Il y a 35 ans, en octobre 1980, Prince sortait l’album « Dirty Mind ». Cet anniversaire est l’occasion pour de nombreux sites musicaux (Pitchfork, Soulheads, The Boombox.com, Les Inrock, Billboard…) de publier des articles très intéressant revenant sur la genèse, le contenu et l’héritage de cet album historique. Ce troisième disque est le premier tournant marquant de sa carrière. Prince prend une nouvelle direction musicale avec un funk teinté de rock tendance punk (vous avez dit Funk-N-Roll?) et de new-wave. Outre les qualités musicales de cet opus, sa pochette, les lyrics et les concerts qui ont suivi donneront à Prince une image qui lui colleront à la peau pour le reste de sa vie, même s’il a peut-être du mal à les assumer aujourd’hui. Cet album marque pour beaucoup, le début de son age d’or (qui se terminera en 87 ou 88, selon les avis).

There’ll Never B Another Like Me

Les 8 titres qui composent cet album ont été enregistrés sur une très courte période au printemps 1980, après la tournée « Fire It Up » de Rick James sur laquelle Prince assurait la première partie. L’antagonisme et la rivalité nés à cette époque entre ces deux stars du funk ont été maintes fois racontées par les entourages des deux parties (dans les biographies des deux artistes, Dez Dickerson dans son autobiographie « My Time With Prince » et Teena Marie en interview….). Rick James ne supportait pas que le jeune Prince, qui n’avait alors que deux albums à son actif et un seul tube (« I Wanna Be Your Lover »), lui vole la vedette sur scène, lui pique des idées et ait le toupet de refuser de signer un autographe à sa mère. La rancœur de James sera tenace, puisqu’il n’hésitera pas à « clasher » Prince en interview à plusieurs reprises dans les années 80 et exprimera son ressentiment vis-a-vis de lui dans son autobiographie « Glow » parue à titre posthume. De son coté, Prince bien que l »influence de James sur sa musique et son look sont indéniables, n’abordera jamais cette épisode mais lâchera quand même un « R.I.P Rick James » pendant un concert en 2004 et un timide name-dropping dans « There’ll Never B Another Like Me » sur MPLSOUND en 2009. Il reprendra également quelques uns de ses titres en concert.

 

C’est précisément au cours de cette tournée « Fire It Up » que Prince a composé un des morceaux emblématiques de « Dirty Mind » : « When You Were Mine ». Selon la légende, le groupe était à Miami et voulait en profiter pour aller à Disneyland. Prince a préféré rester dans sa chambre d’hôtel et écrire un morceau en écoutant du John Lennon. Cette chanson sera un des titres phares de l’album et un de ses premiers classiques. « When You Were Mine » sera également reprise par Cindy Lauper. Autre incontournable de « Dirty Mind », la chanson « Head » (fellation).  Prince avait déjà ce titre en juillet 1979 lorsqu’il travaillait avec son groupe sur un album resté inédit (The Rebels). Les paroles de cette chanson feront date puisqu’elle raconte l’histoire d’une future mariée qui aime faire des gateries à son amant, en l’occurrence Prince. Rarement des artistes avec une notoriété naissante et aspirant au crossover (chanteurs noirs plaisant au public blanc) osaient aller aussi loin à cette époque. Si il avait déjà proposé des chansons « osées » ou à double sens sur ces deux premiers albums, c’est la première fois que Prince balance des paroles aussi crues sur disque. Cette chanson passera à la postérité et sera un de ses morceaux de bravoure sur scène. La jeune fille est jouée par une certaine Lisa Coleman, qui fait là sa première apparition sur un album de Prince. C’est le point de départ d’une longue et riche collaboration entre ces deux artistes. L’autre musicien emblématique qui contribue à « Head » n’est autre que le Dr Fink.  Il est le premier musicien que Prince laisse jouer sur un de ces albums. Jusque là, Prince jouait l’intégralité des instruments sur tous les titres de ses disques (« For You » et le deuxième album éponyme). C’est sa marque de fabrique, avec la fameuse mention « produced, composed, arranged and performed by Prince ». Même si en pochette intérieure de « Dirty Mind » il y a une photo de Prince avec son groupe d’alors [André Cymone, Dez Dickerson et le noyau dur de The Revolution  (Bobby Z., Matt Fink et Lisa Coleman)], Prince joue de tous les instruments (batterie, basse, guitare, claviers) sur tous les titres à deux exceptions prés.

En plus d’un solo épique sur « Head », Fink est co-auteur de la chanson titre « Dirty Mind », sur laquelle il joue également. En partant d’un riff crée par Fink aux synthés pendant une séance de répétitions, Prince a composé, écrit les paroles et enregistré cette chanson en une nuit avec l’assistance du docteur. Nombreux sont ceux qui verront une influence de cette chanson sur le fameux « Jump » de Van Halen, paru en 1984. Si Fink a été crédité comme co-auteur sur une chanson de cet album, d’autres non pas eu cette chance. C’est le cas d’André Cymone, qui revendique la paternité de la ligne de basse d’« Uptown ». Cette affirmation est confirmée par Dez Dickerson. Comme pour « Dirty Mind », la mélodie serait née au cours d’une session de répétitions, mais Prince se serait approprié cette ligne de basse pour faire « Uptown » et se créditer comme auteur unique du titre. André Cymone déclarera aussi que « Do Me, Baby » sur « Controversy » était aussi une de ses chansons et que là encore Prince a « oublié » de le créditer. Pour rester sur « Uptown », c’est la première fois que Prince évoque dans ses lyrics un endroit où les gens sont ouverts d’esprits, libres, pouvant vivre sans être victime de préjugés, préfigurant ainsi « Paisley Park » et la New Power Generation. Autre chanson figurant sur « Dirty Mind » qui n’aurait pas été réellement composée par Prince : « Partyup ». Cette dernière est, musicalement, en grande partie l’œuvre de son vieil ami Morris Day. Prince a proposé un deal à Morris pour avoir le droit d’utiliser ce morceau : 10 000 dollars ou son appui pour fonder un groupe et sortir des albums chez Warner. Ainsi est né The Time, qui sortira son premier disque moins d’un an plus tard, en collaboration avec un certain Jamie Starr (crédité comme ingénieur sur « Dirty Mind »). Avec « Uptown », « Partyup » est une des premières chansons de Prince qui ne parle pas d’histoire d’amour ou qui s’éloigne de la chambre à coucher. C’est une chanson anti-guerre avec des lyrics plutôt simples et classiques. Moins habituelles pour les auditeurs, les paroles de « Sister » attireront l’attention. Prince y raconte sur 1’30 une histoire d’inceste avec sa sœur qui « ne porte pas de culotte parce que ça la défrise » quand il avait 16 ans. Certains biographes ont pensé que cette « sœur » serait en fait sa demi-sœur qui vivait à New-York et chez qui Prince a passé un moment pour décrocher un contrat en maison de disques en 1976 (il venait d’avoir 18 ans). Secret de famille dévoilé en place publique ou fiction totale, nous ne le saurons probablement jamais. Avec « Head », « Sister » figure au panthéon des chansons les plus crues sexuellement jamais enregistrées par Prince. Un détail, c’est aussi la première chanson, et la dernière avant longtemps, sur laquelle Prince dit « Motherfucker » sur un de ses albums officiels.

Les deux chansons restantes marqueront moins les esprits, bien qu’elles soient de qualité : « Gotta Broken Heart Again » (gentille balade pop qui retrouvera une seconde jeunesse avec le One Nite Alone Tour en 2002) et « Do It All Night », injustement oubliée par Prince.

Le succès auprès des critiques fut immédiat et unanime, malgré la vulgarité de certaines paroles. Les ventes ont par contre été décevantes par rapport à l’album précédent qui avait été certifié platine (1 million d’exemplaires vendus, classé 22eme dans les charts pop). « Dirty Mind » n’ira pas plus haut que la 45eme place du Billboard pop et atteindra péniblement le disque d’or (500 000 exemplaires) en 1984, lors du tsunami « Purple Rain ». Deux singles seront commercialisés : « Uptown » et « Dirty Mind ». Ils feront l’objet de clips et se classeront honorablement dans les charts black.

Prince part en tournée 2 mois après la sortie de l’album, mais le succès n’est pas au rendez-vous. Beaucoup de salles ne sont remplies qu’à moitié. Début 81, il est décidé de revoir le circuit de la tournée pour aller vers le public new-wave. Cette nouvelle stratégie, aidée par le bouche-à-oreille positif et les critiques favorables portera ses fruits. Un troisième titre, exclu de l’album, « Gotta Stop », fera l’objet d’un 45 tours pour promouvoir la première escapade de Prince en Europe (avec le fameux concert au Palace en juin 1981) . Au cours de ces concerts, Prince portait, comme sur la pochette de l’album, un slip, des jambières noires et un imper clouté. Ces images sont encore gravées dans l’imaginaire collectif lorsque l’on évoque Prince.