Jill Jones est une des figures majeures du Minneapolis Sound. En 1987, elle sort l’un des plus beaux albums produits par Paisley Park. Composé par Prince, mis en image par Jean-Baptiste Mondino, elle se démarque par sa voix, son style, et sa personnalité. Seulement voila, Jill n’est pas une simple « protégée » du cercle princier. Choriste sur un nombre important de titres (sortis ou inédits), et même lors des concerts, elle vivra une histoire d’amour avec celui qui est en train de devenir une star mondiale avec « Purple Rain ». Depuis le décès de l’artiste, Jill Jones s’est exprimée à plusieurs reprises dans la presse et les réseaux sociaux. Une seul chose compte pour elle aujourd’hui : la vérité… sa vérité. Pour la sortie d’ « Originals » nous avons eu l’extrême privilège d’échanger avec elle, et nous avons assez vite dépassé le cadre du « nouvel » album de Prince tant elle est généreuse. Une chose est sure : Jill Jones a beaucoup de choses à dire !   Que pensez-vous du concept d’ « Originals »?

C’est très bien que l’Estate veuille montrer les origines de ces chansons, qu’ils montrent aux gens quelles étaient les idées de départ pour ces titres, comment ils sonnaient… C’est cool, c’est bien pour les musiciens, le public, les fans.

« Originals » est un choix intéressant, mais particulier comme album. Il permet de remettre de la lumière sur sa discographie parallèle et les artistes qu’il a produits voire de vous faire découvrir auprès de la jeune génération de fans. En tant qu’artiste de cette galaxie, qu’en attendez-vous personnellement ? Un regain d’intérêt pour vos projets actuels?

Non, je n’attends rien du tout. J’espère que ça sera bénéfique pour d’autres comme Taja Sevelle qui fait encore de la musique et qui se bat seule. Mais je pense que cet aspect va être vite oublié. Ce sont ses chansons, c’est sa vie, j’ai eu la chance d’en faire partie, mais je ne veux et n’en attends rien.

Ici (sur Schkopi), nous n’arrêtons pas de mettre en valeur les artistes dits « associés » à Prince, pas seulement parce qu’il a travaillé avec eux, mais tout simplement parce que vous avez fait de grands albums, et de belles chansons. On espère que ceux qui ont zappé ces disques vont se pencher sur ces œuvres pour les découvrir.

Oui, ça serait bien pour les jeunes. Mais je n’ai pas géré ma carrière aussi sérieusement que j’aurais due. Et si tu ne te prends pas au sérieux, personne ne va le faire à ta place. Quand j’y repense, je ne pense pas que je voulais me lancer dans une carrière de chanteuse contrairement aux gens qui m’entourent. Mais pourquoi et comment j’en suis arrivée à me retrouver dans tout ça ? Je ne le sais toujours pas.   Une de vos chansons, « Baby You’re A Trip », est sur l’album. L’Estate vous a contactée pour ça ?

Oui. Ils m’ont contactée pour que j’écoute aussi toutes les autres chansons et savoir si je chantais dessus en tant que choriste.

Vous êtes créditée dans les chœurs de « Baby You’re A Trip », saviez-vous à ce moment que le titre vous était destiné ?

Oui.

Mais ce titre date de 1982, et votre album est sorti en 1987….

Oui, mais j’ai commencé à travailler avec et pour lui officiellement à l’été 82, quand il m’a embauchée et que je suis devenue sa salariée. Et son manager, Steve Fargnoli, voulait qu’on fasse un album rapidement. Prince ne savait pas vraiment quoi faire avec moi au début. La toute première chanson qu’on a faite ensemble est « Boom Boom ». Il voulait voir de quoi j’étais capable. Je l’ai impressionné. C’était une bonne chanson. Mais dans le même temps, il s’occupait de Vanity 6 et The Time. Puis j’ai fait la tournée (Ndlr : 1999 Tour/Triple Threat Tour) en tant que choriste. Et au fur et à mesure que son succès grandissait, il était de plus en plus sollicité par d’autres artistes. Après « Purple Rain », les gens venaient de partout pour lui demander des chansons. Il écrivait pour des artistes qui n’étaient pas chez Warner, parfois sous des pseudonymes etc… Et je faisais les chœurs sur pas mal de ces chansons. Les gens se demandaient qui étaient ‘JJ’ dans les crédits, ce qui donnait un peu de mystère. Mais mon album est passé au second plan pendant ce temps.

Napoléon et Joséphine

(Flesh & Blood) Donc vous saviez que « Baby You’re A Trip » était pour vous. Mais est-ce que ça a été la même chose pour tous les autres titres de votre album ? « G-Spot » n’était pas prévu pour Vanity 6 à la base ?

Non. « G-Spot » était pour moi. Elle est née d’un article que j’avais lu dans le magazine Marie-Claire, que j’avais rapporté de France. Il y avait aussi des photos de lingeries d’Yves Saint-Laurent et une partie des looks de l’époque viennent de là. Puis il a commencé à se documenter sur ce fameux Point G et les façons de l’atteindre. Il a aussi eu l’idée du F.I.N.A.L.L.Y (Ndlr : E.N.F.I.N –  pour débuter les phrases à l’intérieur des couplet). Si l’Estate sort cette chanson chantée par lui, j’espère qu’ils sortiront celle sur laquelle il joue du saxophone. Parce que c’est lui qui jouait dessus sur cette première version, pas Eric Leeds. Il a demandé à son ingénieure ou Sandy Scipioni (Ndlr : son assistante) d’aller lui chercher un sax. Mais cette chanson a toujours été pour moi, jamais pour les filles.

OK, on a dû penser que c’était pour Vanity 6, parce que dans la chanson « Vibrator » (inédit de 1983), Vanity chante « G-Spot, G-Spot, where oh where… » et à la fin de la chanson, on entend le beat de l’intro du titre…

Oui, mais je suis aussi sur « Vibrator ». En fait, Vanity, Prince et moi vivions ensemble tous les trois chez lui à ce moment-là. Et c’est une toute autre histoire que je ne vais pas détailler aujourd’hui (rires)

On aimerait bien que vous le fassiez quand même… (rires) Tout ça s’est passé en même temps. On était toujours ensemble en studio ou à la maison.

Est-ce que tout votre album de 87 est basé sur des titres que Prince a chantés ? (comme « Violet Blue », « For Love », « My Man » etc..) ?

Totalement. Il créait toujours un squelette, et il y ajoutait ce que bon lui semblait, des voix différentes etc…. Il n’avait besoin de personne. S’il avait besoin de quelqu’un d’autre il pouvait se débrouiller avec ses alter-egos. C’était fascinant. J’avais le même registre vocal que lui et je pouvais aussi faire les notes hautes qu’il ne pouvait pas atteindre, donc il pouvait aussi m’appeler pour ça. On a aussi enregistré « Living Doll », « If I Could Get Your Attention » et d’autres titres mais ça ne me correspondait pas vocalement. Un peu trop joyeuse, alors que j’ai un tempérament assez sombre. Je peux être enjouée dans les chœurs, mais pas quand je suis la chanteuse principale sur un morceau.

Ça veut donc dire qu’il existe bien une version chantée par lui de cette magnifique chanson qu’est « Violet Blue »…

Bien sûr. Et l’histoire de cette chanson est particulièrement intéressante. Elle a été inspirée par mes écrits dans mon journal intime. Il s’était fiancé (Ndlr : à Susannah) à ce moment-là et les rapports entre lui et moi avaient quelque chose d’intriguant. C’était difficile. J’avais aussi commencé à vivre ma vie et avoir une autre liaison, et c’était dur pour nous de se revoir et ne pas savoir comment agir. Il a essayé de faire le mec bien, mais il ne l’était pas. C’était dur. Donc « Violet Blue » est une chanson importante pour moi parce qu’il y vide son cœur. Il y raconte ses propres difficultés, pas les miennes. C’est sa croix, pas la mienne. Je savais qu’il allait se fiancer peu de temps avant que cela se fasse, et j’ai pris un peu de distance avec ses manipulations, son monde bizarre. Et c’était difficile. Quand on a enregistré cette chanson ensemble, il y avait une grosse charge émotionnelle ce jour-là. C’était « je te vois, mais je ne veux pas te toucher et je ne vais pas te toucher parce que tu te fous de ma gueule. A chaque fois qu’on se voit, il y a un problème, tu m’utilises et tu ne peux pas être fidèle ». C’est ce qu’évoque la chanson.

Et ça a fait une chanson magnifique.

Oui, merci.

On sait que Prince avait une capacité de composition et d’enregistrement colossale, et qu’il faisait tout tout  seul. A quel moment interveniez-vous ? Sur le morceau terminé, après qu’il ait posé les voix ? Sur des instrumentaux avec juste une voix test ?

Çà dépendait. J’entends souvent des gens dire qu’il faisait sortir tout le monde du studio quand il enregistrait, mais pour moi, ce n’est pas vrai, d’après mon expérience. J’étais là quand il faisait des trucs au piano. Pour « When Doves Cry », j’étais là quand il a enlevé la basse. Pour « Something In The Water » par exemple il a voulu rester seul. Pour «We Can Fuck», qui dans mon souvenir, a été enregistrée au Sunset Sound, c’était la folie quand il s’est lancé dans ses cris. Et pour « Lady Cab Driver », c’est moi qui lui ai demandé de sortir du studio puis il est revenu. Souvent, j’étais seule avec l’ingénieur pour enregistrer mes parties vocales. C’est mon expérience, je ne sais pas pour les autres, mais j’étais souvent avec lui en studio quand il enregistrait et j’adorais le voir faire ses trucs. Et il n’arrêtait pas d’ajouter des parties, ajouter encore et encore. Et la plupart des gens n’aimaient pas rester pour la phase du mix, parce que c’est une étape fastidieuse qui peut rendre fou quand tu écoutes les mêmes pistes encore et encore. Mais je me souviens de lui en train de découper les bandes. Il coupait les bandes lui-même pour faire les versions singles, ce qu’on ne fait plus aujourd’hui. Il savait faire ça, il le faisait, mais il ne se créditait pas.

« Il n’y a rien de mieux que d’écouter les versions originales »

Lorsqu’il enregistrait ces titres qu’il savait destinés à d’autres, est-ce qu’il les chantait avec autant d’intensité que si c’était pour lui ? Faisait-il une différence entre les chansons qu’il pensait garder pour lui et celles qu’il allait donner à des interprètes féminines ?

Je ne sais pas s’il savait toujours pour qui seraient ces chansons. Il y a eu « My Baby Knows How To Love Me » qu’il avait faite pour une autre chanteuse. Il pensait à elle, une grande chanteuse qui avait une superbe voix mais dont je ne me souviens plus du nom là tout de suite, mais il l’avait à l’esprit. Quand il a fait « Kiss », il voulait que ce soit pour Mazarati. Et il voulait que je fasse des chœurs pour des chansons de leur album. On les a écoutées et quand il a entendu leur version de « Kiss », il a pris sa voix de Jamie Starr et il a dit « je ne vais pas leur donner ça ». Il savait que c’était un hit et il leur a reprise en disant « naaaaan, c’est trop bien ». « Sugar Walls » aussi était prévue pour mon album. Je me disais que ça allait être un tube pour moi. Puis Sheena Easton est apparue tout d’un coup et il lui a donnée je ne sais pas trop pourquoi, s’ils avaient eu une liaison ou quoi. Mais il était toujours dans la compétition, à chercher la nouvelle Madonna ou je ne sais quoi. La compétition était son moteur. Et quand ses amis l’ont quitté, comme André Cymone, il est entré en compétition avec eux aussi. C’était dans son ADN. Et Sheena Easton lui permettait de satisfaire cette envie. Et il aimait aussi l’idée de changer son image de fille proprette. J’ai vécu le fait qu’il lui donne cette chanson comme un dommage collatéral. Mais avec du recul, c’était une chanson trop sexuelle, et je ne pense pas que les gens auraient voulu ça de moi.

Selon vous, y-a-t-il une version chantée par Prince qui était meilleure que la vôtre ? Et inversement ?

Je crois que j’ai tout déchiré sur « With You » Il m’a dit lui-même que ma version était meilleure que la sienne.

Et dans l’autre sens ?

Probablement. Je crois qu’il n’y a rien de mieux que d’écouter les versions originales. Quand on écoute les versions de celui qui écrit ses propres chansons. Berry Gordy par exemple: je me souviens de lui, lors des réunions de famille (Ndlr : Jill Jones est la nièce de Berry Gordy, le fondateur de la Motown) quand il chantait ses vieilles chansons qu’il avait écrites. Et c’était intéressant de l’écouter chanter lui-même ces morceaux qu’il a composés, Smokey Robinson aussi. Ce sont des maîtres. Et quand Prince le faisait, c’était intéressant de voir sur quelles parties il insistait particulièrement par rapport à d’autres, ne serait-ce que sur un seul mot. Un simple interprète va faire ça à sa manière, c’est pour ça qu’il faisait attention à qui il allait donner ses chansons. Il savait qui pourrait être fidèle à ce qu’il voulait exprimer quand il les a écrites.

Comment se passait le réenregistrement de ces titres avec vos parties vocales ? Deviez-vous suivre son chant et phrasé note pour note ?

Pour « Baby You’re A Trip », on l’a commencée en 82, mais je l’ai finie fin 85. J’ai travaillé dessus avec David Z. pendant que Prince était en France pour tourner « Under The Cherry Moon ». On s’envoyait les bandes par courrier. Prince n’était pas si impliqué que ça sur mon album à cette période. J’étais à New York, j’ai fait les faces B moi-même (Ndlr : « 77 Bleeker St » et « Baby Cries (Ay Yah) »). Il est revenu plus tard, après les bombardements en Libye, on s’est revus à ce moment-là. Ensuite, on s’est revus en Californie pour « Violet Blue », et je crois que c’est la dernière chanson qui a été enregistrée pour l’album. En fait, la fin de l’album s’est faite par discussions informelles, pas vraiment construite.

Beaucoup de chansons avaient été enregistrées pour votre premier album. Comment s’est faite la sélection finale ?

On a commencé à finaliser ça après les bombardements en Libye, qui a été un moment clé, et il devait de nouveau voyager. On avait fait ajouter des parties orchestrales (Ndlr: par Clare Fischer) sur « Living Doll » et les autres chansons pop. En écoutant le résultat en voiture sur le trajet de l’aéroport, j’ai demandé à ce que les cordes soient retirées, parce que ça sonnait trop commercial et je n’aimais pas ça. Il m’a demandé si je ne préférerais pas qu’on oublie cette chanson plutôt, j’ai dit que oui, parce qu’elle ne me ressemblait pas. J’aimais « My Man », parce qu’elle a un côté Elvis Presley mauvais garçon, et j’adore Elvis. On a débattu pour savoir si on gardait des cordes ou pas, c’est ce qui a pris le plus de temps. C’était cool, c’était un album sophistiqué comme peu de gens faisaient.

Parlez-nous de quelques chansons que vous avez faites avec lui et qui sont encore inédites.

Il y a « Our Destiny » qui a été enregistrée en 84. Il voulait faire une comédie musicale appelée « Roadhouse Garden » et je devais y jouer un personnage qui s’appelait ‘Electra’ (Ndlr : cf. les lyrics de « The Ladder »). A mes débuts, il voulait me donner ce pseudonyme pour ma carrière. Ce nom a tourné dans sa tête pendant longtemps. J’ai trouvé ça marrant parce qu’il y’a une pièce qui s’appelle « Mourning Becomes Electra » (Ndlr : « Le deuil sied à Électre » d’Eugene O’Neill) et ce nom l’obsédait. Et Steve Fargnoli lui a dit : « Pourquoi tu veux qu’elle change de nom, elle n’a pas besoin de ça. Elle est déjà connue sous son vrai nom, ça serait ridicule ». Prince a abandonné, mais on a quand même fait la chanson « Come Elektra Tuesday » que j’aime bien. Les paroles parlent d’une Aston Martin violette, qui est ma marque de voiture préférée et ma couleur préférée. Des fois, il m’appelait violette. Au passage, Teena Marie avait fait une vidéo pour « I’m Just A Sucker For Your Love». Le clip n’est jamais sorti mais il y a une Aston Martin dedans. Pour une scène, on devait voir les jambes de Teena, mais elle ne le voulait pas, j’ai donc fait la doublure-jambes. « Come Elektra Tuesday » devait être sur mon premier album, puis sur le second qui n’est jamais sorti. Et c’est Wendy et Lisa qui ont produit « Our Destiny ». L’une d’elle (Ndlr : Lisa) l’avait chantée, et Prince voulait que ce soit moi parce que ça correspondait à mon personnage dans son projet. Il m’avait donné la cassette où il la joue seul au piano. Mais la bande de la cassette était abîmée au point qu’elle s’est déchirée quand j’ai voulu la copier. Mais ils (l’Estate) devraient sortir sa version piano de cette chanson, parce qu’elle est belle. C’est une chanson clé dans ma vie. « Wednesday » était pour « Purple Rain » à la base. Il a dû changer quelques mots de la chanson parce qu’elle parle de suicide. On a tourné une scène pour le film où je la chante. Il s’est confondu en excuses pour m’expliquer qu’il a fallu couper la scène du film. J’adore « Killing At The Soda Shop » aussi. J’ai fait « Flesh And Blood » avec mon ami Chris Bruce vers 88-89 quand je vivais à Londres, je l’ai envoyée à Prince qui m’a dit ensuite qu’il ne savait pas quoi en faire. Il l’a retravaillé pour le deuxième album. On a beaucoup discuté sur l’image que je donnais. Quand j’étais en Europe et à Paris plus précisément, j’ai commencé à changer. Mon image déjà était différente de celle des autres protégées de Prince, parce que ce n’est pas lui qui l’a créée. L’image que j’avais était façonnée par Jean-Baptiste Mondino et Azzedine Alaïa avec qui je passais du temps, et Karl Lagerfeld y a contribué aussi. Paris m’a changée. J’avais des amis qui étaient rappeurs, les gens qui allaient en club se mélangeaient avec le monde de la mode, les cultures se mélangeaient, il y avait des Marocains et des gens de tous les coins du monde, je m’intéressais à la World Music mais Prince ne comprenait pas que je m’intéresse à tout ça, mais c’est parce que je sortais du cadre, de ma bulle. J’ai passé beaucoup de temps à rechercher une chanson de Cheba Fadela qui était sur une cassette. Je ne l’ai retrouvée qu’il y a 2 ans seulement. Je ne comprends toujours rien à ce qu’elle dit, mais ce n’est pas grave parce que j’aime ça et à la fin du clip de « Mia Bocca » quand Mondino a ajouté « ils ne sont pas encore prêts pour toi », il savait que j’étais différente. Il m’a demandé comment ça se faisait que j’étais avec Prince, « tu aimes les animaux, les enfants, t’amuser, tu es une personne simple ». Je ne savais pas, mais je comprenais que j’étais devenue différente.

J’étais un oiseau, et quand Prince a essayé de me remettre dans une cage, je n’ai pas pu. Et c’est devenu difficile entre nous, critique. J’avais de grands amis qui étaient Français, et mon esprit s’était ouvert. Et quand vous me disiez « Minneapolis » – Non ! Vous savez les choses simples de la vie, comme aller se balader, manger une salade, des plantes… Ça doit certainement être stupide pour vous, mais pour moi à l’époque, me dire « wow, on peut vraiment manger cette plante là ? », c’était incroyable.  C’était un tel plaisir, et si simple de prendre ces plaisirs. Et retourner dans une ambiance froide et matérialiste à Minneapolis avec une mentalité permanente de « je vais les défoncer sur scène » alors qu’il y a tellement de belles choses à faire dans la vie, ça ne me convenait plus. Mais il ne me comprenait pas. On n’était plus sur la même longueur d’ondes.

« Il appartient aux fans de faire quelque chose »

Pour revenir à « Flesh And Blood », vous dites que vous l’avez écrite avec Chris Bruce, celui avec qui vous avez sorti un album dans les années 90, c’est bien ça ?

Oui, et Prince l’a retravaillée. C’est ce que j’ai du mal à expliquer à l’Estate. Ils ont du mal à comprendre la chronologie des faits. Ils doivent référencer les enregistrements mais les gens doivent être honnêtes. Et il y en a qui sortent des bobaaaaards….et je ne dirais pas quiiiiiii. Un des chargés de relations publiques m’a dit que la vérité ne pesait pas lourd ces jours-ci, et malheureusement, certaines choses qui ont été dites ou écrites précédemment sont considérées comme des faits, même lorsque c’est faux. Certaines histoires sur des chansons que l’on croit écrites à propos de certaines personnes sont fausses. Certaines sont vraies. Mais ces mensonges restent gravés pour l’histoire. Et il appartient aux fans de faire quelque chose, un travail collectif pour retracer les faits et les œuvres chronologiquement, sinon tout sera déformé. Ils doivent rassembler les pièces du puzzle, dire ce dont ils se souviennent, ce qu’ils ont vu, entendu, vécu. Ça pourrait faire un beau travail.

C’est aussi pour ça qu’on est particulièrement heureux d’avoir ce moment d’échanges avec vous. Non seulement parce que votre album a bercé notre jeunesse et que vous avez fréquenté Prince, mais aussi parce que vous l’avait fait pendant plusieurs années clés et surtout parce que vous étiez à la fois une actrice et un témoin privilégié de tout ce que qui se passait à cette époque. Vous étiez dans cette équipe qui l’entourait. Cette interview dans le cadre de la promotion d’ « Originals » n’est qu’un moyen pour nous d’en savoir plus. Quand on a vu les crédits de « Jungle Love », on a été surpris de voir votre nom avec ceux de Morris et Jesse. De plus, les liens qui unissaient Prince, Jesse et Morris à cette période sont peu documentés, déformés ou mal connus. Ce n’est pas de la curiosité, mais on veut en savoir plus parce que ces disques font aussi partie de nos histoires individuelles. Ils nous ont marqués, façonnés nos oreilles, accompagnés durant nos vies. Et en tant que témoin et actrice de cette époque, vous avez beaucoup de choses à nous apprendre.

Oui, je vois ce que vous voulez dire et je veux vraiment le faire et parler. Parce que c’est devenu toxique. Je suis fatiguée de défendre son héritage. Ma famille me demande d’arrêter, mais c’est parce qu’ils ne voient pas les choses de la même façon. Même ma fille qui est musicienne me dit de laisser tomber. J’ai fait des crises d’asthme, de panique parce que je le défendais. Chacun à son histoire, mais je ne vois pas l’intérêt de mentir. Je ne cherche pas à obtenir quoi que ce soit, mais juste à dire ce qu’on faisait quand était jeunes. Je ne cherche pas à faire une tournée ou être une star, c’est ridicule. Pour moi c’est du passé tout ça. Mais je suis blessée. Quand je pense à cet homme, je le vois avec le même regard que celui que j’avais quand j’étais jeune, et ce sont les mêmes émotions, et les mêmes conneries qui reviennent. Je n’ai pas été invitée à la séance d’écoute pour « Originals », et je ne veux pas re-fréquenter des gens qui m’ont traitée comme de la merde. Je ne peux pas, ils ont gagné. Si je parle, c’est pour les fans. Il y en a d’autres qui sont comme moi. André Cymone, que j’ai toujours considéré comme mon grand frère, et d’autres me disent qu’ils sont fatigués. C’est dur de se sentir exclus et oubliés. Des gens comme Bernadette (Ndlr : la mère d’André Cymone) ont été oubliés. Ce sont eux qui ont permis à Prince de rester vivant quand il était enfant. C’est dur. On ne demande rien. On veut juste que l’histoire qui est racontée soit vraie. Je ne vais pas inventer une histoire pour que les gens s’intéressent à moi en disant « eh au fait, vous saviez que Prince et moi on baisait vraiment quand on enregistrait « Lady Cab Driver » ». Eh bien, non, la vérité est beaucoup moins excitante que ça. J’étais toute seule dans le studio, je me suis enregistrée moi-même à la console et Prince était dans une autre pièce à regarder la télé. C’est tout. On travaillait et après on est sorti s’amuser en ville. Les gens veulent inventer des trucs sur les histoires de sexe, sur des trucs comme « oh, Prince a écrit cette chanson à propos de cette femme qu’il aimait et blablabla », non !!! Tous les auteurs-compositeurs ne travaillent pas comme ça. Ils n’ont pas tous besoin d’une histoire vraie pour composer et vendre des disques. Ces grandes chansons qu’il a écrites tiennent par elles-mêmes et se suffisent. Pas besoin qu’il y ait une vraie femme ou qui que ce soit derrière l’histoire qu’il raconte dans ses textes.

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Mais « She’s Always In My Hair » a bien été écrite à propos de vous, non ?

Oui, mais attention, je n’ai pas dit pas que toutes ces chansons étaient fictives. Celle-ci, quand il l’a faite et qu’il me l’a donnée sur une cassette, il m’a dit que c’était sur moi. On avait eu une grosse dispute, une discussion sur l’oreiller qui avait mal tournée. Vous savez les musiciens sont des gens compliqués, ma mère me le disait souvent. Jesse était là, il peut confirmer ce que je dis. Prince n’a jamais nié que cette chanson fût à propos de moi. Il a contredit d’autres gens qui prétendaient être des sources d’inspiration (Ndlr : notamment dans l’interview publiée en ligne par Ebony en décembre 2015 dans laquelle il dit que « The Beautiful Ones » n’a pas été inspirée par Susannah) mais il ne m’a jamais démentie. J’ai encore ses lettres. Je ne les ai pas sorties. Je ne sais pas ce que je vais en faire. Mais là encore, ce ne sont que des lettres. Elles ne sont rien si ce qui est dit dedans n’est pas suivi d’actes. Ça ne résout pas un conflit. Ce sont les actes qui parlent, pas seulement les mots. Est-ce qu’il a eu un comportement abusif avec moi ? Oui. Mais Prince avait l’habitude de m’offrir ces cadeaux incroyables. Juste après m’avoir fait un truc horrible. Quand il m’a offert une voiture après « Purple Rain » je me demandais toujours ce qui allait se passer, qu’est-ce qui va me tomber sur la tête, quelle chaussure aller voler dans les airs. Qu’est ce qu’il va me demander ou me faire subir en échange? Quand tu aimais Prince, ça avait un coût. Tout avait un coût. Et il fallait être prête à tout donner, même ta putain de dignité. Et ce n’est pas forcément une mauvaise chose, ce sont juste des relations humaines, et on veut tous un mec comme Prince dans nos vies.

On oublie souvent que derrière le mythe, il y avait la réalité quotidienne d’un homme, d’un humain qui avait des relations ambivalentes avec son entourage, des bons et des mauvais moments avec des gens qui eux aussi avaient des sentiments. Vous n’étiez pas des robots. On a entendu des milliers d’histoires mais c’est souvent difficile de démêler le vrai du faux entre la réalité et les fantasmes.

Oui, et je parle de Prince en tant qu’homme, pas la « marque déposée » qu’il est devenu. Je parle de l’homme. C’est marrant de voir ce qu’il est devenu à travers « la marque ». J’ai travaillé dans la publicité et ce que je vois en ce moment me rappelle ça « oh regardez ce bel objet merveilleux ».

Et ce qui est intéressant, c’est que vous avez vu et vécu la transition entre l’homme et la marque. Vous l’avez connu avant et après son succès massif. Et vous savez mieux que nous que vivre ça pour un jeune homme, c’est important et ça change beaucoup de choses humainement et dans les relations avec les autres? Il y a beaucoup de jeunes qui sont devenus stars et qui l’ont mal supporté et sont morts à cause de ça.

Il était doué pour le marketing. Les gens ne le savent pas mais il lisait les livres de Louis B. Mayer, Edward Bernays et les ouvrages sur la propagande, il connaissait tout ça. Il cherchait à savoir comment faire le cross-over. Des gens ne veulent pas admettre qu’il portait beaucoup d’attention à ça. On avait des discussions sur ça, comment Michael Jackson, en tant que noir en Amérique a réussi à séduire le public blanc et ne plus être vu comme un noir. On parlait beaucoup de ce sujet. Et plus Prince devenait célèbre, moins il était accessible. Il voyait surtout des gens liés au business. Et forcément, il a appris à connaitre le monde d’une façon différente et ça a changé sa perception des choses.

Strange Relationships

Vous êtes aussi dans les chœurs de « Jungle Love » avec Morris Day et Jesse Johnson. Parlez-nous de cette époque qui nous intéresse tout particulièrement. Quelle était la relation entre Prince, Jesse et Morris ?

Ils étaient très proches. Ils rigolaient beaucoup ensemble. Jesse sortait toujours des blagues pendant les sessions d’enregistrement. C’était impossible de ne pas rire avec lui quand on était en studio. C’est un guitariste formidable. Et Prince avait besoin de Jesse pour ça, pour nourrir son esprit de compétition dont je vous ai parlé. Et il pensait que Jesse marchait sur son terrain. Prince avait toujours besoin d’avoir un rival, un ennemi pour booster sa création. Que ce rival soit fictif ou réel. Il regardait qui était numéro 1 dans les charts et voulait faire quelque chose de mieux. C’était un de ses traits de caractère : l’esprit de compétition. Et Jesse, même s’il peut paraître froid et avoir l’air de s’en foutre, est quelqu’un de très sensible. Et il en a voulu à Prince, parce qu’il n’a jamais reçu un signe de reconnaissance, de gratitude de sa part. Prince ne l’a jamais fait. Il était très dur. Il ne montrait pas suffisamment de signe de respect aux personnes de son entourage et ne cherchait pas à entretenir ses amitiés pour qu’on se sente en sécurité avec lui et instaurer un climat de confiance. Jesse voulait juste être traité et respecté comme un homme, tout simplement. Et il voulait pouvoir créer, mais Prince l’empêchait, donc il est parti. Jimmy Jam et Terry Lewis ont pris leurs responsabilités, et ils sont partis aussi. Ils savaient qu’ils ne pouvaient pas faire confiance à Prince pour avancer et ils sont partis. Prince voulait créer SON propre empire. Et il aurait dû être heureux que les autres aient réussi à créer les leurs. Mais ils n’auraient jamais pu le faire tous ensemble.

Il était content du succès de Jam & Lewis ?

Non. Pas vraiment. Il a toujours eu quelque chose de méchant et négatif à dire sur eux, mais pas au point de manquer de respect à leurs talents. Ça le faisait juste travailler encore plus. Quand l’album « Control » de Janet Jackson est sorti, il ne pouvait pas nier qu’il aurait dû les garder. Ils contribuaient positivement au Minneapolis Sound et ça le faisait bosser encore plus.

Il n’a pas regretté de ne pas avoir fait de Paisley Park Records le Motown des années 80 ? Il avait tellement d’auteurs-compositeurs et producteurs talentueux dans son écurie avec Jam, Lewis, Johnson. Son label aurait pu être énorme et avoir beaucoup de succès s’ils les avait juste laissés écrire et composer plutôt que de vouloir tout maîtriser et tout faire lui-même, non ?

Il n’aurait jamais fait ça. Berry Gordy, mon oncle, disait que Prince « devrait se reposer un peu sinon il allait causer sa propre chute et que Paisley Park ne resterait rien de plus qu’un « vanity label » sans importance ». Il était « trop artiste ». Et quand un artiste est trop artiste, il ne veut pas laisser les autres briller. Des gens disaient « Prince veut être un businessman », à un certain degré, il l’était. Mais dans les faits, il ne faisait pas confiance aux bonnes personnes, et n’accordait pas d’importance aux détails qui se sont révélés importants par la suite. Le fait par exemple de ne pas être propriétaire de ses masters est quelque chose d’incroyable, à moins d’avoir quelqu’un de confiance pour gérer à votre place. Mais il a mis du temps à comprendre ce qui arrivait à sa propre carrière.

Dans les années 80, vous étiez avec Susannah les principales choristes sur ses chansons. Comment Prince choisissait l’une ou l’autre pour une session ?

Ça a commencé avec l’album d’Apollonia 6. Il y a eu « Blue Limousine », j’ai chanté sur ce morceau, c’était le premier morceau de Brenda. Mais il y a eu un souci parce qu’Apollonia ne voulait aucune choriste sur ses morceaux (Ndlr : « Happy Birthday, Mr. Christian », « Sex Shooter » et « In A Spanish Villa »). Et Prince a dû prendre des pincettes pour que Susannah y soit quand même. Mais il fallait trouver un juste milieu entre les registres vocaux d’Apollonia et Brenda. Elles sont très différentes et si elles ne chantaient que toutes les deux, sans vouloir les vexer, ça aurait manqué d’harmonie. Et pour ce titre (« Happy Birthday, Mr. Christian »), il pouvait choisir Susannah ou moi sans que ça fasse de différence. Et pour aller plus loin dans ces histoires avec Wendy, Lisa et Susannah… Il faut savoir avec quoi il jonglait. Il avait ce groupe, ils ont eu leur argent avec « Purple Rain », mais n’étaient pas satisfaits de leurs pourcentages. Ils ont fait « Around The World In A Day », elles (Ndlr: Wendy et Lisa) ont eu de la reconnaissance et du succès, il les a mises en avant en pensant que ça allait les apaiser. Quand il s’est mis avec Susannah, la situation était devenue bizarre. Elles savaient très bien comment il était. Susannah était prévenue. Elle a été briefée par sa sœur (Ndlr: Wendy) sur les femmes qui tournaient autour de Prince, son caractère « il est comme-ci, il est comme ça, il fait ci et ça blablabla ». Elle n’était pas arrivée sans savoir où elle mettait les pieds. Quand Vanity et moi sommes entrées dans la vie de Prince, on ne savait rien de tout ce qu’il faisait avec d’autres filles. On était aveugles, on pensait qu’on était les seules. Susannah avait plus de connaissances sur le personnage en arrivant. Contrairement à nous à l’époque. Quand le triangle s’est formé entre Prince, les familles Melvoin et Coleman, ils ont commencé à le cocooner. Comme il est issu d’une famille à problèmes, il n’avait pas l’habitude, il n’aimait pas ça et a commencé à étouffer, comme un claustrophobe. Et il a dû gérer ça. Donc quand il devait enregistrer en studio, c’était difficile pour les autres parce qu’ils ne comprenaient pas que tout ne tourne pas autour d’eux. Prince a toujours mené plusieurs projets en parallèle ou alors il faisait des trucs dans son coin, que ce soit écrire ou enregistrer, comme l’enfant solitaire qu’il était. Il avait besoin d’être seul. Il y a beaucoup d’histoires dans lesquelles il relâche la pression en créant des situation extrêmes, en traînant avec Jesse, en enchaînant les fêtes. C’est aussi comme ça qu’il créait, il avait besoin de ça.

Pour en revenir à la question, on pouvait être toutes les deux sur la même chanson. On l’ a été sur « Good Love ». Susannah dirigeait la partie des chœurs, comme si c’était elle qui était devenue la responsable ou je ne sais quoi. Il a su qu’il ne fallait plus qu’il la laisse refaire ça. Elle n’a eu aucun problème pour se sentir supérieure, me traiter comme de la merde juste pour le plaisir et savoir que j’allais me sentir humiliée. Elle était en train de tirer ses ficelles et affirmer son pouvoir. J’ai dit à Prince de ne plus jamais m’appeler sur les mêmes sessions qu’elle, je ne viendrais pas s’il le faisait.

Et ironiquement, la chanson s’appelle « Good Love »

Oui. (Elle chante « Goooood Love ») Et je lui ai demandé « pourquoi on fait les chœurs sur une chanson qui sonne comme du Scritti Politti ? Ce n’est pas ton son». Mais qui étais-je pour lui dire ça ? Mais au-delà de ça, ce que je tiens à dire, c’est que tout démarré à l’époque où il était avec Vanity et moi. Nous sommes les « originales ». Nous étions là, à l’origine de tout ce qui est arrivé après. L’époque « 1999 », c’est à ce moment-là qu’il a échafaudé ses plans pour conquérir le monde.

Réconciliations

Vous avez partagé un titre, « 4 Lust » sur Youtube en 2011, puis retiré. Qu’est-ce qui a motivé cela (la mise en ligne et le retrait) ? Et pouvez-vous nous en dire plus sur ce duo et le destin de ce morceau ?

Je trouvais cette chanson bizarre. Il y avait un piano dans la chambre à coucher, il a fait cette chanson, qu’il sentait comme intime. Mais je n’étais pas convaincue à 100%. Je l’ai refaite à Londres avec Martyn Ware de Heaven 17, j’ai aimé sa version. Je l’ai mise sur Youtube, mais après je me suis dit que ce n’était peut-être pas une bonne idée. Il était encore là quand j’ai fait ça.

Ce n’est pas lui qui vous a demandé de retirer la chanson ?

Non. C’était à une époque où il faisait ces petites choses… Il envoyait des signaux. Il postait mes vidéos, et des petits signes et quand j’ai mis la chanson en ligne, c’était ma réponse à ses messages. Et il y a eu Alan Leeds qui l’avait critiqué pour sa performance au « Saturday Night Live » (en 2014), j’ai dit à Alan que ce n’était qu’une merde et qu’il n’y avait rien de pire quand tu es un artiste qui tente quelque chose que quelqu’un vienne et cherche à te détruire. Et Prince a retweeté mon commentaire ! Puis il l’a supprimé. Mes amies l’ont vu aussi. On s’est dit « oh oh, il veille ». Et quand on s’est revus (Ndlr : avec Apollonia 6 au complet après les funérailles de Vanity en février 2016), juste avant son décès, on a beaucoup parlé. Il était content de pouvoir récupérer ses masters, il m’a parlé des Témoins de Jéhovah et je n’arrivais pas à croire qu’il en était devenu un. J’ai été Témoin de Jéhovah quand j’étais enfant, et je ne comprenais pas qu’il le soit devenu. Et c’est comme s’il ne s’était rien passé entre nous. On a rigolé, il blaguait, il se moquait des autres filles qui étaient là en disant des trucs comme « tiens, Apollonia est encore bourrée ». Et je revoyais le Prince des débuts, celui avec qui je mangeais des cookies dans la voiture. On s’est réconciliés ce soir-là et on a joué au chat et à la souris sur les réseaux après.

The Future

En tant qu’artiste, mais aussi en tant que collaboratrice privilégiée de Prince, qu’est-ce que vous voudriez voir sortir du coffre ?

« When Doves Cry » avec toutes les pistes. Je veux que les gens sachent ce que c’était avant que l’on ait cette conversation et qu’il retire la basse du mix. Juste pour que les musiciens comprennent que même si ils ont enregistrés sur les 24 ou 48 pistes, ce n’est pas ça qui va leur permettre de faire vivre la chanson. Pour faire une bonne chanson, tu dois être en accord avec ce que tu ressens et suivre ton instinct. Et les gens lui disaient de ne pas l’enlever, il était dans le doute, et je lui ai dit de le faire. Je suis content qu’il s’en soit rappelé, et je veux que les gens entendent cette chanson avec toutes les pistes. Peut-être qu’ils diront que c’était une mauvaise décision de retirer la basse, mais ça a fait un carton. Et j’aimerais que le gens entendent ça. On devrait se sentir humbles d’avoir été près de lui. On était comme des apprentis. J’ai du mal à comprendre les gens qui pensent qu’ils valent autant que lui, qu’ils se considèrent comme un de ses pairs. Il est devant tout le monde. Il a eu beaucoup de vies, il a su se réinventer.

Faites-vous partie des personnes systématiquement consultée par l’Estate sur les projets posthumes de Prince ? Et sur les prochains?

Ils m’ont appelée. Cette année. Mais je pense qu’avec le temps…Ça fait 3 ans maintenant, je suis fatiguée de tout ça. C’est toxique. Il y a trop de négativité, de colère, de cris…. j’ai ma part de responsabilité là-dedans aussi et je n’en peux plus. Ça serait bien, mais je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui est prévu, quelle est leur vision. Je vois les choses chronologiquement. J’ai voulu commencer un livre, j’ai laissé tomber.

Quels sont vos projets ?

M’occuper de ma fille (rires).

Et rien dans la musique?

Non. Je travaille dans la publicité, je fais quelques représentations mais je ne veux pas retourner dans l’industrie de la musique. Ma fille est dedans, je veille sur elle et l’aide à se faire sa place.   Question bonus : 

Est-ce vrai que vous avez travaillé avec Angie Stone dans les années 80 ?

Oui. C’était ma choriste dans mon groupe.

A l’époque de Paisley Park ?

Oui, c’est une très bonne amie et on écrit pas mal de chansons ensemble.

 

Interview réalisée par téléphone le 6 juin 2019 par Raphy & Chak. Avec l’aide de DMY.

Photo en une : Seth Neblett

 

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