The Wicked Witch (long...)

[The Wicked Witch]

23 avril 1988 : j’écoute ma radio, un soir, dans ma chambre.
« Et voici pour vous le nouveau single de Prince : Alphabet Street ! ».

Jusqu’alors, Prince pour moi se résume aux quelques tubes qui avaient franchi l’Atlantique, ceux de Purple Rain et de Parade, qui titillaient de manière plus ou moins prolongée mes oreilles immatures. Au printemps 1987, me trouvant à Florence pour quelques jours, avec quelques milliers de lires à écouler, je traînais dans un record store : les quelques billets à ma disposition suffisaient pour un LP : j’hésitais entre Joshua Tree et Sign O’ The Times (specially priced two-record set…). C’est à cause de la pochette que j’ai choisi ce dernier, et aussi du title track et de son coloré et innovatif clip vidéo qu’on voyait partout. Je l’ai somme toute peu écouté, tout cela était trop abstrait, trop immense (je m’en rendais bien compte), trop tout… pour moi. On m’avait aussi ramené de Londres début 1988 une cassette pourrie (vraiment !) du Black Album ; je ne comprenais pas vraiment tout le foin qu’on faisait de cet album. Quelle naïveté !

« I’m going down, to Alphabet Street… ». Et là, le temps s’arrête pendant deux minutes et demie. Ce truc me cloue sur place, j’enrage que la chanson soit si courte. Le refrain Yeah, yeah, yeah ! passe en boucle dans ma tête. Connaissant les habitudes de la station, je reste jusqu’à tard dans la nuit branché dessus, mon tape recorder prêt à enregistrer l’immanquable deuxième passage. Combien de fois ai-je écouté cette chanson, au cours des semaines qui ont suivi ? Des centaines ?

L’album, l’album, mais quand sortira-t-il donc ? Le mardi 10 mai 1988. Au cours de ma pause de midi, je file vers le plus proche disquaire, et le trouve instantanément (qui pourrait louper une telle pochette ?). Sans honte aucune, mais au contraire excité comme un fou, je me saisis de l’objet. Les heures sont longues, interminables jusqu’à la fin des cours. Me voilà enfin chez moi, je m’enferme dans ma chambre, baisse les lumières, branche mes headphones, déballe le disque, le scrute dans tous les sens, le hume même (combien de fois ai-je reconduit ce rituel depuis cette date fatidique ?). Je ressors lessivé de cette première écoute, la tête sur le point d’exploser, saturée de mélodies, de cris, de dissonances subtiles, d’arrangements étriqués… Je suis conquis. Je deviens un fan de Prince. One way ticket.

Et ce n’est qu’un début. Lorsqu’enfin j’arrive à résister quelques heures sans écouter l’album, il me suffit de quelques jours pour acquérir l’intégrale de la discographie princière. Quand je pense qu’en si peu de temps, j’ai absorbé le meilleur de son immense œuvre, je m’émerveille encore de ne pas avoir complètement disjoncté… Suivent les artistes associés, les maxi-45 tours : combien de visites au feu disquaire Matchbox, également fournisseur de quelques… disques live et autres. Oh, et le concert de Dortmund, retransmis en septembre en direct partout en Europe, quelle gifle ! Ainsi, ce qu’on raconte dans les revues musicales est plus que vrai : Prince est un maître de la scène incontesté. Je me souviens de l’hystérie collective qui sévissait en 1988 : Prince génie par-ci, Prince meilleur album par-là. C’était l’âge d’or, un statut de légende avant l’heure, de figure de proue de la musique pop, sans rival possible. J’ai vécu cela, tout juste. Tout juste avant que la mécanique ne se grippe. Pourquoi ?

Un tournant se produit en 1989. A quoi est-il dû. Aux difficultés financières du Lovesexy tour ? Au licenciement du trio Cavallo, Ruffalo, Fargnoli, qui certainement maintenaient un certain degré de cohérence dans les multiples activités de leur protégé ? A plein de choses sans doute. Mais Batman… Grands Dieux, Batman… Je me rappelle la critique de Rock & Folk, encore relativement positive. « Prince redescend sur Terre, après avoir largué son monde avec ses délires spiritueux-lovesexyesques », ou quelque chose dans le genre. Tout ce qui suit dans les années 90 me laisse perplexe : les concessions au rap (Tony M, affligeant…), la guerre puérile avec Warner Bros, le changement de nom ridicule, avec ses justifications pour le moins douteuses, les disques bidons (Come, 1800 New-Funk, Chaos & Disorder), le marketing foireux (Crystal Ball), la liste est longue. Et l’incroyable se produit : je me lasse, je me désinscris d’Uptown, de Prince Family, etc. Et je passe à autre chose : Beck, Björk, Radiohead, Red Hot, etc. Pour tout dire, c’est en me baladant à (feu aussi…) Fréquence Laser en 1999 que je tombe par le plus grand des hasards sur The Vault !

Eté 2001 : je découvre que Prince a lancé un nouveau site web, au principe intéressant. Je m’inscris, intrigué. Je télécharge pendant une nuit entière (époque pré-ADSL oblige) The Rainbow Children : il fallait un miracle, et miracle il y a eu. Dès les premières notes, l’étincelle rallume la flamme. Je n’y croyais plus : oui, les albums des années 90 contenaient bien sûr toujours une ou deux perles, mais noyées dans une mare infame, visant à prouver qu’il pouvait tout faire, sans effort, mais sans grâce aussi. Et là, un disque cohérent, pur, sans fausse note, puissant. D’où sort-il ? Pourquoi me fais-tu ça, mon gars ? Je ressens à nouveau, après 12 ans, des émotions oubliées : la chair de poule, les larmes aux yeux. Je suis repris, pour ma plus grande joie. En tant que grand fan du jazz-infused funk à la Madhouse, je suis encore comblé avec NEWS (qui n’a pas écouté cet album sur un système digne de ce nom passe à côté d’un grand moment musical), C-Note, Xpectation, One Nite Alone et ses diverses variations live.

Voilà, c’est la deuxième phase de mon fanatisme. J’en reprends pour dix ans au moins : je ressors puis complète ma vaste collection, je replonge avec délectation dans l’œuvre toute entière. Je persiste à croire que rien n’égalera jamais plus (dans l’histoire de la musique moderne ?) les disques légendaires de la période 1980-1988 : où outre l’aspect prolifique ahurissant si l’on compte les B-sides et les related projects, tout est parfait, où chaque écoute me fait découvrir encore quelque chose, tant la richesse de la production, des arrangements instrumentaux et vocaux est infinie et côtoie une veine artistique créative inouïe.

Désormais, je n’attends plus rien de Prince, il m’a déjà assez donné. Musicology, 3121, Planet Earth, peu importe, il y aura des hauts et des bas forcément. J’irai à Londres serein, pour mes 9ème et 10ème concerts, et… it’s gonna be a beautiful night !

[calhounsquare]

Applaudissements

[berny]

oui bravo, c'est tout cela...
c'est vraiment tout cela que provoque (a provoqué ? Provoquera encore ?) PRINCE... c'est cet engouement qui un jour enlève toute notion de jugement, de temps et d'espace... qui n'a pas vecu cela, n'a rien vécu (ou rien compris, si il y a quelque chose à comprendre ?!) de PRINCE...
Ces album mille fois écoutés et mille fois redécouverts... Tous ces chuchotements, cris, sons à l'envers, à l'endroit, ces rythmes, ces guitares saturées et limpides...
MERCi MERCI MERCI

[Return Of the Bump Squad]

tout lu super présentation et bienvenu sur le forum

[anastasia]

Bienvenue, au plaisir de te lire sur d'autres posts !

[Alex (de Marseille)]

Salut à toi !

[The Wicked Witch]

Merci pour vos réponses, je suis touché...
Ceci dit, pour la bienvenue, vous aurez peut-être noté que je suis inscrit sur le site depuis bientôt deux ans et demi, et le connais depuis bien plus encore. Mais c'est comme ça, je suis plutôt discret, comme gars, et ça fait un sacré bail que je voulais pondre un vrai post. Peut mieux faire, ok.

[Purple_Prince]

Bah tu l'as pondu ton vrai post, dailleurs je pense qu'il faudrait le renomer en " Comment ridiculiser toutes les autres présentations des forumers " ... En tout cas bravo, super agréable a lire (super chiant aussi pour ceux qui ont pas vécu cette époque) et bienvenue !

[ANOTHERLOVEROFHIM]

...Peut mieux faire, ok.

Je dirais plutôt : Bon travail ! Un "discret" qui n'aurait pas du le rester si longtemps...

Bon je suis pas tout à fait d'accord sur les 90's mais ta description de Lovesexy est prenante et donne envie de l'écouter (je dis pas ré-écouter car chez moi il passe souvent !

[aprilinparis7]

Bienvenue a toi

[Popoteusa]

Welcome, bienvenu (e) 8)

[LeBaronP]

23 avril 1988 : j’écoute ma radio, un soir, dans ma chambre.
« Et voici pour vous le nouveau single de Prince : Alphabet Street ! ».
...
« I’m going down, to Alphabet Street… ». Et là, le temps s’arrête pendant deux minutes et demie. Ce truc me cloue sur place, j’enrage que la chanson soit si courte. Le refrain Yeah, yeah, yeah ! passe en boucle dans ma tête....

c'est vrai je me rappelle m'être enregistrer le début de la version instrumentale jusqu'au 3 ou 4 ème break puis appondu la version normale et remis la version musicale à la fin pour en prendre encore plus longtemps dans mes oreilles

...combien de visites au feu disquaire Matchbox...
...Fréquence Laser
…

que de bon souvenirs, merci et welcome back!

… it’s gonna be a beautiful night !