Judith Hill était à Paris le vendredi 5 octobre 2018, pour un concert unique au New Morning, dans le cadre de sa tournée européenne (14 dates), The Chasing Rainbows Tour.

Judith Hill

Elle est accompagnée sur scène d’une formation de 4 musiciens : son père Robert Hill à la basse, sa mère Michiko Hill aux claviers, RJ Ronquillo à la guitare, Michael White à la batterie et 2 choristes, Ashley Minnieweather et Myra Washington. Judith Hill a joué pendant près de deux heures des titres issus de son premier album (« Back In Time » sorti en 2015 sur NPG Records, représenté notamment par « Jammin’ In The Basement », « Cry, Cry, Cry », « As Trains Go By », « Turn Up », « Angel In The Dark », « My People » et « Wild To Night »), des reprises d’Aretha Franklin (« Rock Steady »), les Staple Singers (« Let’s Do It Again ») et Michael Jackson (« They Don’t Care About Us »), mais surtout des chansons de son second album, « Golden Child » prévu pour le 30 novembre 2018. Après la séance de dédicaces et d’échanges avec une partie du public, Judith a reçu Schkopi pour une interview et a accepté de revenir sur sa carrière, la conception de son album « Back In Time » avec Prince et ses projets futurs.

Back Into Time

Vous venez de donner un concert à Paris et vous vous apprêtez à sortir votre second album. Vos parents étaient sur la scène du New Morning ce soir et vous accompagnent sur votre tournée. Avec des parents musiciens, vous avez du baigner dans la musique dès votre plus jeune âge. Dans quel environnement musical avez-vous grandi ?

J’ai grandi dans une famille de musiciens. Tout le monde jouait d’un instrument à la maison. Des gens venaient aussi chez nous pour enregistrer. J’avais des mentors comme Ross Stone de Sly & The Family Stone qui venaient chez nous. Notre maison a toujours été remplie de musique et on y enregistrait tout le temps. C’était très inspirant et c’était notre façon de vivre. La musique a toujours été autour de moi.

Quels étaient les artistes que vous aimiez le plus quand vous étiez plus jeune ?

J’écoutais beaucoup de gospel : The Clark Sisters, Vanessa Bell Armstrong, Aretha Franklin. Et bien évidemment, beaucoup de funk, James Brown, Sly et un large éventail de ce qui se faisait dans la Soul.

A quel moment vous avez décidé d’en faire un métier ?

Au début, je n’en étais pas sûre, mais je n’ai pas pu m’en empêcher. J’étais née pour chanter et c’est au lycée que j’ai décidé de faire de ma passion un métier. Avant je faisais ça naturellement avec mes parents, mais c’est au lycée que je me suis rendue compte que c’était ma vie et que je ne pouvais pas vivre sans ça.

Et à quel âge avez-vous avez débuté votre carrière professionnelle ?

Ma première vraie expérience professionnelle, c’était en France, quand j’étais dans le groupe de Michel Polnareff (en 2007). C’était ma première fois en tant que choriste. Avant ça, j’avais chanté dans des églises, mais pas de façon « professionnelle ».

Vous avez rencontré Michel Polnareff lors d’une audition à Los Angeles d’après ce qu’on a compris dans vos précédentes interviews, mais saviez-vous ce qu’il représentait pour le public Français ? Aviez-vous conscience de qui il était et que c’était une grande célébrité en France? C’était l’année de son grand come-back sur scène.

Je ne le savais pas, je l’ai appris par la suite. On a fait toutes les répétitions à Los Angeles. Et le soir du premier concert à Bercy, je me souviens du moment où j’étais dans les coulisses et j’ai entendu les cris énormes du public. Je me suis dit : « on dirait qu’il y a BEAUCOUP de monde ».

Et ensuite, vous avez travaillé comme choriste pour beaucoup d’autres chanteurs comme Elton John…

Oui, mais après c’était surtout en studio. J’ai travaillé avec Elton John, Rod Stewart…

Puis vous avez travaillé avec ces légendes de la musique que sont Michael Jackson, Stevie Wonder et Prince. Vous avez réalisé le rêve qu’ont fait des milliers de musiciens à travers le monde.

C’était surréaliste au début. Le premier, ça a été Michael Jackson. Juste après la tournée avec Polnareff, je suis retournée à Los Angeles. Je cherchais du travail, je jouais dans des clubs et j’ai rencontré quelqu’un qui était ami avec le directeur musical de Michael Jackson pour ses prochains concerts. Il m’a conseillée de venir auditionner. Je pensais qu’on allait être 10 000 à se présenter à l’audition, mais nous n’étions que 2 ce jour-là. Michael s’était déjà renseigné sur moi, à travers mon « myspace » et d’autres choses sur le net, et il a fini par me choisir.

Et à cette période-là, vous aviez déjà commencé à travailler sur vos propres chansons et votre propre album ?

Oui, j’avais déjà enregistré des chansons. Je devais sortir quelque chose mais il m’a demandé de faire ses concerts avant (les concerts de This Is It à Londres).

Ensuite vous rencontrez Prince suite à une interview que vous aviez donnée et dans laquelle vous disiez que vous aimeriez bien travailler avec lui.

Oui, c’était bien des années plus tard. Lorsqu’on m’a demandée avec qui j’aimerais travailler, j’ai répondu « Prince », mais je n’aurais jamais pensé qu’il allait regarder cette interview.

Back In Time, l’album

C’est finalement grâce à lui que vous avez sorti votre premier album. Vous aviez débuté votre carrière professionnelle en 2007, mais votre album n’est sorti qu’en 2015, alors que vous travailliez dessus depuis plusieurs années.

Oui, à cause des répétitions et des tournées. Celles de Michael, la tournée avec Stevie Wonder qui a duré un an. Ensuite, j’ai participé à The Voice, à 20 Feet From Stardom (documentaire disponible sur Netflix) qui a aussi débouché sur une tournée. Je n’avais pas eu l’occasion de sortir un disque dans de bonnes conditions à cette période, c’est pour ça que ça a mis autant de temps.

Votre album « Back In Time » est réputé pour avoir été réenregistré très rapidement à Paisley Park (d’après les propos de Prince dans un article pour le Startribune)

On a fait ça en 2 semaines.

Vous aviez écrit toutes les chansons seule avant.

La majorité des chansons avaient été écrites avant, oui.

La majorité ? Et est-ce que Prince a contribué à l’écriture des autres ?

Oui

Lesquelles ?

On a écrit ensemble « Wild Tonight », « Back In Time », « As Trains Go By » et « Turn Up ».  Ce sont les titres que nous avons écrit ensemble.

Il n’est pas crédité comme compositeur dans le livret.

Oui, il ne voulait pas vraiment….il a juste dit : « on n’a pas besoin de l’écrire ».

Comment avez-vous travaillé sur ces chansons avec lui ?

« Wild Tonight » a commencé par une de mes parties au piano, il a été dans une autre pièce et a commencé à y ajouter de la guitare, puis Kirk (Johnson) s’est mis à la batterie. Ça s’est fait comme ça, on a construit un groove à partir du piano. La chanson « Back In Time » est partie d’une histoire d’amour que je voulais raconter comme si c’était un livre. J’ai trouvé la mélodie et les premières idées. Et Prince écrivait dans une autre pièce l’autre partie des paroles. On a assemblé le tout et il voulait que ce soit comme un film, plus imagé, comme si on remontait le temps et que l’on revivait les moments capturés sur les vieilles photos. On a travaillé ensemble sur le concept des paroles.

« As Trains Go By » et « Turn Up » viennent de nos discussions et échanges sur le Funk, Sly etc….

La première fois que vous avez sorti l’album sur le net, le titre « Back In Time » n’était qu’un silence d’une seconde. C’était un clin d’oeil à Sly Stone et l’album « There’s A Riot Goin’ On » avec la piste silencieuse à la fin de la première face du disque ?

Oui, c’est ce qu’on voulait faire.

Mais la chanson existait déjà ?

Oui.

« Back In Time » est d’abord sorti gratuitement sur Internet, avec un lien de téléchargement envoyé par mail. Il y avait une raison précise ?

Prince voulait faire un partenariat original avec LiveNation, que l’album soit mis à disposition par une campagne d’émail et que ça arrive directement chez tous ceux qui sont sur la mailing-list de LiveNation. C’était une campagne de marketing non-conventionnelle, originale et un moyen de sortir l’album. Il disait qu’on allait le sortir normalement, mais c’est bien de faire ça comme ça pour marquer le coup.

Mais vous étiez d’accord d’emblée avec cette démarche ? Parce que, comme vous l’aviez dit tout à l’heure, c’est vous qui avez écrit le trois-quarts de l’album toute seule. Ça ne vous gênait pas de le « donner » comme ça.

J’étais réticente au début, mais on a quand même décidé de le faire. C’était une première étape intéressante. J’avoue que j’étais partagée sur cette idée, je ne savais pas à quoi m’attendre avec cette démarche.

Et aujourd’hui, vous pensez que vous avez fait le bon choix ?

Je trouve que c’était intéressant, surtout avec l’évolution du business de la musique. L’idée de vendre de la musique dans un monde de streaming, on en parlait tous les jours lui et moi pour savoir comment s’ajuster et s’adapter à cet environnement. A l’époque, c’était un moyen audacieux pour sortir notre musique, et la pré-vendre.

Y’a-t-il des chansons sur lesquelles vous avez travaillé avec Prince et qui ne sont pas sorties à ce jour ?

Il y a quelques chansons que je lui avais apportées et sur lesquelles on a retravaillé les arrangements, et qui n’ont pas été retenues pour « Back In Time ».

Et elles seront sur votre prochain album ?

Oui pour une chanson. Mais il n’y aura pas sa contribution et sa production sur ce titre. J’ai refait la chanson depuis.

Et comment est née la chanson « Million Dollar Show » (sur HitNRun Phase One »)?

Il était en studio, il préparait son album pendant que je répétais dans une autre salle pour préparer un concert. Il m’a demandé d’écrire un refrain, il a aimé, puis il est retourné dans son studio. Il m’a ensuite demandé de le rejoindre pour enregistrer mes parties vocales.

Quel regard portez-vous sur « Back In Time » 3 ans après sa sortie ?

J’en suis fière, c’est un vrai trésor, qui symbolise tellement de choses pour moi. Une libération, une émancipation, j’étais coincée dans un système infernal et j’ai pu revenir à mes racines Funk et Soul, comme lorsque j’étais enfant. Et Prince a été le partenaire idéal pour me ramener cette énergie. L’album était un vrai retour vers le passé, c’est donc pour ça qu’on a choisi « Back In Time » comme titre.

Judith Hill

Prince et Minneapolis

Quand vous avez travaillé pour la première fois avec lui, c’est aussi la première fois que vous alliez à Minneapolis ?

J’y avais été quand j’ai fait la première partie de Josh Groban à Minneapolis (en octobre 2013). Je me souviens avoir entendu quelqu’un dire que Prince organisait une soirée « pyjama » à Paisley Park (The Breakfast Experience Pajama Dance Party le 19 octobre 2013). On s’est regardés, avec les autres membres du groupe, on s’est demandé ce que cela voulait dire, et on a commencé à réfléchir pour s’y rendre. Mais on n’était trop fatigués surtout qu’on ne savait pas à quelle heure ça allait vraiment commencer et à quelle heure ça pouvait finir.

C’était votre première fois et dans le cadre d’une tournée, mais quand vous travailliez avec Prince, vous êtes restée plus longtemps dans la ville. Avez-vous ressenti quelque chose de spécial dans cette ville, parce qu’il y a des groupes partout, c’est une toute petite ville avec tellement d’endroits où la musique live est interprétée par des musiciens talentueux. Vous aviez du temps pour aller voir tous ces groupes dans ces bars et clubs, est-ce qu’il vous y emmenait ?

J’aimais le Bunker’s, le Dakota Jazz Club. On allait dans plusieurs endroits pour voir des groupes.

Il vous emmenait dans ces clubs pour vous faire ressentir ce que cette ville représentait pour lui ?

Tout le temps. Il y a une pureté dans cette ville et une énergie musicale qui est libre de toute turbulence. Il parlait souvent de l’air pur, de la neige et des fréquences de Minneapolis qui lui permettaient de se sentir mieux, et de mieux créer. Je ressentais vraiment cette pureté dans cette ville, les musiciens y sont incroyables, le Bunker’s avec Margaret par exemple….

Il vous emmenait voir le Combo (« Dr Mambo’s Combo »)?

Oui, pour voir Margaret (Margaret Cox, connue aussi sous le nom de Margie Cox, chanteuse de The Combo) et ses musiciens. Beaucoup de talents.

Vous êtes encore en contact avec des gens de Minneapolis ?

Oui, j’ai gardé des contacts, mais je n’y suis pas allée depuis… Je n’y suis pas retournée depuis CE moment (elle fait référence à la période hommage d’octobre 2016) C’est trop dur pour moi. Même chanter ses chansons sur scène m’est très difficile, c’est pour ça que je ne le fais pas.

Qu’avez-vous appris avec Prince ?

Question difficile. Je ne sais pas comment dire ; il m’a appris à traverser les croisées de chemins où tu apprends beaucoup sur l’amour, le courage. Surtout le courage quand il prend ses racines dans le spirituel pour affronter l’adversité, trouver la force intérieure et le pouvoir pour se dépasser musicalement et utiliser la musique comme une arme, une force pour faire une déclaration au monde et sortir des ténèbres. La musique apporte la lumière et la vérité. Avec lui, j’ai appris qu’on pouvait se sacrifier pour la musique. On pourrait discuter pendant des heures sur ce que j’ai appris avec lui en termes de musicalité, d’arrangements etc… mais avec lui, la musique prenait vraiment toute sa vie. Il a sacrifié sa vie à la musique, pour servir les gens et donner cet amour. J’avais déjà une idée sur le sujet avant de le rencontrer, mais avec lui, j’ai vu que ça pouvait être encore plus profond. Vivre et se donner pour la musique au point qu’elle devienne vitale pour toi, comme l’eau et l’air, et que c’est ce qui t’aide à atteindre le sommet et à traverser les eaux profondes, c’est ce que j’ai appris avec lui. (ndlr :  Judith Hill est alors très émue, elle parle sans nous regarder, de manière très introspective. Il est possible qu’à ce moment nous ayons pu aller plus loin, car elle sait très bien qu’on a compris ce que voulait dire « sacrifier sa vie pour la musique », mais nous avons été interrompus, et l’artiste, très pro, est revenue à des réponses sincères, mais plus conventionnelles)Judith Hill

Golden Child

Vous allez bientôt sortir votre second album, Golden Child, 3 ans après Back In Time. Vous avez travaillé dessus pendant 3 ans où a-t’ il été enregistré récemment ?

Beaucoup de ces chansons ont été enregistrées entre 2015 et 2016. Je n’avais pas la force pour les sortir. En fait, Prince avait écouté l’album, il a aimé beaucoup de choses. J’ai écrit ces chansons à cette période de ma vie (avec Prince), et c’était trop lourd pour moi de le sortir et qu’il ne m’appartienne plus.

Difficile parce qu’il est trop personnel ?

Oui, très personnel. Le message est personnel, je n’ai pas vraiment envie de le laisser partir, mais je sais quand même que c’est le moment.

Il a donc entendu votre album ?

Pas la totalité. J’ai écrit d’autres chansons depuis. Mais il en a écouté une grande partie…..Juste une semaine avant en fait… (ndlr : le fait qu’elle évoque sa disparition crée un moment de flottement assez déstabilisant à ce moment)

Transition difficile : qui sont les musiciens sur votre album ?

Les musiciens qui sont sur scène avec moi ce soir. Le guitariste Tony Maiden (de Rufus & Chaka Khan) joue aussi sur pas mal de titres.

Et vous avez aussi un projet de comédie musicale avec cet album ?

Oui, une comédie musicale inspirée par les chansons de cet album. Ça parlera de la diversité, de l’inclusion et d’unité dans le monde. Ça parlera du dépassement de l’adversité et de la haine dans nos sociétés et comment réaliser qu’une personne qui est différente de toi n’est pas à craindre, mais à aimer pour comprendre que nous sommes tous pareils. L’histoire de Golden Child est celle de groupes qui se détestent et qui s’expriment à travers la danse. Les danses racontent une histoire, les musiques sont sans paroles et l’histoire est déroulée à travers la danse.

Et l’album en est la bande originale ou c’est un projet distinct qui peut venir en complément ?

C’est un complément.

Et vous jouerez dans cette comédie ou vous allez juste la diriger ?

Je jouerai dedans.

Et vous allez tourner avec ce spectacle ?

Oui, mais c’est quelque chose qui demande une organisation importante. La première aura lieu à Los Angeles, début décembre. On espère aller à Broadway.

En fonction du succès, ce genre de spectacle peut durer plusieurs années

J’envisagerais plus ça comme une « résidence » de 2 ou 3 mois à New-York et quelques représentations ailleurs dans des villes comme Londres.

Un mot pour votre public français ?

Je vous remercie pour votre soutien, j’ai ressenti de l’amour ce soir. Je suis reconnaissante pour l’énergie que vous m’avez donnée, et j’ai envie de revenir dans cette ville.

C’est aussi génial de vous voir, la Purple Army, continuer à propager tout cet amour et cette énergie et garder l’esprit de Prince vivant.

Judith Hill

 

Interview réalisée le 5 octobre 2018 par Raphy & Chak

Photos : Margaux Rodrigues

La tournée se poursuit en Europe jusqu’au 13 octobre

Site officiel : www.judithhill.com

Tournée judith Hill

 

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