Les panels de la Celebration 2025 ont été animés par Bobby Z. Le thème de la première discussion était les pochettes d’albums de « Purple Rain » et « Around The World In A Day » avec la directrice artistique Laura Li Puma et l’illustrateur Doug Henders pour en parler. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, bien qu’ils aient travaillé tous les deux sur les pochettes de ces deux albums, Laura et Doug ne s’étaient jamais rencontrés jusque cette Celebration. Laura, maintenant retraitée, travaille sur un livre dans lequel elle revient sur ses travaux avec Prince. Elle s’est rarement exprimée jusque-là. Doug quant à lui est toujours illustrateur et travaille actuellement avec David Byrne.
Comme pour les reports sur les panels de la Celebration de 2022, cet article vise à restituer les propos de chacun de la façon la plus complète possible, en grandes thématiques, à partir des informations communiquées par les membres de Schkopi présents sur les lieux.
Paint a perfect picture
Pour contextualiser le sujet, Bobby explique qu’en préparation du Purple Rain Tour, Prince & The Revolution ont donné un concert sous le nom « Red hot and Blue » au Bogart’s de Cincinnati. A la fin de ce concert, Prince a convoqué le groupe pour leur montrer le projet de pochette d’« Around The World In A Day ». Bobby était surpris vu que « Purple Rain » venait tout juste de sortir et la tournée n’avait même pas encore commencé que l’album suivant était déjà bien avancé.
Laura, nièce du producteur Tommy LiPuma, a été embauchée par la Warner en 1982. Elle a été recrutée pour concevoir des pochettes d’artistes de ce label et était excitée à l’idée de pouvoir bosser un jour avec Prince. Le premier projet sur lequel elle a travaillé pour lui a été la pochette du single « Let’s Pretend We’re Married ». Ce n’est qu’en en 1984 qu’elle le rencontre pour la première fois lorsqu’elle a été dépêchée en urgence sur le plateau de tournage du clip de « When Doves Cry ». Il s’est présenté à elle, lui a fait traverser le plateau pour lui montrer le visage peint en grande taille sur un mur avant de la laisser partir, sans lui dire grand-chose. Laura était un peu décontenancée par cet « art meeting » dont elle ne pouvait rien tirer.
Ce visage que l’on retrouve dans la pochette intérieure de « Purple Rain » a été peint par Doug Henders, un illustrateur qui avaient des liens avec Minneapolis. Il était encore étudiant en art lorsqu’il a été appelé en catastrophe sur le plateau de tournage de « Purple Rain ». Sa mission était de décorer en 10 jours la chambre de Prince que l’on voit dans le film. Il n’a eu quasiment aucune consigne, hormis des magazines et de vagues croquis. Il a créé et proposé des idées au bout de deux jours, dont le fameux visage peint sur le mur. Il n’a plus eu de nouvelles, jusqu’à ce que le garde du corps, Big Chick l’appelle, et lui demande de refaire ce même visage pour le décor du clip de « When Doves Cry ». Il est ensuite appelé quelques mois plus tard pour décorer la scène qui servira pour le « Purple Rain Tour ». Une vingtaine de versions de ce visage a été déclinée sur différents supports.
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Around The World In A Day
S’il avait le champ libre pour créer le décor de la chambre de « Purple Rain », Doug a eu des consignes très précises pour concevoir la pochette d’« Around The World In A Day ». La commande et les détails émanaient directement d’une note rédigée par Prince.
Certaines spécifications étaient des références directes à des chansons, et mentionnaient l’actrice Clara Bow (cf. « The Condition Of The Heart »), un petit garçon noir portant un drapeau (« America ») … Une quinzaine de personnages était mentionnée. En voyant l’illustration finale et en écoutant l’album, beaucoup ont fait le rapprochement avec « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band » mais à aucun moment Prince n’a fait mention de ce disque dans les notes envoyées à Doug. L’illustrateur a suivi Prince et le groupe sur plusieurs dates du « Purple Rain Tour ». Il était chargé d’enregistrer les concerts et travaillait sur la pochette en même temps. Cela lui permettait d’échanger avec Prince sur l’avancée de l’œuvre, mais aussi de tenir compte des évolutions et ajustements à faire sur le projet, notamment les changements dans l’entourage. Après une dispute avec Big Chick, Prince a en effet demandé que le garde du corps n’apparaisse plus sur « Around The World In A Day » (Chick a été viré pendant la tournée). Plusieurs personnes de l’entourage de Prince se sont prêtées au jeu pour les photos qui serviront de base aux illustrations (Sheila, Wendy et Susannah).
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le personnage en costume bleu avec des nuages ne représente pas Prince dans le projet de départ. L’idée était de faire un costume miroir qui reflétait le ciel. Le personnage est blond car c’est Doug qui a pris la pose avec une guitare pour servir de modèle. Certes, Prince a eu quelques cheveux blonds sur la fin du Purple Rain Tour mais c’est une simple coïncidence. La confusion vient du clip « Raspberry Beret » qui a été tourné plusieurs semaines après la sortie de l’album et qui recrée la pochette. Le disque est sorti le 22 avril, le clip tourné seulement le 5 juin 1985 car Prince souhaitait initialement que la promotion autour d’ « Around The World In A Day » soit minimale….avant de changer d’avis. Tout le décor et les costumes, dont celui avec des nuages que porte Prince, ont donc été créés à partir de l’illustration de Doug Henders et non l’inverse.
Laura a été commissionnée pour travailler sur cette pochette également. Elle venait à peine de finir une pochette de single extrait de « Purple Rain », qu’on l’informe de la sortie prochaine de ce nouvel album. Vu le succès de la B.O., Prince avait les mains libres et la Warner ne pouvait rien lui refuser. Elle a reçu une copie de l’illustration faite par Doug dans son coin (ils ne se sont jamais rencontrés). Les seules consignes reçues par Laura étaient que la pochette devait être « gatefolde » (pochette double qui s’ouvre comme un livre) et, comme pour la pochette intérieure de « Purple Rain », que les paroles de chaque chanson soient retranscrites avec des polices d’écriture différentes, chose que les artistes regardaient rarement habituellement. Elle pouvait choisir les polices qu’elle voulait, mais cela s’est avéré plus compliqué que prévu avec les outils de l’époque car elle devait s’assurer que chaque caractère était restitué correctement et éviter les erreurs, notamment pour les titres ou paroles qui mélangent des lettres et des chiffres. Pour « Purple Rain », Prince s’était déplacé dans les bureaux de la Warner pour valider les propositions, mais il était en tournée au moment de la conception de la pochette d’ « Around The World In A Day ». Cela laissait plus de latitudes à Laura, mais cette fois les consignes étaient encore plus complexes : il souhaitait que deux polices d’écriture différentes puissent être utilisées pour certains textes, avec des mélanges de mise en forme en gras et en italique. Comme d’habitude, rien ne devait être laissé au hasard, Prince attachant une grande importance à chaque détail et étape de la conception des pochettes. Pour illustrer cela, Bobby révèle Prince avait disposé lui-même et méticuleusement chacune des fleurs sur le sol blanc que l’on voit sur la la pochette arrière de « Purple Rain » et le maxi de « When Doves Cry ». Un photographe a du monter sur un escabeau pour prendre le cliché.
Tornade artistique
Une fois le travail accompli, Prince était assez avare en compliments. Laura se souvient encore de la première fois où il a donné un avis positif sur une de ses créations : en travaillant sur la pochette de « Purple Rain », elle remarque le symbole homme/femme sur la moto et décide d’en faire quelque chose. Elle le redessine en grand à l’encre de Chine sur un fond violet avec l’espoir de le placer sur la face arrière d’un single. La seule marque d’appréciation montrée par Prince sera un simple « I dig it » (« j’aime ça »). Cette illustration se retrouvera au dos de « Let’s Go Crazy » (et du « Strange Tales From The Rain »).
Bobby confirme que c’est bien Prince qui a créé le symbole dans sa première forme. Il aimait dessiner, gribouiller et tester différentes formes. Le batteur se souvient de la fois où Prince lui a tendu les paroles de « Head », avec des illustrations …qu’on nous laisse deviner.
A la séance d’écoute de l’album « Around The World In A Day » dans les bureaux de la maison de disques, les pontes de la Warner étaient déstabilisés et ne savaient pas trop quoi en penser tant l’album se démarquait de « Purple Rain ». Bobby explique que les musiciens aussi pouvaient être surpris. Pour eux, la notion d’enregistrement d’un album était vague. Il n’y avait pas de date de début ni date de fin, et ils n’étaient pas complétement insérés dans la boucle du processus créatif. L’inspiration pouvait venir à n’importe quel moment, à partir de n’importe quoi (un lieu, un film, une rencontre, une phrase, une coupe de cheveux…), les enregistrements se faire n’importe quand (après un soundcheck ou une session de répétitions) avec ou sans eux. Ils pouvaient aussi entendre parler de sessions avec d’autres musiciens en studio sans qu’ils soient impliqués. Bobby compare ces enchainements de concerts, vidéos, sessions studios, répétitions à un chaos ou un magma artistique dans lequel Prince créé et pioche ce qui lui plait. Le groupe découvre ensuite l’album finalisé peu de temps avant la maison de disques (cette implication relative du groupe a été confirmée par Tony M. dans une autre occasion lorsqu’il a révélé avoir été mis devant le fait accompli avec « Gold Nigga », Prince ayant choisi les chansons et l’ordre des morceaux dans son coin sans prévenir personne). Bobby regrette qu’« Around The World In A Day » n’ait pas eu sa propre tournée, ne serait-ce que pour le plaisir de pouvoir jouer « Tamborine », tout s’étant enchainé très vite avec « Parade »,
Laura a encore été sollicitée pour l’album suivant : « Parade ». Pour le projet de pochette, on lui soumet un cliché en noir et blanc de Prince portant une veste en cuir. Elle aime la photo mais demande à voir les autres qui ont été prises au cours de la même session par Jeff Katz. Elle sélectionne deux photos et arrive à convaincre tout le monde qu’il faut en faire un gatefold, avec le nombril sur la bordure (sachant que ce détail allait plaire à Prince). Ainsi est née la pochette que l’on connait tous. La première photo proposée finira en pochette de « Kiss ».
Elle a ensuite travaillé sur « Sign O’ The Times » et les singles liés ainsi que sur ceux des artistes de Paisley Park Records. Arrive l’ère « Lovesexy » …. Steve Fargnoli l’appelle un beau jour et lui demande de se rendre en urgence sur un plateau photo pour rejoindre Prince. Jusque-là, Laura n’avait jamais assisté à une session photo. Elle arrive dans une grande pièce vide et silencieuse. Jean-Baptiste Mondino arrive, se présente et lui dit timidement que Prince souhaite qu’elle soit assise à côté d’un mur et de ne pas bouger. Mondino explique qu’il ira ensuite de l’autre côté de ce mur, où se trouve Prince, pour le prendre en photo. Tout le monde s’exécute, Laura restant seule, assise où on lui avait demandé, n’entendant que les crépitements des flashs et les bruits des clics des appareils. Personne ne parle. Au bout de 20 minutes, Mondino revient voir Laura pour lui dire « C’est bon, tu peux partir ». Ce qu’elle fait, sans avoir aucune interaction avec Prince qui avait pourtant demandé qu’elle soit là ! Lorsqu’elle a reçu la photo finale et l’ensemble de l’artwork fait par Mondino, Prince lui a ordonné de ne rien montrer aux responsables de la Warner. Ces derniers ont accepté ce caprice et laissé Laura faire ce qu’elle avait à faire pour finaliser l’album. Ils faisaient confiance à la vision artistique de Prince et ont été mis devant le fait accompli une fois l’album pressé et la pochette imprimée.
La discussion s’est terminée sur le rôle clé qu’ont joué certains responsables de la Warner et la liberté artistique laissée à Prince dès le début de sa carrière. Il a pu laisser libre cours à sa créativité avec la confiance de la maison de disques pendant plusieurs années, ce qu’aucun autre label faisait.