Musicologie / Musique et émotions

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Vincent2Paris
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03 décembre 2007, 19:41

Un article scientifique intéressant sur les émotions ressenties à l'écoute de musique.
Perceptions: Musique en tête
2 Février 2002

Pauline Gravel

Comment se fait-il que l'humain soit sensible à l'harmonie d'un air musical? Qu'il perçoive instantanément la différence entre des sons sans intérêt et une musique? Qu'il arrive à la mémoriser, puis à la reconnaître et à la répéter dans sa tête? Que se passe-t-il lorsque l'écoute d'une mélodie le rapproche de l'extase? Des neuropsychologues s'appliquent à répondre à ces questions et à élucider ce phénomène qui constitue l'un des grands plaisirs de la vie.

Comme le langage, la musique est propre aux humains. On note bien quelques signes précurseurs, une ébauche de perception musicale et de langage chez certaines espèces de mammifères. Mais l'homo sapiens sapiens est néanmoins la seule espèce qui possède la faculté de décoder la musique, de la mémoriser, d'en jouer et d'en apprécier les moindres subtilités, affirment deux neuropsychologues de Montréal qui s'intéressent à la perception musicale.

Plus intéressant encore: la perception musicale est indépendante des autres fonctions cognitives, comme le langage ou la reconnaissance visuelle. Complètement autonome, la fonction musicale est assurée par des régions cérébrales distinctes de celles dédiées aux autres activités cognitives.

Pour en arriver à de telles conclusions, la neuropsychologue Isabelle Peretz, du département de psychologie de l'Université de Montréal, s'est intéressée à ces personnes atteintes d'amusie et pour lesquelles la musique n'a aucun sens et ne représente que du bruit sans intérêt, voire stressant. Selon Isabelle Peretz, l'amusie ne résulte pas d'un manque de culture musicale ou d'une déficience auditive mais plutôt d'une anomalie cérébrale très circonscrite puisqu'elle n'affecte pas les autres sphères de l'intellect. Souvent, l'amusie apparaît à la suite d'un accident vasculaire qui aura entraîné une lésion du cortex temporal, où logent les structures désormais reconnues comme essentielles à la perception musicale.

Plus rarement, elle est causée par une anomalie congénitale, probablement d'origine génétique. C'est ce que révèle Mme Peretz dans deux articles publiés très récemment par les revues scientifiques Neuron et Brain. «L'amusie congénitale est fort probablement héréditaire car on en retrouve d'autres cas au sein des familles des personnes atteintes que nous avons étudiées», précise la neuropsychologue. Il ne s'agit toutefois pas d'un trait dominant car, dans ces familles, certaines personnes sont affectées alors que d'autres sont épargnées.

Néanmoins, l'amusie congénitale serait relativement fréquente puisque de 3 à 6 % de la population en serait atteinte, ajoute la chercheure avant de citer le cas célèbre du révolutionnaire latino-américain Ernesto Guevara, surnommé le Che, qui a, semble-t-il, profondément souffert de ce handicap.

L'amusie congénitale

À part leur insensibilité à la mélodie et au rythme, les personnes atteintes d'amusie congénitale ou d'amusie acquise, c'est-à-dire consécutive à un accident cérébral, ne présentent aucun autre déficit cognitif. Leur intelligence est intacte, leur mémoire excellente et leurs affects tout à fait normaux. Qui plus est, «le langage [une fonction que l'on aurait crue étroitement liée à la musique] n'est pas touché. Ce qui veut dire qu'il y a, dans le cerveau, une région qui est spécifiquement consacrée à la perception musicale», affirme Isabelle Peretz.

Pourtant, alors qu'ils différenciaient aisément le jappement d'un chien du klaxon d'une voiture, les individus examinés par la chercheure n'arrivaient absolument pas à reconnaître L'Hymne à la joie, les premières mesures de La Marseillaise ou le refrain de Frère Jacques.

À travers l'observation de multiples cas d'amusie, Isabelle Peretz a par ailleurs constaté que le degré et la qualité de l'incompétence musicale peuvent varier d'un cas à l'autre. Certains éléments de la perception sont parfois préservés tandis que d'autres sont absents. Par exemple, certaines personnes peuvent être absolument incapables de détecter la hauteur des notes et, par conséquent, de décoder la mélodie, sans toutefois présenter quelque problème que ce soit de perception et d'appréciation du rythme. Bien que moins fréquent, le tableau clinique inverse existe aussi. De plus, il n'est pas rare que des individus atteints d'amusie n'arrivent pas à reconnaître des airs connus alors qu'ils ressentent toujours autant d'émotion à l'écoute de la musique.

Isabelle Peretz a en effet rencontré des personnes qui percevaient clairement si une musique était gaie ou triste mais qui, d'autre part, ne pouvaient ni reconnaître ni mémoriser une mélodie pourtant connue. «C'est là une preuve que ce ne sont pas les mêmes structures qui sont sollicitées dans la reconnaissance [musicale] que dans l'interprétation émotionnelle, indique-t-elle. Et rien que pour reconnaître un air musical, plusieurs mécanismes différents sont en jeu.» En effet, des expériences neuropsychologiques ont montré notamment que l'appréciation du contour mélodique, c'est-à-dire la direction des hauteurs (des notes), est complètement indépendante de celle des intervalles, définis comme les distances entre les notes successives.

Des examens d'imagerie cérébrale ont confirmé que chacune de ces habiletés musicales spécifiques sollicitait des régions différentes du cerveau. Ainsi, alors que l'appréhension du contour mélodique active le cortex auditif de l'hémisphère droit, la détermination des intervalles fait plutôt appel à l'hémisphère gauche. La compréhension du rythme, quant à elle, se révèle relativement distincte du traitement des hauteurs - nécessaire à l'identification du contour mélodique.

«Quand les variations temporelles sont très fines et subtiles, ça semble relever davantage de l'hémisphère gauche que du droit», précise Isabelle Peretz. Et la détection du timbre qui détermine la couleur sonore de chaque intrument de musique est pour sa part assurée par une structure située à proximité du cortex auditif droit.

«Les amusies sévères sont généralement dues à des lésions bilatérales du cortex auditif, résume la chercheure. Toutefois, l'atteinte de l'hémisphère droit est probablement celle qui précipite le déficit car le cortex auditif de cet hémisphère est indispensable pour faire le traitement des hauteurs. Lorsque la lésion est unilatérale, la personne peut parfois récupérer, ajoute-t-elle. Par contre, en présence d'une lésion bilatérale, le trouble est permanent et irrécupérable.»

Tous ces indices renseignent les chercheurs sur l'organisation de la fonction musicale et les a conduits à découvrir l'existence de plusieurs mécanismes distincts chargés d'apprécier chacune des diverses composantes d'une pièce musicale, notamment le contour, la tonalité, les intervalles, le timbre, le rythme et les émotions qu'elle suscite à son écoute.

Pour sa part, le neuropsychologue Robert Zatorre, de l'Institut neurologique de Montréal (INM), s'est appliqué à mieux comprendre ce qui se passe lorsque l'écoute d'une musique nous émeut particulièrement. «L'émotion musicale est difficile à étudier parce qu'elle est individuelle, prévient M. Zatorre. Si on demande à diverses personnes de nommer leur musique préférée, les réponses seront probablement toutes différentes. Et la description verbale qu'elles feront des émotions qu'elles ressentent à l'écoute de cette musique sera très variable et vague.»

Les chercheurs ont toutefois observé que lorsqu'une personne écoute une musique qui l'émotionne au point de lui donner des frissons, son rythme cardiaque s'accélère, sa respiration se fait plus profonde et rapide, ses muscles se tendent. «On mesure [ces] mêmes réactions physiologiques chez différentes personnes, peu importe qu'elles s'extasient devant une cantate de Bach, une improvisation de jazz ou une ballade de Frank Sinatra. Ces changements physiologiques sont reliés à une émotion musicale. Ils apparaissent lorsque les sujets vivent cette expérience agréable», explique Robert Zatorre.

En collaboration avec Ann Blood, le professeur de l'INM a étudié l'activité cérébrale de sujets qui se retrouvaient dans cet état physiologique particulier durant l'écoute de leur musique préférée. Grâce à la technique de tomographie par émission de positons (TEP), ces chercheurs ont observé une activation plus intense des régions cérébrales impliquées dans la «motivation et le plaisir». «Les structures sollicitées sont très semblables aux régions cérébrales qui, chez le rat, s'activent lorsqu'on le soumet à des stimulations sexuelles ou qu'on lui sert de la nourriture alors qu'il a très faim, précise Robert Zatorre. Ce sont des aires cérébrales qui sont impliquées dans des actions que l'on voudra répéter en raison du plaisir et de la satisfaction qu'elles nous procurent.»

Le neuropsychologue avoue que cette découverte est surprenante car elle révèle que la musique stimule des fonctions biologiques importantes, voire essentielles à la survie de l'individu ou de l'espèce, alors qu'il ne s'agit pourtant que de sons abstraits. «Selon la culture musicale dans laquelle nous grandissons, nous devenons enclins à apprécier un type de musique plus qu'un autre, fait-il remarquer. C'est l'influence des facteurs socioculturels qui joue. Pourtant, on voit des régions cérébrales très anciennes, fondamentales au point de vue biologique et que nous partageons avec d'autres espèces de vertébrés, que la musique active.»

Le neuropsychologue de l'Université McGill a également relevé les événements cérébraux qui surviennent lorsque nous pensons silencieusement dans notre tête à un air musical. Ce phénomène commun, qui peut parfois devenir lancinant et désagréable, est souvent employé par les musiciens professionnels lorsqu'ils répètent dans leur tête la pièce qu'ils interpréteront ou qu'ils s'apprêtent à coucher sur du papier à musique. Pour élucider ce phénomène, Robert Zatorre a fait appel aux techniques d'imagerie cérébrale, telles la résonance magnétique fonctionnelle et la TEP, qui, toutes deux, permettent de mesurer l'activité cérébrale.

Afin de s'assurer que les sujets étaient réellement en train de penser à une mélodie, on leur demandait si la note correspondant au mot «pays» dans la chanson Gens du pays, par exemple, était plus ou moins aiguë que celle associée au substantif «gens», explique-t-il. Pour répondre à cette question, les sujets devaient nécessairement répéter la chanson dans leur tête.

Robert Zatorre et son étudiante Andrea Halpern ont alors observé qu'au moment où les sujets généraient la chanson dans leur tête, les aires droite et gauche du cortex auditif s'activaient. «Quand les sujets pensent à la chanson en silence, l'activité de ces régions [du cortex auditif] est toutefois moindre que durant l'écoute réelle», précise M. Zatorre avant d'ajouter que des structures du lobe frontal étaient aussi stimulées. «Nous croyons que ces régions frontales sont importantes pour retrouver la chanson, pour rechercher l'information stockée dans la mémoire, explique-t-il. Ces structures interviendraient lorsque, à l'évocation d'une chanson connue comme La Marseillaise, la mélodie surgit dans notre tête alors que nous n'y avions peut-être pas pensé depuis plusieurs années. L'information était pourtant là, stockée quelque part dans notre mémoire.»

Étrangement, l'aire motrice supplémentaire qui s'active quand nous pensons à un acte moteur s'allumait aussi lorsque les sujets répétaient une mélodie dans leur tête. «Lorsqu'une chanson nous hante, on ne fait pas seulement entendre le son mais on pense à le chanter, et donc [inconsciemment] à l'actionnement de nos cordes vocales», explique Robert Zatorre. Pour vérifier cette hypothèse, l'équipe de l'INM vient de compléter une expérience dans laquelle on demandait aux sujets de penser non pas à une chanson mais à des notes jouées sur un instrument de musique, comme la trompette ou le violon. «Dans cette situation, où la voix n'était plus impliquée, l'aire motrice n'était plus activée, déclare le neuropsychologue. On comprend ainsi qu'il y a beaucoup de circuits impliqués dans la perception musicale.Nous sommes encore loin de comprendre comment ces différentes composantes interagissent ensemble.»

From Le Devoir newspaper, 02/02/2002
MarySharon
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04 décembre 2007, 16:59

Ahem, ça devrait pas plutot aller dans la rubrique "presse" ça?
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