » (« I’ve said ‘Shockadelica’ for years to describe a feeling I get when I’m excited by a song or a woman » – Billboard 1 nov.1986). Prince est surpris de voir qu’aucune chanson ne porte le titre de cet album qu’il a écouté avant sa sortie prévue pour octobre. Il enregistre donc rapidement chez lui (Paisley Park est encore en cours de construction), le 16 septembre 1986 une chanson en empruntant le fameux titre. Le livret de la compilation « The Hits/The B-Sides » rédigé par Alan Leeds raconte que cette chanson était un conseil à l’un de ses chers amis pour que tout album qui a un beau titre contienne une chanson qui porte ce nom (« Prince’s way of suggesting to a dear friend that every album with a great title should contain a song by the same name »).
Dans ses lyrics, « Shockadelica » est aussi défini comme un sentiment (« Shockadelica is a feeling, the lonely cold (…) Shockadelica is a feeling nobody should know » ). Il y parle de sa frustration face à une fille qui l’excite et l’ensorcelle (« this girl must be a witch ») au point de l’empêcher de dormir: Camille. Jesse Johnson dira dans une interview que Prince l’a appelé pour lui offrir la chanson, mais qu’il a préféré refuser. Johnson avait déjà du mal à se démarquer de Prince aux yeux du grand public à cause de son look, ses mimiques et son son made in Minneapolis. Il ne souhaitait donc pas qu’une chanson de Prince figure sur son album solo. Prince lui aurait répondu « Fuck You ! I’ll put it out myself ». C’est ainsi qu’il poussera la blague (ou le vice selon le point de vue) jusqu’à faire presser dans la foulée cette chanson en vinyle et l’envoyer à une radio locale de Minneapolis (KMOJ) dans les jours qui suivent. Diffusée sur les ondes avant même que l’album de Jesse Johnson ne sorte a donné l’impression que c’est ce dernier qui a volé ce néologisme à Prince. Il aura du mal à encaisser ce coup-bas, devant déjà se justifier sur son look et attitude qui le font passer pour un sous-Prince, il se retrouve contraint à rétablir les faits sur ce titre. L’histoire ne dit pas (encore) ce qu’est devenu ce vinyle confié au DJ de Minneapolis. L’a-t-il gardé? Prince l’a-t-il récupéré?
La particularité de cette chanson ne s’arrête pas là, puisque tout du long, la voix de Prince est accélérée. Il avait déjà testé cette technique sur quelques titres auparavant (« Automatic », « Erotic City », « Love Or Money »), mais seulement en accompagnement et de façon ponctuelle. Cette idée sera reprise quelques semaines plus tard. Il quitte Minneapolis après avoir dissout The Revolution et enregistré le premier album de Madhouse en 4 jours (normal) pour s’installer aux studios Sunset Sound de Los Angeles début octobre. Il y restera pendant 3 mois, y enregistrera et réenregistrera une trentaine de titres (avec Susan Rogers comme ingénieur du son) et développera des projets qui marqueront son histoire, sa carrière et contribueront à sa légende.
Time upon a once, there was a boy named Camille…..
S’inspirant du beat de « Shockadelica », Prince créé « Housequake ». Là encore, il utilise sa voix pitchée sur tout le titre. L’idée d’un alter égo nommé Camille commence à se développer. Susan Rogers dira plus tard que Prince voyait Camille comme son « jumeau maléfique » dont le prénom s’inspire d’un des surnoms d’Herculine Barbin, un hermaphrodite français du 19eme siècle. Sur cette base, Prince réenregistre ou remixe 2 chansons inédites pour les « camilliser » (« Feel U Up » enregistrée une première fois en 1981 et « Strange Relationship » qui date de 1982 et qui avait déjà été retravaillée par Wendy et Lisa en 85 pour le projet « Dream Factory ») et compose 3 nouveaux morceaux (« Rebirth Of The Flesh », « Rockhard In A Funky Place » et « If I Was Your Girlfriend »). Sa réputation de Don Juan n’était plus à faire et le coté volage de Prince n’était un secret pour personne. Il avait une relation « sérieuse » avec Susannah, envisageait de se fiancer, mais maintenait ses petits « extras », et Jill Jones en faisait partie. Susannah et Jill Jones ont chacune fait l’objet d’au moins une illustre chanson (« Forever In My Life » pour Susannah Melvoin et « She’s Always In My Hair » pour Jill Jones). Elles ont posé leurs voix sur plusieurs projets du maitre, mais jamais sur la même chanson. Prince s’amuse de cette situation en les convoquant toutes les deux pour qu’elles enregistrent les chœurs de la chanson fraichement composée et au titre approprié : « Good Love ». C’est Susan Rogers qui est chargée de superviser la session qu’elle relatera comme un moment tendu entre Susannah et Jill. Les 6 titres (« Feel U Up », « Strange Relationship », « Rebirth Of The Flesh », « Rockhard In A Funky Place », « Good Love » et « If I Was Your Girlfriend ») ont été travaillés sur une période de 7 jours seulement (du 27 octobre au 2 novembre 86). Les contributions de Wendy et Lisa sur « Strange Relationship » ont été conservées. Eric Leeds et Atlanta Bliss contribuent par leurs cuivres sur quelques titres, Susannah et Jill Jones posent leurs voix ponctuellement. Les contributions de Wendy et Lisa sur « Strange Relationship » ont été conservées. Prince construit alors ce qu’il envisage comme son futur album avec pour contenu en face A: Rebirth Of The Flesh / Housequake / Strange Relationship / Feel U Up et Shockadelica / Good Love / If I Was Your Girlfriend / Rockhard In A Funky Place pour la face B.
Il veut sortir ces 8 titres sous le nom de « Camille », tout simplement. Le nom « Prince » n’est pas censé apparaitre. Un pressage test en vinyle est fait début novembre. C’est ce disque test qui été proposé aux enchères , avec l’écriture de Prince sur les faces A et B. Le concept plait à la Warner, une date de sortie est fixée (début janvier 1987) et un numéro de catalogue attribué.
Le single pour « Shockadelica » avec « Housequake » en face B est imaginé (voire pressé également – à confirmer) pour sortir avant l’album. D’après Susan Rogers, Prince a griffonné un projet de pochette pour « Camille » représentant un visage avec des croix à la place des yeux. Il voulait même développer le concept en film, selon elle, dans lequel il aurait joué deux personnages : le sien (Prince) et Camille, pour qu’à la fin, on se rende compte qu’il ne s’agissait que d’une seule et même personne. Quelques jours plus tard, Prince annule de lui-même ces projets et voit plus grand. Il décide le plus naturellement du monde qu’il ne sortira pas un album simple de 8 titres, mais un triple album (toujours normal).
Camille’s Crystal Ball
Il garde « Rebirth Of The Flesh », « Housequake », « Strange Relationship », « Good Love », « If I Was Your Girlfriend » et « Rockhard In A Funky Place » et ajoute des titres prévus pour l’album annulé avec The Revolution « Dream Factory » (« The Ballad Of Dorothy Parker », « It », « Starfish And Coffee », « Slow Love », « Hot Thing », « Crystal Ball », « I Could Never Take The Place Of Your Man », « Sign O’ The Times », « The Cross ») et des chansons enregistrées sans objectif précis (« Joy In Repetition », « The Ball », « Forever In My Life »). Comme cela ne suffit pas, il ajoute courant novembre de nouvelles chansons fraichement enregistrées : « Adore » et « Play In The Sunshine », plus une version remaniée en studio d’ « It’s Gonna Be A Beautiful Night » captée live au Zénith de Paris. 3 semaines après Camille, Prince se retrouve donc avec un triple album de 22 titres prêt à être présenté à la Warner : « Crystal Ball ». Là encore, il veut que cela sorte sous le nom de Camille, même s’il ne chante pas avec une voix pitchée sur tous les titres.
Si la maison de disques avait accepté l’idée d’un album simple sous un pseudonyme, elle est plus réticente à sortir un tel projet. A contre cœur, Prince accepte de le réduire en double album, ne gardant du projet initial de Camille que 3 chansons (« Housequake », « Strange Relationship », « If I Was Your Girlfriend ») et 12 de « Crystal Ball » ( « Sign O’ The Times », « Play In The Sunshine », « The Ballad Of Dorothy Parker », « It », « Starfish And Coffee », « Slow Love », « Hot Thing », « Forever In My Life », « I Could Never Take The Place Of Your Man », « The Cross », « It’s Gonna Be A Beautiful Night » et « Adore »). « Sign O’ The Times » sort donc en mars 1987 sous le nom de Prince. Camille est crédité(e) comme voix principale sur ces 3 chansons, ainsi que sur un titre enregistré ultérieurement aux sessions de « Camille » et « Crystal Ball » : « U Got The Look ». L’alter égo figure aussi dans la liste des personnes remerciées, comme l’était Jamie Starr sur « Dirty Mind ».
« Sign O’ The Times » est donc, sur 16 titres, le fruit de 3 projets d’albums imaginés en 1986 : « Dream Factory » (Prince & The Revolution), « Camille » et « Crystal Ball » (Camille). Ce double-album restera pour toujours comme une des pièces maitresses de la discographie de Prince. Il illustre aussi les rapports de confiance et de défiance qui existaient entre lui et sa maison de disques. La Warner peut consentir à publier rapidement un album sous un nom d’emprunt (Camille) ou de façon discrète (comme le Black Album plus tard dans l’année) puis l’annuler à la demande de Prince (point commun entre Camille et l’album noir). Mais elle peut aussi lui demander de revoir ses ambitions (Pour passer d’un triple album à un double).
Les titres de « Camille » non utilisés pour « Sign O’ The Times » (« Rebirth Of The Flesh », « Feel U Up », « Shockadelica », « Good Love », « Rockhard In A Funky Place ») ne sont pas pour autant restés inexploités. Ils sortiront tous sous différentes formes :
- « Shockadelica » sera placée en face B d’ « If I Was Your Girlfriend »,
- « Good Love » sera donnée pour la bande originale du film « Bright Light, Big City » en 1988. Prince la placera de nouveau sur la compilation « Crystal Ball » en 1998 mais dans une version légèrement différente avec une outro absente de la version de la B.O.,
- « Feel U Up » sera placée en face B de Partyman en 1989,
- « Rebirth Of The Flesh » sera diffusée en version « repetitions ’88 » par le NPG Music Club (la version studio est toujours inédite),
- Et enfin, « Rockhard In A Funky Place » sera incluse dans le Black Album.
Contrairement aux chansons incluses dans « Sign O’ The Times », tous ces titres seront attribués à Prince (même les singles avec des chansons de Camille en faces A et B : « If I Was Your Girlfriend » / « Shockadelica » et « U Got The Look » / « Housequake »).
Comme un dernier clin d’oeil, sur le remix de « Housequake » (7 Minutes MoQuake), lorsque Prince crie « Check it out », on peut entendre un sample de « Crazay », une chanson de Jesse Johnson en duo avec leur idole commune Sly Stone et extraite de l’album…. « Shockadelica ».
Les 3 autres chansons prévues pour « Crystal Ball » qui n’ont pas été reprises pour « Sign O’ The Times » sont sorties sous une forme ou une autre (à l’identique ou dans une nouvelle version) et attribuées à Prince:
- « Crystal Ball » sur la compilation de 1998,
- « Joy In Repetition » figure sur la B.O. de « Graffiti Bridge » sortie en 1990,
- « The Ball » a été réécrite et réenregistrée pour devenir « Eye No » sur « Lovesexy » en 1988. (Lovesexy : un néologisme pour « The feeling u get when u fall in love, not with a girl or boy but with the Heavens above ». Ca ne vous rappelle rien?)
En 1988, « Scarlet Pussy » la face B du single « I Wish U Heaven » est créditée Camille alors que c’est un duo avec Sheila E. et que Prince a une voix ralentie et non accélérée. Ce sera le dernier morceau officiellement lié à ce personnage….. La rondelle de la face B du single est particulière : contrairement à tous les vinyles sortis sur le label Paisley Park à cette période, le titre de la chanson « Scarlet Pussy » est écrit en orange sur fond noir….
So Camille found a new color : The color black.
Comme dit plus haut, en 1986, Prince (avec Whitney Houston et d’autres stars qui ont fait le crossover) est accusé par une poignée de journalistes et d’artistes d’avoir mis de l’eau dans son vin et de s’être vendu au grand public. Fin 87, un an après l’album avorté de Camille, il assemble 8 titres qui constitueront le successeur de « Sign O’ The Times ». Ces chansons sont dans une tonalité funk affirmée et visent à faire taire ces critiques. 3 de ces titres ont été enregistrés au Sunset Sound en décembre 86, soit juste après les sessions de « Camille » / « Crystal Ball » (« Le Grind », « Bob George », « 2Nigs United 4 West Compton ») pour la soirée d’anniversaire de Sheila E. « Superfunkycalifragisexy » a été enregistrée quelques jours après « Shockadelica » en septembre 1986. « Cindy C. », « Dead On It » et « When 2 R In Love » datent de 1987. Le huitième et dernier titre est « Rockhard In A Funky Place », des sessions de Camille. Prince propose à la Warner de sortir l’album discrètement, sans que le nom d’artiste n’apparaisse sur la pochette qu’il veut noire. Même l’album n’a pas de nom, et les titres seront écrits en orange sur fond noir, sans mention d’auteur.
La maison de disque valide l’idée et « Something » par « Somebody » apparait sur la liste des prochaines sorties du label (le 8 décembre 1987). Les exemplaires sont pressés, et, on connait l’histoire, Prince décide d’annuler la sortie 7 jours avant la date (normal) de ce que l’on a appelé par défaut « The Black Album » . La Warner accepte et quasiment tous les exemplaires sont détruits à l’exception de ceux que des manutentionnaires ont pu sortir d’une usine en Allemagne (un carton de 50 copies) et une centaine d’exemplaires fabriqués aux États-Unis que Prince a offert à son entourage. Quelques exemplaires d’une édition en double album (avec 2 chansons par face) à destination des DJ’s américains ont aussi échappé à la destruction. Une copie a été vendue à plus de 15 000 dollars cette année sur Discogs.
L’album sortira finalement en 1994 sous le titre « The Legendary Black Album », mais le pressage de 1987 était, jusqu’à l’apparition de Camille sur le marché, un des objets les plus mythiques et recherchés par les collectionneurs.
Le lien entre « Camille » et le « Black Album » ne se résume pas à cela. Pour remplacer ce disque noir, Prince sort « Lovesexy » en 1988. Même si techniquement (la voix – à l’exception de « Rockhard In A Funky Place »), ce n’est pas à proprement parlé un projet Camille, c’est Prince lui même qui fait le lien entre ce projet et son alter ego. Il écrit, dans le tourbook de la tournée « Lovesexy », un texte dans lequel il raconte l’histoire du personnage, qui, contrairement à celui de 1986 n’est pas un être maléfique à la base. Dans ce récit, Prince attribue la paternité du « Black Album » à la face diabolique de Camille (The Spooky Electric) et explique de façon imagée comment le disque a été créé et puis annulé, Camille ayant réussi à vaincre son démon intérieur.
Time upon a once, there was a boy named Camille. Now this boy named Camille didn’t know how 2 feel. Sometimes he was lonely, sometimes he was sad, but most times he just took 4 granted all the nice things that he had.
Some people said they loved him but Camille said « Contempt! Winter, Spring, Summer, or Fall,love is no good unless it’s felt by all ». So, naive & terrifically in need Camille started looking for answers. His paintbrush the questioner, his canvas the arena, Camille set out to silence his critics.
« No longer daring » – his enemies laughed.
« No longer glam, his funk is half-assed…
one leg is much shorter than the other one is weak.
His strokes are tepid, his colors are meek. »
So Camille found a new color. The color black: strongest hue of them all. He painted a picture called Le Grind — hittin’ so tall. And then Cindy C — THE vogue fantasy. Horns & vocals 2 die 4. Lollipops — in yours! Stroke after stroke callin’ all others a joke. Superfunkycalifragisexi. Camille rocked hard in a funky place. Stuck his long funk in competition’s face.
Tuesday came. Blue Tuesday.
His canvas full, and lying on the table, Camille mustered all the hate that he was able. Hate 4 the ones who ever doubted his game. Hate 4 the ones who ever doubted his name. « Tis nobody funkier — let the Black Album fly. » Spooky Electric was talking, Camille started 2 cry. Tricked. A fool he had been. In the lowest utmostest. He had allowed the dark side of him 2 create something evil. 2 Nigs United 4 West Compton. Camille and his ego. Bob George. Why? Spooky Electric must die.
Die in the hearts of all who want love. Die in the hearts of men who want change. Die in the bodies of women who want babies that will grow up with a New Power Soul. Love Life, Lovesexy — the feeling u get when u fall in love, not with a girl or boy but with the heavens above. Lovesexy — endorphin.
Camille figured out what 2 feel. Glam Slam Escape — the Sexuality Real. Tonight we make love with only words. Girls first. This feeling’s so good in every single way. God is alive! Let Him touch u and He will quench every thirst. Let him touch u and an aura of peace will adorn u.
God is alive!
Let Him touch u and your own Lovesexy will be born. Let Him touch u, let Him touch u, and Heaven is yours.
Welcome 2 the New Power Generation.
Entre la sortie annulée de 1987 et la sortie officielle en 1994, cet album aussi devenu un des disques inédits les plus piratés de l’histoire. Même les non-fans voulaient ou prétendaient avoir le Black Album, tant il avait acquis un statut mythique et mystique en peu de temps. Le fait que Prince sorte un album neuf (« Lovesexy») moins de 6 mois après l’annulation a renforcé sa réputation d’artiste prolifique. L’effet pervers étant que ses enregistrements inédits commencent à circuler et qu’il multiplie les indices pour confirmer qu’un marché parallèle existe, ce qui aiguise encore plus la curiosité de son public. Le fait d’insérer un message subliminal dans le clip d’« Alphabet Street » (« Don’t Buy The Black Album, I’m Sorry »), de mettre un titre de ce disque sur « Lovesexy » (« When 2 R In Love »), d’en chanter 2 autres (« Superfunkycalifragisexy » et « Bob George ») sur la tournée, de raconter l’histoire de Camille et son combat intérieur dans le tourbook, de diffuser de son propre chef « Cindy C. » dans une émission radio locale, et enfin de faire chanter « Dead On It » par un de ses rappeurs sur la tournée de 1992 n’ont fait qu’entretenir le buzz comme on dirait aujourd’hui.
What kind of fuck ending was that?
Si Camille ne sera plus crédité(e) sur disque, sa voix sera bien présente de temps à autres sur des chansons que Prince enregistrera au cours des 3 décennies suivantes : « Come On », « I Like Funky Music », « Y Should I Do That, When I Can Do This », « PFUnk », « 3121 », « $ », « Dance 4 Me », « Ol Skool Company », « Fallinlove2nite » .
Il montrera également à la Warner, en souvenir de « Crystal Ball », qu’un artiste peut sortir un triple album de nouvelles chansons avec « Emancipation » en 1996. Il sortira aussi une compilation intitulée « Crystal Ball » en 1998 qui n’aura rien à voir (à l’exception de la chanson titre) avec le projet de 1986. Là encore, il s’agit un triple CD.
Le projet Camille peut être facilement reconstitué par n’importe quel fan. Il a également fait le bonheur des pirates dans les années 90 parfois avec des pochettes tentant de se rapprocher de l’idée qu’en avait Prince. Mais quelques questions demeurent pour certains puristes :
- Quelle est la version de « Good Love » qui était prévue pour ce disque ? Celle qui a fini sur la B.O. de « Bright Light Big City » ou celle de la compilation « Crystal Ball » ?
- L’intro d’ « If I Was Your Girlfriend » contient-elle le collage sonore avec la Wedding March de Mendelssohn ?
Karen Krattinger propose également à la vente d’autres objets plus ou moins intéressants, et parfois amusants comme la poupée vaudou que Prince a fait fabriquer à son effigie et qu’il a donnée à Karen après qu’elle ait quitté son poste. Ou encore une convocation à une session de répétitions en 1986 où les horaires indiqués sont : « de midi à 14h, puis de 14h à 18h » ! « Les retardataires se verront infligés une amende de 250 dollars. »
On n’ose pas imaginer ce que les proches de Prince ont encore en réserve pour nous faire rêver tant la liste des projets avortés est longue : des copies de « The Flesh », des test pressings de « Crystal Ball », des projets dont nous ignorons l’existence? Le temps nous le dira.
http://www.rrauction.com/bidtracker_detail.cfm?IN=606
On en parle sur le forumSources : Princevault.com , DanceMusicSexRomance (Per Nilsen), http://the-black-album.info/