Avant de le relire plus sérieusement et de le poster sur jazzmagazine.com, voici un modeste compte-rendu.
Fred Goaty / Fredoziq (Spéciale dédicace : Luc)
Comment rendre compte d’un tel concert cinq heures à peine après que les dernières notes de musique – un Purple Rain hyper-émotionnel vite tranformé en ode au New Morning – aient résonné au cœur du club parisien dont le nom sera plus que jamais indissociable de la légende princière ? Pourtant, il faut bien jeter quelques mots, même en vrac, sans trop y revenir, à vif plus qu’à chaud. Le flot de sons et d’images qui bouillonne dans ma tête est impossible à canaliser. Pendant plus de trois heures et trente minutes durant, entre 2 h 30 et 6 h, environ, Prince et son groupe, le NPG, ont transformé la scène du “New” en jardin extraordinaire. Le “New”, c’est notre club à nous, les jazzfans parisiens, ses murs rouges sont à nous, ses trois marches qui mènent à la scène sont à nous, sa coulisse minuscule est à nous, ses vibrations sont à nous… Depuis belle lurette, nous ne comptons plus le nombre de concerts et de musiciens exceptionnels que nous y avons applaudi. Hier soir, donc, Prince était chez nous, au New. Comme en 1986 (j’y étais pas). Comme en 1987 (j’y étais). Son comeback 20Ten allait-il nous faire oublier son gig historique d’il y a vingt-trois piges ? (À propos de pige, l’une de mes premières, dans Jazz Magazine, fut un compte-rendu du concert de devinez qui devinez où…) Après avoir enfin réussi à entrer, après une interminable attente devant « nos » portes noires effrontément-désespérement closes des heures durant (mais un insider-informateur nommé Yazid M. nous tenait régulièrement informé, merci à lui, c’était bon pour le moral), Prince était déjà sur scène en train d’interpréter Stratus de Billy Cobham, comme à Jazz à Montreux, l’an dernier. Ça commençait donc fort : ces derniers temps, Prince et Jeff Beck (dont l’ex-bassiste, Tal Wilkenfeld, vient récemment de se rapprocher du giron princier…) ont remis au goût du our ce standard jazz-rock. À la bonne heure. À peine son électrisant chorus lâché, notre hôte du soir s’en retourne backstage un bref instant et laisse ses trois épatantes choristes, Shelby J. en tête, nous interpréter Brown Skin d’India.Arie, I’ve Never Loved A Man d’Aretha Franklin et Baby Love de Mother’s Finest. Ambiance. Soul, R&B funk : c’est déjà la fête. Prince est vite revenu à la guitare (les premières minutes, son rack d’effets lui donna quelques soucis, mais tout rentra rapidement dans l’ordre). Passé ces trois reprises, Prince se rapproche du micro pour chanter une perle rare de son back catalogue, la ballade douce-amère Strange Beautiful. La voix est parfaite, d’une justesse et d’une profondeur qui laissent rêveur. Sometimes It Snows In April est quelque peu perturbé par le retour de ses soucis guitaristiques (ah !, l’électronique…), mais qu’importe, voilà le temps d’une autre reprise, Hair de Graham Central Station, qu’il chante d’une voix grave pour mieux coller à celle de son intreprète original, son ami et mentor Larry Graham. Sur un riff de basse électrique, il semle plus ou moins improviser la chansons suivante, sorte de rap lent et hypnotique. Thank you, goodnight… Déjà ?! ça ne lui ressemble pas.
Premier rappel.
Liv Warfield, l’une des trois magnifiques choristes, se lance dans un vibrant When Will We B Paid ? (une chanson-manifeste enregistrée par Prince il y a quelques années). Prince partage un clavier avec Morris Hayes. Pour Que Sera Que Sera, c’est au tour de Elisa Fiorillo de chanter en lead, titillant aussi bien la mémoire de la reprise seventies de Sly & The Family Stone que celle de la version originale, incarnée naguère par la délicieuse Doris Day. Grand moment. Puis vient le temps d’être funky, très funky : Prince griffe le riff de Controversy, et le New commence de basculer dans une autre dimension. Il fait chaud. Hot Summer, indeed. En prime, nous assistans le Maître pour chanter avec quelques slogans groovy bien troussés de Housequake. La température augmente. Thank you, goodnight ? Ça ne lui ressemble toujours pas.
Deuxième rappel.
En duo avec son son pianiste Renato Neto, la ballade I Love U But Eye Don’t Trust U Anymore. Émotion. Comment ce monsieur arrive-t-il à chanter avec une voix aussi cristalline et claire à une heure si tardive et dans une telle ambiance ? (Chaleur, humidité…) Quelques specila request fusent dans la salle : 17 Days ! Dreamer ! Va pour Dreamer et son riff à la découpe hendrixienne, écourté au profit, ô joie, de The Ride. Le blues fait son entrée. Sensuel et électrique. Nouvelle reprise : le discoïde Miss You des Rolling Stones ! Prince s’amuse à reproduire les postures et la gestuelle de Keith Richards, et c’est hilrant. Et quand il imite à la perfection Mick Jagger (mimiques, timbre, phrasé), c’est hallucinant. Et voilà Kiss ! Version dantesque, incroyablement funky, en grande partie chantée par un public qui n’ignore rien du songbook princier (encore bravo). Prince improvise quelques flashes polychromes au synthétiseur : Herbie Hancock ne ferait pas mieux. Et bang, Cream ! Une montagne de Chantilly sonore semble recouvrir les premiers rangs. L’hystérie gagne les moindres recoins du New. Les bouches commencent d’être bées, les mâchoires de tomber. Ce n’est qu’un début. Thank you, goodnight… Hmm, va falloir taper bien fort dans nos mains. On y croit.
Troisième rappel.
Face b culte des années 80, How Come U Don’t Call Me Anymore achève de faire basculer le New dans une dimension parallèle, là où seuls les grands créateurs et leurs apôtres euvent communier. Prince et ses choristes donnent des airs de grand messe à cette chanson. C’est sublime, et bouleversant. Thank you, goodnight… Non, non, non, tu ne vas pas repartir comme ça mon vieux Prince…
Quatrième rappel.
Elisa Fiorillo s’approche du micro tandis que Prince joue le riff de Shake Your Body (Down To The Ground) des Jacksons. Le New se met à twister comme jadis le Studio 54 de New York. Très vite, le hit michaeljacksonien laisse la place à un implacable enchaînement/déchaînement de reprises slystonniennes : Everyday People et I Want To Take You Higher. Ça ne chauffe plus : ça brûle ! Higher, higher, higher… Nous y sommes ! Et personne ne nous fera descendre. Il se fait tard. Le bonheur n’arrive jamais trop tôt. On en pleurerait, tiens. Thank you, goodnight… Pas question.
Cinquième rappel.
C’est quoi ça déjà ? Purple Music ??!! Cette sublime protest song électro-funk et anti-drogue de 1982 jamais parue officiellement ?! Incroyable : Prince nous prouve live and direct qu’il n’a pas oublié ses chansons les plus obscures. Il mélange fort subtilement ce chef-d’œuvre avec All The Critics Love U In New York, ou plus précisément In New Morning. Tranquillement assise derrière le bar, on apercoit Madame Fahri, maîtresse des lieux. On la devine un rien fière que la Maître des lieux d’un soir – et quel soir, le grand soir ! – se mettte à chanter les louanges de son club. Mais il est temps de danser danser danser et mettre le New à l’enver. Trois heures que ça dure. On ne sait plus où on est, on n’en revient pas : on est heureux. On aimerait que tout cela ne cesse jamais. Allez, Dance (Disco Heat) de Sylvester. Le plafond est en train de s’écrouler, non ? Disco, funk, soul, blues, gospel, rock, jazz : tout, il aura tout passé en revue. Thank you, goodnight… N’usons pas Prince, ce Little Big Man est une espèce en voie de dispartition. Allez, au lit. Il se fait tôt (5 h 45 !). On s’en va. Non, pas encore ?
Sixième rappel.
Notre Prince qui êtes aux cieux, higher, higher, higher, supersurvivant de la real music 4 real music lovers, vous revoilà encore une fois sur terre pour nous pianoter léger quelques airs connus, les chanter d’une voix semble-t-il inaltérable, ou nous les faire chanter de nos voix fatiguées : Diamonds And Pearls, Raspberry Beret, Starfish And Coffee, Venus de Milo, Still Waiting… Avant d’interpréter Future Soul Song, il demande à une bonne âme – « Naaah, not a man… » – de monter sur scène pour lui tenir le micro. Une encyclopédiste bien connue de nos services grimpe sur scène et s’acquitte avec bonheur de cette tâche, encourageant ses ami(e)s du public à soigner leurs « sha la la la la »… À chacun son quart d’heure de gloire warholien ! Final : Oh New Morning / Purple Rain, comme sur un nuage.
Le marchand de sable est passé. Les yeux qui piquent, devant lesquels brillera 4 ever and ever la voute céleste de cette nuit au parfum d’éternité.
Je ne crois pas en Dieu, je crois en Prince.
Prince (guitare, basse, claviers, percussions), Cassandra O’Neal, Morris Hayes (claviers), Cora C Dunham (drums), Josh Dunham (basse), Shelby J., Elisa Deane, Liv Warfield (chant, percussions), Fred Yonnet (harmonica) + Renato Neto (claviers).