Ce texte est une transposition d’un des passages de l’épisode de VIOLET traitant de l’album HitnRun Phase One. Une analyse du titre « June » sur un des derniers albums de Prince
Il est une synthèse de mon travail préparatoire mais surtout des interactions avec mes comparses et la famille pourpre avant, pendant et après l’enregistrement et la diffusion. Vous pouvez écouter l’épisode à la fin de cet article.
(Le prompt des deux illustrations « IA » sont un simple CTRL+V des paroles de June)
« June », dernière composition enregistrée par Prince pour son album « Hit n Run Phase Two » en 2015, se révèle être une œuvre aux multiples strates de lecture, où la simplicité apparente masque une confession profondément personnelle sur l’addiction et la solitude.
Tentative d’exploration de ce texte, qui semble narrer un moment quotidien banal mais constitue en réalité un testament artistique involontaire sur la déchéance et l’isolement.
Abordons tout de suite le sujet qui fâche. Ce morceau est enregistré moins d’un an avant que Prince ne succombe à une overdose des opioïdes dont il abusait pour lutter contre la douleur causée par quatre décennies passées à ne pas compter les heures passées à jouer de la guitare, danser sur scène, sauter de pianos et enchainer les grand-ecarts. On n’a aucun témoignage de lui en usager de drogues récréatives. Prince est mort seul dans son Paisley park, les bras constellés de patches de Fentanyl, tel un Kubla Kahn qui se serait égaré dans son Pleasure Dome.
« June » est le dernier morceau que prince ait enregistré et que nous ayons pu entendre. Si il a joué et enregistré à Paisley Park après juin 2015, il n’en a rien publié.
June est donc son dernier morceau officiel.
Oh Yeah, It’s June
Le fil narratif s’articule autour d’une scène quotidienne : la cuisson de pâtes sur une gazinière.
Mais il ne s’agit pas de la recette princière des penne all’arrabbiata.
Cette banalité devient le point d’ancrage d’une divagation mentale complexe, caractéristique d’un esprit altéré par les opiacés. Le mois de juin, mentionné de manière récurrente, acquiert une importance symbolique cruciale, particulièrement à travers son lien avec « Sign O’ The Times », où Prince nous disait :
In September, my cousin tried reefer for the very first time.
Now he’s doing horse; it’s JuneEn septembre mon cousin a fumé son premier joint
On est en juin et il est accro à l’héroïne
Cette référence prend une dimension tragiquement autobiographique dans le contexte de la dépendance de Prince aux antidouleurs. La construction complète « Oh Yeah, it’s June » de la chanson rend encore plus explicite la référence au morceau de 1987 en en reprenant le gimmick.
Cadavre exquis
L’état altéré de conscience se manifeste dans la structure même de l’œuvre. La composition musicale basée sur une répétition de deux accords à 7e majeure qui ne se résout jamais, crée une tension permanente qui reflète l’état d’esprit cotonneux du narrateur. La production volontairement épurée et le chant peu incarné suggèrent un détachement caractéristique des états modifiés de conscience. L’improvisation apparente du texte, son aspect de flux de conscience, témoigne d’un abaissement des barrières de l’autocensure, permettant l’émergence d’une vérité plus crue.
La solitude, thème central de l’œuvre, révèle sa profondeur véritable à travers plusieurs strates de lecture. Au premier niveau, elle s’exprime dans l’isolement physique du narrateur, « crevant de faim dans un froid solitaire ». Cette solitude immédiate prend une dimension plus complexe à travers la référence au vinyle de Richie Havens qui tourne inlassablement. Cette mention n’est pas anodine : Havens est connu pour sa performance légendaire de « Motherless Child » à Woodstock, une version transformant un spiritual traditionnel en hymne de liberté collective. Prince lui-même a réinterprété ce morceau, mais dans une version radicalement différente, explorant la douleur personnelle d’un enfant de 12 ans abandonné par sa mère. Cette double référence enrichit considérablement la lecture de « June » : la solitude n’est plus seulement celle d’un homme malade ou dépendant, mais l’écho d’une blessure plus ancienne et plus profonde.
Un froid glacial
La métaphore des pâtes qui brûlent acquiert une signification plus profonde : celle d’un corps et d’un esprit consumés par la dépendance, d’une situation qui échappe au contrôle. « Ça doit être quelque chose qui brûle » devient l’expression d’une conscience trouble de sa propre destruction. La répétition de l’attente (« waiting, waiting, waiting ») mime le cercle vicieux de l’addiction, l’isolement, la perte de repères temporels.
Le sentiment de décalage temporel qui imprègne le texte acquiert une nouvelle signification à travers ce prisme. Le regret exprimé de ne pas être né à l’époque de Woodstock n’est plus simplement une nostalgie musicale, mais le désir d’une forme de libération que Prince, dans sa solitude fondamentale, n’a jamais vraiment trouvée. Cette inadéquation avec le présent résonne tant avec sa dépendance qu’avec une solitude plus existentielle, illustrée par le contraste entre la version libératrice de « Motherless Child » par Havens et sa propre interprétation douloureuse du même morceau.
Prince exprime une profonde frustration face à l’impossibilité d’établir une véritable connexion. Les « conversation starters » (amorces de conversation) qui sont « way too hard » et cette difficulté à créer un dialogue authentique. Cette incapacité à communiquer révèle un malaise relationnel profond, où les tentatives de rapprochement échouent face aux barrières invisibles qui se dressent entre les individus.
Après une vie de conquêtes amoureuses et de ruptures tumultueuses Price se retrouve face a l’absence de cette femme, de toutes ces femmes.
La question « How can you be everybody’s dream, and still be somebody’s wife? » expose la tension entre l’idéalisation et la réalité. L’image « You are off somewhere, being free while I starve in the lonesome cold » traduit un profond sentiment d’abandon et de déséquilibre dans ses relations.
Le contraste entre sa liberté à elle et sa solitude à lui souligne la disparité émotionnelle de leur connexion et finalement de son rapport aux femmes.
Son schéma amoureux ? Seduction, album sur mesure, lassitude, rupture.
Il en fait du matériel créatif mais il finit toujours seul à chanter dans son studio après avoir fait partir tout le monde. Elles sont parties, elles vivent libres et lui reste dans son Xanadu glacial.
Doesn’t make sense yet
La dimension prophétique du texte se révèle particulièrement glaçante. L’affirmation « Doesn’t make sense yet, but it will soon » prend une résonance tragique à la lumière des événements ultérieurs. Elle annonce non seulement la mort prochaine de l’artiste mais aussi la révélation publique de sa lutte contre la dépendance aux opioïdes. La métaphore de la cuisson qui devient combustion symbolise cette conscience diffuse d’une fin imminente.
La structure circulaire de « June », avec ses répétitions et ses retours, fait écho non seulement aux mécanismes de l’addiction, mais aussi aux structures des deux versions de « Motherless Child » : libératrice chez Havens, obsessionnelle chez Prince. Cette circularité traduit tant le cercle vicieux de la dépendance que l’impossibilité d’échapper à une solitude fondamentale.
L’intertextualité joue un rôle crucial dans la compréhension de l’œuvre. Au-delà de la référence explicite à « Sign O’ The Times », le texte dialogue avec l’ensemble de la carrière de Prince. Le contraste entre ses postures habituelles de showman et cette confession à peine voilée de vulnérabilité souligne la gravité du moment. La promesse initiale de sa carrière de partager sa vie avec sincérité trouve ici son expression la plus crue.
Cause you left me on my own
« June » transcende ainsi sa simple existence de dernière piste d’album pour devenir un document précieux sur les derniers moments d’un artiste aux prises avec ses démons, mais aussi sur une solitude plus profonde, plus ancienne, qui trouve son expression dans la référence subtile à ces deux versions de « Motherless Child ». La transformation d’un moment quotidien en une exploration profonde de l’addiction, de la solitude ancestrale et de la mortalité fait de cette chanson un point culminant de sincérité dans une carrière pourtant marquée par les masques et les personnages.
Cette œuvre reste comme un témoignage perturbant de la vulnérabilité d’un artiste qui, même dans ses derniers enregistrements, continuait à explorer les différentes strates de sa solitude, de l’abandon originel à l’isolement final de la dépendance. La structure apparemment décousue du texte, ses répétitions, ses divagations, tout converge vers le portrait d’un homme prisonnier non seulement d’une spirale addictive qu’il ne contrôle plus, mais aussi d’une solitude fondamentale qui l’a poursuivi toute sa vie, transformant ce qui pourrait n’être qu’une simple improvisation en un document bouleversant sur la condition humaine dans toute sa complexité.
With love, sincerity and deepest care
Analyser ce texte, aller au delà de l’impression trouble qu’il provoquait en moi jusque là, gratter ce qu’il y a sous la surface, est peut-être l’aboutissement de mon travail sur ce podcast.
Travail que j’ai essayé de mener avec amour, sincérité et le plus grand soin, essayant d’éviter le sensationnalisme et la psychologie de comptoir, alternant les commentaires légers ou ironiques et les analyses plus profondes.
Mais je me demande encore si je n’aurais pas préféré que Prince garde ce morceau pour lui.
Cette sincérité crue, même ou surtout si elle est inconsciente, est douloureuse à entendre, impudique, embarrassante.
Trente-cinq ans plus tôt, il livrait ces premiers mots:
« All of this and more is for you
With love, sincerity and deepest care
My life with you, I share. »Tout ceci et plus encore est pour vous
Avec amour, sincérité et le plus grand soin
Je partage ma vie avec vous.
Il s’y est tenu.
May U Live 2 See The Dawn