Mayté Garcia a été invitée à raconter son histoire avec Prince lors d’un panel (séance de discussion) dans le cadre de la Celebration 2022 qui se tient à Paisley Park. L’échange a été conduit en public le 4 juin (même jour que le panel avec Joshua Welton). Le schéma a été le même que pour les autres panels, à savoir partage d’anecdotes, d’histoires et extraits de chansons ou versions inédites. Mayté est évidemment un personnage à part dans l’histoire de Prince, avec une relation intime qui a inspiré plusieurs chansons et albums, mais surtout un mariage, la perte tragique de leur enfant suivie par un divorce. Elle a raconté sa vie avec Prince dans son excellente autobiographie « The Most Beautiful » sorti en 2017.

Mayte n’était pas revenue à Paisley Park depuis des décennies et ce n’est pas sans émotion qu’elle a traversé les couloirs (« J’ai accepté cette invitation avec plaisir, mais marcher dans ces couloirs, entendre sa voix partout en sachant qu’il n’est plus là, c’est… ») et ses réponses lors de ce panel ont souvent été ponctuées par des moments de silence ou de larmes. Mayté commentait aussi des photos qui étaient projetées et a été rejoint par Randee St. Nicholas.

Randee St. Nicholas a été une des photographes (de 1991 à 2016) et réalisatrices de clips de Prince (« Gett Off », « Violet The Organ Grinder », « Insatiable », « 2 Whom It May Concern », « My Name Is Prince », « Damn U », « The Morning Papers », « The Continental » et « Sweet Baby »).

Les échanges ont été conduits par la journaliste de The Current Andrea Swensson et introduits par la journaliste Robyne Robinson.

Comme pour les articles sur les panels de Jill Jones, Tom Garneau et Joshua Welton, nous visons à restituer les propos de Mayté de la façon la plus complète possible, en grandes thématiques, à partir des informations communiquées par les membres de Schkopi présents sur les lieux et les informations diffusées sur Twitter (Merci Darling Nisi). 

Paisley Park

« C’est un peu compliqué de revenir ici, sachant qu’il n’est plus là. Nous avons beaucoup travaillé ici, que ce soit des répétitions, des tournages de clips, des enregistrements. Revoir tous les studios, la cuisine, les pièces à l’étage… J’ai passé beaucoup d’années ici, donc ça ravive énormément de souvenirs. C’était un lieu de travail, mais aussi un lieu de vie ».

« La première fois que je suis venue ici, j’étais très jeune. C’était assez sobre, avant qu’il ne refasse entièrement la décoration et ajoute plus de couleurs. On sentait une forte énergie créatrice. Il travaillait tout le temps, alternant le studio, la scène, le bureau. Au début, il m’a hébergé dans une de ses maisons, et j’ai été agréablement surprise de voir que les meubles venaient du film « Under The Cherry Moon ». Je n’arrêtais pas de faire ‘Wow’, en regardant ces meubles, le téléphone etc… Et il y avait tellement de bouteilles de parfum, de produits de beauté…. J’étais émerveillée. Ensuite, il m’a invitée dans sa jeep cherokee qui avait des énormes enceintes à l’arrière. Il m’a fait visiter Minneapolis en écoutant ses nouvelles chansons de l’album « Diamonds And Pearls », comme « Strollin’ ». Je n’en revenais pas.»

New Power Generation

« C’était intimidant d’être dans le groupe «New Power Generation », je ne savais pas comment insérer mes parties de danse orientale, comment ça allait être perçu. C’était inhabituel. Mais une fois que la musique commençait, tous les doutes partaient, on était à fond et on se laissait porter par l’énergie. J’étais dedans. »

« La tournée « Diamonds and Pearls » et sa préparation ont été très formatrices. Si on m’appelait à 3 heures du matin, pour danser à 5 heures, je pouvais être prête. Ça ne me faisait plus peur. Je recevais des appels au milieu de la nuit :

– « tu peux venir dans un quart d’heure ? »

– « tout à fait »

« Il m’a donné « Thunder » pour que je m’exerce dessus. Il me demandait souvent des vidéos de moi en train de danser. Le premier concert que j’ai fait avec lui, c’était au Glam Slam (le 11 janvier 1992 – concert qui a été diffusé lors de cette Celebration). Etre sur scène avec lui, c’était juste incroyable, je ne peux pas l’expliquer. C’est devenu bizarre et amusant à la fois quand on venait de se marier et que je dansais avec lui pour les concerts à Hawaï. Et j’étais avantagée parce que je n’ai pas eu d’amendes ».

« Il y avait les ‘Funk Nights’ : quand il murmurait « Funk Night » pendant les concerts, les membres du groupe étaient en compétition. Celui qui arrivait à faire un truc plus funky que les autres pouvait gagner un bonus ce soir-là qui allait de 5 000 à 10 000 dollars. Parfois Prince pouvait gagner, parce que le vote était collégial. Sur le « Diamonds And Pearls Tour », à ce go, j’ai sauté dans la foule pour la première fois, et je suis remonté péniblement sur scène. Prince m’a dit « ce n’est pas comme ça qu’il faut faire ». J’ai gardé ça dans un coin de ma tête. Puis est venu le soir des MTV Awards en Allemagne. Comme il y avait beaucoup de groupes qui jouaient ce soir-là, il m’a avertie : « Ne foire pas ». Il a dit « Funk night », j’ai été surprise, je lui ai demandé s’il était sûr, et il me répond que oui. Je saute…..et personne ne me rattrape. Mais j’ai quand même gagné. J’espère qu’on aura l’occasion de voir un jour des vidéos de tournées où Sonny T. faisait des trucs incroyables pendant ces moments-là. Il y a aussi eu un concert à Paris (au Bataclan en mai 94), où j’ai sauté dans la foule et suis remontée sur scène sans mon paréo. J’ai essayé de cacher mes seins avec mes cheveux. J’avais gagné ce soir-là aussi. »

Chante !

 

« La première chanson que j’ai enregistrée avec lui, c’est « However Much U Want ». Je lui avais pourtant dit que je n’avais pas une vocation de chanteuse, mais il a insisté. On enregistrait en tête à tête en studio, et il gérait la console. On a fait beaucoup de morceaux et j’aimerais tant pouvoir réécouter tout ça. »

« Il m’a demandé de chanter sur « Latino Barbie Doll » qui était une chanson pour Sheila E. à la base, mais qui n’est jamais sortie. C’est une latine aussi et après un voyage en Espagne, il m’a demandé de poser ma voix dessus. Je ne sais pas trop si c’était pour m’exercer, s’il voulait la mettre sur « Child Of The Sun » ou l’album suivant. J’aime bien les paroles, elles me correspondent bien qu’elle n’était pas pour moi initialement. Mais je m’identifie aussi à la chanson « Scorpio », puisqu’elle a été écrite pour moi. Il a eu l’idée un jour de mélanger nos signes astrologiques (gémeaux et scorpion) avec le symbol pour que ce soit la pochette de mon album. ».

[[Diffusion d’un extrait de « Latino Barbie Doll » et d’un extrait de « Scorpio », inédits enregistrés entre 1993 et 1998]].

« Je n’ai même pas de copies de ces titres. Je sais, c’est fou ».

« Pour « The Most Beautiful Girl In The World », il voulait faire une version en français, en allemand, en russe….. Il m’a demandé de la faire en espagnol. J’ai dû téléphoner à ma mère dans la nuit pour m’aider à la traduire. Il voulait que cette chanson soit partout parce qu’il était ‘libre’. Il était galvanisé par ce sentiment et plein d’énergies. »

[[Diffusion d’un extrait d’une version inédite de « The Most Beautiful Boy In The World »]].

 «Pour « If I Love U 2 Nite », il a immédiatement eu l’idée du clip qui a été réalisé par Randee St Nicholas. Sur ce morceau, comme pour les autres, je devais suivre à la lettre ses consignes, chanter précisément comme il me le demandait. Et à la fin, il m’a juste dit « respire fort ». J’espère que ce n’est pas cette partie qu’on va écouter. »

[[Diffusion d’un extrait d’une version inédite de « If I Love U 2 Nite » avec la base musicale de la version de 1987]].

 

Just the 2 of us

« On parlait de mariage de temps en temps, mais juste comme ça. Je me voyais mariée avec 3 enfants dans l’avenir. Et un jour, il m’a demandée ma main et c’est allé très vite par la suite. ET PAS PARCE QUE J’ETAIS ENCEINTE »

(Mayté fait cette précision à l’attention des groupes de fans très actifs sur les réseaux sociaux qui s’acharnent sur elle et réécrivent l’histoire. Ces fans de Prince, essentiellement des Américaines, ont élaboré des théories fumeuses, parfois contradictoires, qu’elles répètent à envie dans plusieurs groupes – Facebook mais aussi sur Youtube. Elles affirment que Prince a été contraint de se marier avec Mayté parce qu’elle lui avait fait croire qu’elle était enceinte ou qu’elle était réellement enceinte puis a fait une fausse couche puis un nouvel enfant dans le dos, qu’il n’était pas amoureux d’elle et qu’elle n’a fait que profiter de lui et le dénigrer. Ses fans particulièrement virulentes ne pardonnent pas à Mayté les ventes aux enchères, et s’en donnent à cœur joie pour l’insulter, tronquer ses interviews, réinterpréter les photos et divers moments saisis au vol, ignorant ou récusant même ce que Prince disait dans ses interviews filmées ou écrites dans le but de le faire passer Prince pour un ange manipulé par une sorcière avide d’argent et de succès).

« J’étais en Espagne, pour faire de la promotion avec les NPG. Il m’avait appelée plusieurs fois, mais je sentais qu’il y avait quelque chose d’inhabituel. Et quand j’ai été seule, il m’a rappelée pour faire sa demande. J’ai bien évidemment dit « oui », et je suis restée pendant 20 minutes seule à essayer de réaliser ce qu’il venait de se passer. Il m’a rappelée une nouvelle fois et je lui aie demandé s’il était sérieux, il me l’a confirmé. Et tout s’est enchainé très vite. »

 « Il discutait énormément, j’écoutais la plupart du temps. On pouvait être d’accord ou en désaccord, mais le principal était qu’il soit heureux. Je lui disais « t’es sûr de ça ? », « tu veux vraiment porter ce voile rouge sur ton visage et qu’on t’appelle « Tora Tora ?» ». On était dans son monde, son univers, on baignait dans sa musique et son énergie. Une fois, il m’a réservé un billet d’avion pour que j’aille chez un coiffeur à Los Angeles. Quand je suis revenu à Minneapolis le lendemain, Prince m’a regardé et m’a dit « Il faut qu’il y ait un angle ou une sorte de pointe». Je lui ai demandé ce qu’il voulait dire, il m’a fait asseoir, pris un ciseau, refait ma frange et a commencé à découper. La coiffeuse est venue le lendemain pour la finition. Il y avait aussi une période où il avait une sorte de trou dans sa chevelure, très court à un endroit seulement, c’était bizarre. Je lui ai demandé pourquoi, il m’a juste dit « parce que c’est cool !».

« J’ai toujours eu un journal intime, et je m’en suis servi pour écrire mon autobiographie. Des gens ont pensé que j’allais balancer toute notre vie intime ou raconter des ordures sur lui. Mais je ne pourrai pas faire ça. Il fait partie de ma famille et c’est le père de mon fils, je ne pourrai jamais lui faire ça. Quand on était ensemble, ça a été une de ses périodes où il a été le plus ouvert. Il a fait l’émission d’Oprah, les Muppets… Il voulait que le public voit l’homme, l’humain qu’il était, et non pas le personnage mystérieux, qui était cool aussi. Et c’est ce que je voulais faire avec mon livre aussi, que cette facette soit mieux connue ; qu’on connaisse les moments de joie qu’il a traversés, mais aussi les moments de douleurs intenses. On a eu beaucoup de mal à surmonter la mort de notre fils. Il était très affecté, mais il n’a pleuré qu’une seule fois devant moi. C’était dur d’écrire ce livre, mais je me devais de le faire pour honorer sa mémoire et celle de notre enfant. J’en suis fière ».

«Il aimait les animaux. Il avait un chat qui s’appelait ‘Paisley’. Quand il est mort, on a adopté un chat dans un refuge qu’on a appelé ‘Isis’. On a aussi eu un Yorkshire femelle en sortant d’un rendez-vous avec un docteur quand j’étais enceinte. La photo qui est dans mon livre a été prise le jour où on l’a adoptée. Pour trouver son nom, il m’a mise sous hypnose. En me réveillant, il m’a dit que j’avais choisi ‘Mia’. Je l’ai appelée et elle est venue tout de suite. Il l’aimait beaucoup ».

« J’étais végétarienne, il l’est devenu aussi, puis un jour il me dit « devenons vegans ». Je lui ai répondu que ça serait compliqué, qu’on avait des sièges en cuir dans la voiture, qu’on utilisait cette matière pour nos bottes, nos vêtements, que ça allait être compliqué à gérer si on voulait faire ça sérieusement. Donc nous sommes restés de ‘simples’ végétariens à cette période Aujourd’hui c’est plus facile, mais en 95/96, c’était plus compliqué, il y avait moins d’alternatives».

Notre article sur le livre de Mayté peut être consulté ici

Randee St Nicholas

 

Randee : « Une nuit, j’ai reçu un appel de son frère et garde du corps Duane. Il m’a demandé de venir chez Prince, et on ne lui disait jamais non. C’était la semaine où mon père était venu me rendre visite, et il dormait chez moi. Je lui ai proposé de venir, et il était ok. On est arrivé chez Prince, on m’a demandé de monter dans sa chambre et mon père est resté en bas avec les gardes du corps. Je vois Prince en train de regarder une télé gigantesque et il m’invite à s’asseoir à côté de lui. C’était une vidéo pas très bien filmée, instable, avec une qualité qui n’était pas top, d’une jolie fille qui dansait. A la fin de la vidéo, il me regarde fixement et me demande ce que j’en pense. Je ne comprenais pas sa question, et il a précisé « qu’est-ce que tu penses d’elle ? ». Je lui ai répondu « je crois que c’est la fille que tu vas épouser ». Je ne sais même pas pourquoi j’ai dit ça, mais je l’ai ressenti sur le moment. Il me répond :

– « Non, elle est mineure. Mais pourquoi tu dis ça d’abord ? »

– « Je n’en sais rien. Tu me fais venir ici à 2 heures du matin et me demande ce que je pense et c’est ce que j’ai pensé. Est-ce qu’on a fini ? Parce que mon père attend en bas »

– « Quoi ???? Ton père est en bas ? Il faut que je le vois ».

On descend les escaliers, ils se serrent la main et Prince dit :

– « Monsieur, sachez, que dans ma vie, j’ai appelé beaucoup de filles au milieu de la nuit pour qu’elles passent me voir, mais aucune d’elles n’a eu l’audace de venir avec son père.  »

Quelques commentaires pendant la projection de photos de Prince et Mayté prises par Randee St. Nicholas entre 1991 et 1996.

Mayté : « Un jour, il me dit que je vais aller en Egypte, au Caire, avec Randee St Nicholas. C’est comme ça qu’il nous a présentées l’une à l’autre. Je ne comprenais pas vraiment ce qu’on faisait en Egypte, pourquoi on devait me filmer là-bas. »

Randee: « J’avais ma petite idée, avec quelques consignes, mais les conditions de tournage n’étaient pas simples. »

 « J’ai photographié beaucoup des petites amies de Prince, avant et après Mayté, et je ne l’ai jamais vu aussi heureux qu’à l’époque où ils étaient ensemble et regarder une personne comme il la regardait. J’ai travaillé encore longtemps avec lui, après le départ de Mayté. Et je ne l’ai plus revu comme ça, aussi joyeux. De mon point de vue, c’était la période sa plus heureuse»

« Cette série de photo au café a été compliquée. Prince n’arrêtait pas de sortir des blagues ».

Ces photos figurent dans le livre de St. Nicholas sorti en 2019. La plupart des anecdotes liées à ces photos sont retranscrites dans son livre « My Name Is Prince » (pas de traduction en français).