A l’occasion du trentième anniversaire de la sortie de l’album « Diamonds And Pearls » et l’Estate de Prince, demeurant silencieux, Schkopi.com a choisi d’apaiser vos tourments avec des nouvelles fraîches.

Les fans attendaient la sortie de l’édition Deluxe pour 2021, mais pour des raisons inconnues que nos portefeuilles comprendront quand même, le projet a été repoussé à 2022 (date précise encore inconnue à ce jour). Ce décalage n’empêche pas de célébrer cet anniversaire en revenant sur les conditions d’enregistrements de cet album qui, avec 6 millions d’exemplaires vendus, a été le plus gros succès commercial de Prince dans les années 90. Au-delà de cet aspect, « Diamonds And Pearls » marque un tournant dans la carrière de Prince dans sa façon de travailler et d’utiliser son groupe. Jusque-là, ses musiciens ne participaient pas toujours au travail de studio et n’étaient impliqués que sur les tournées. Avec le New Power Generation, Prince change de fusil d’épaule et « Diamonds and Pearls » marque un nouveau départ.

Pour raconter cette histoire, Sean McPherson, journaliste pour The Current, recevait le vendredi 1er octobre, le batteur Michael Bland et le claviériste Tommy Barbarella, deux membres prestigieux du groupe New Power Generation.

Cet article ne vise pas à faire une traduction littérale de cette interview, mais à restituer le contenu des échanges. L’interview peut être écoutée en intégralité sur le site de The Current (accompagnée d’une retranscription en anglais). Michael Bland y confirme, sans donner plus de détails, qu’il a rencontré l’archiviste Michael Howe pour le projet de ressortie. Les diamants ne se façonnent pas en un jour et les perles se cultivent elles aussi avec patience.

Tout commence avec une idée

La première chose dont se rappelle Michael B. lors de cette interview, est que lui, Sonny T. et Tommy étaient impliqués dans un autre projet de Prince. Il venait de faire un album solo avec Margie Cox. Michael et Sonny et Tommy devaient constituer le groupe de Margie ce qui conférait à Michael B l’occupation de deux postes de batteur à ce moment-là car il faisait déjà partie du groupe de Prince (depuis le clip de « Partyman »).

Un jour, alors qu’ils étaient en répétitions à Paisley Park, Prince, qui avait une idée de chanson en tête croise le chemin de Michael et Sonny qui s’étaient mis en route vers le « Bunker’s » pour jouer dans le groupe Dr Mambo’s Combo avec Margie et leur demande de le suivre. Les deux hommes n’ayant rien de mieux à faire acceptent de travailler sur cette chanson et l’enregistre en vitesse dans le Studio B accompagné de Tommy avant que Prince ne les libère.

Michael pense que c’est la première fois où lui, Sonny et Tommy ont enregistré ensemble pour les besoins de cet album.

Cette chanson était « Diamonds and Pearls ». Prince a tellement aimé leur travail que le soir même, alors qu’ils étaient au « Bunker’s Club » pour y jouer, il a envoyé ses gardes du corps les chercher pour retourner en studio dès qu’ils en auraient terminé. Ce qu’ils ont fait pour enregistrer cette fois, le titre « Live 4 Love ».

Un changement s’opère

Avant tout cela, Michael Bland avait participé à plusieurs sessions avec Prince au piano où celui-ci lui disait au fur et à mesure où s’effectuaient les changements mais cette soirée/nuit-là vit s’opérer un changement majeur car ils vont ensuite enregistrer ensemble plusieurs autres titres tels que « Cream », « Jughead » en plus de « Diamonds and Pearls » et « Live 4 Love » que nous venons de mentionner.

Pour Tommy, la raison qui a motivé Prince a vouloir pousser ce projet de groupe plus loin en lui ouvrant les portes du studio, là où la plupart du temps il travaillait seul ou simplement accompagné d’un ingénieur, est qu’il a pris du plaisir à avoir à ses côtés une formation de groupe capable de mettre en œuvre ses idées les plus complexes. En effet, il n’y avait pas beaucoup de choses qui leur étaient incapable de faire et il adorait ça !

Une fois que Prince a pu assembler le groupe qu’il désirait, ses idées ont proliféré de plus belle !

« Prince pouvait faire tout ce que tu pouvais faire mais il était à la recherche de cette différence que tu pourrais apporter » – Tommy Barbarella.

Les musiciens étant constamment en ville et, de ce fait proches de lui, il pouvait les solliciter dès qu’un besoin naissait. Cela a largement contribué à élargir la palette musicale et la sonorité de Prince car lorsqu’un titre avait été joué d’innombrables fois lors des répétitions et qu’il devenait ennuyeux, il ajoutait sans cesse des parties supplémentaires, le rendant ainsi de plus en plus complexe et unique comme ce fût le cas avec le titre « Diamonds And Pearls » sur lequel la merveilleuse voix de Rosie Gaines s’envole et lui donne une dimension aérienne. Comme le souligne Barbarella, le fait d’avoir plusieurs musiciens lui conférait aussi la possibilité de produire plus rapidement et de manière efficace. Prince n’était pas opposé à ce que les musiciens apportent leurs propres touches aux morceaux, mais c’était toujours lui qui avait le dernier mot. Il avait demandé à Tommy Barbarella de rejouer une partie de piano sur « Old Friends 4 Sale ». Honoré, Tommy travaille seul toute la nuit en studio en refaisant la prise une centaine de fois. Le lendemain, il demande à Prince ce qu’il en a pensé. Réponse du chef : « tu jouais trop fort ». Résultat, les parties de Barbarella ne seront pas conservées. Dans d’autres interviews, Michael B. a révélé que des titres comme « 3121 » et « Ripopgodazippa » sont nés de grooves qu’il jouait avec Sonny T. pour s’échauffer en attendant Prince. Lorsque celui-ci arrivait  dans le studio, il se joignait à eux pour créer une chanson à partir de ces bases parce qu’il les aimaient bien.

 

L’autre raison que Tommy mentionne pour justifier l’implication du New Power Generation en studio, est le désir qu’éprouvait Prince de constituer un groupe mêlant divers éléments tels que le mélange des voix, le partage d’expériences et la mixité des origines. Michael B. complète en rappelant que le groupe de Prince dans les années 87-88 était constitué principalement de musiciens venant d’Oakland, Californie et des environs (Sheila E., Boni Boyer, Levi Seacer, Miko Weaver), de Chicago (Cat) et ailleurs. Pour le New Power Generation, Prince est revenu à sa base, Minneapolis et ses environs. Ses lieux fétiches de recrutement étaient le « Bunker’s Club » où jouait le Dr Mambo’s Combo (avec Michael B. à la batterie et le bassiste pour qui Prince avait de l’admiration, j’ai nommé Sonny T.) et le « Fine Line » où jouaient les Steeles avec encore une fois Sonny T. à la basse et le claviériste Tommy Barbarella. Tous ces artistes se connaissaient et avaient déjà joué ensemble avant leur rencontre avec Prince. Mais bien qu’ils viennent de la même ville, ils n’avaient pas le même parcours. Sonny et Prince avaient grandi ensemble et avaient les mêmes influences. Barbarella bien qu’ayant bénéficié d’une formation classique et jazzy, s’est un jour senti en dehors de son élément, sa zone de confort car il ne possédait pas assez de connaissances sur le répertoire des artistes appréciés par Prince tel que Grand Central Station. Un jour de répétitions, Prince lui a demandé « tu connais Graham Central Station ». Tommy a répondu que non, et Prince lui a rétorqué « Ok, je comprends mieux maintenant ». «Il disent toujours que travailler avec Prince est comme aller à l’école. Pour moi, c’était comme aller en cours du jour et du soir ». Bien sûr il connaissait des figures emblématiques: Stevie Wonder, Marvin Gaye ainsi que Sly Stone mais pas Larry Graham. Pas ce niveau supérieur de musiciens. Dans une autre interview pour The Current, Michael Bland racontait qu’il avait également redécouvert l’œuvre de Sly & The Family Stone sur les recommandations de Prince. Ensemble, ils ont décortiqué et analysé certains albums de Sly comme « Fresh » pour que Michael acquiert ces fondamentaux et comprenne ce que Prince voulait.

Au feeling

Pour Michael, il n’y avait pas vraiment de processus bien défini pour passer d’une version en studio à une version live, c’était au feeling. Toutes les performances étaient filmées et c’est au moment où Prince visionnait les vidéos qu’il disait qu’il fallait exploiter quelque chose, comme par exemple un groove qu’il aimait particulièrement. Et c’est d’ailleurs comme cela que « Rock N’ Roll Is Alive (And It Lives In Minneapolis) » est né.

Lors d’une jam sur « Get Wild », Prince qui avait fait installer une ligne d’interconnexion entre le soundstage de Paisley Park et le Studio A, s’est mis à parler au public pour qu’il répète la phrase « Rock n’ roll is alive, and it lives in Minneapolis ! » pour l’enregistrer. Le jour suivant, il était prêt à produire la chanson.

Entre les albums « Diamonds and Pearls » et « Love Symbol » c’était de l’enregistrement live pur et dur comme il n’en existait déjà plus à l’époque. Les titres « Cream », « Jughead » ainsi que « Diamonds and Pearls » et « Live 4 Love » en sont la preuve car ils se sont déroulés tels des performances live en studio.

La chanson « Willing And Able » n’échappera pas à la règle.

« Ma mémoire me joue des tours »

Selon Tommy Barbarella, durant l’enregistrement de « Willing And Able », Kirk Johnson se trouvait aux congas dans la cabine d’enregistrement du Studio A mais Michael Bland se permet de contredire cela car il a un souvenir différent. Tommy comprend qu’étant donné qu’avec Prince, les événements se succédaient rapidement au cours d’une même journée, il est normal que chacun d’entre eux ait un ressenti ou une expérience vécue différemment des autres membres du groupe.

Bland, lui, se souvient avoir enregistré les pistes de base pour « Willing And Able », « Money Don’t Matter 2Night » et « Strollin’ » lors d’un soir au studio d’enregistrement aux studios Sony à Tokyo (ndlr : Warner Pioneer Studios dans les faits) sur les dernières dates japonaises du Nude Tour. Michael souffrait d’une grippe intestinale et de ce fait voulait éviter de quitter sa chambre jusqu’au commencement du concert pour des raisons évidentes.

Mais voilà que Prince s’ennuie et réserve le studio pour que lui, Michael et Levi Seacer s’y rendent pour enregistrer.

Michael se demande si les souvenirs de Tommy qui n’était pas présent lors de ces enregistrements ne seraient pas dû à sa mémoire qui lui joue des tours mais Tommy insiste et ajoute : « La partie principale à la guitare sur la chanson, cet arpège, (il chante) doo doo doo doo doo doo doo, ça, c’est moi sur un Korg T3. Je me souviens du patch. C’était comme le patch de la guitare nylon (acoustique)».

 

En gros, ça se chamaille amicalement car l’un dit qu’il était présent tandis que l’autre réfute ses paroles mais encore une fois, trop de choses se passaient successivement pour en avoir aujourd’hui les idées claires. (ndlr : Les ‘historiens’ donnent raison aux deux dans les faits, puisqu’au moins deux sessions pour cette chanson ont été identifiées : une première à Tokyo en septembre 90 et une deuxième à Paisley Park en décembre pour des enregistrements additionnels. Le titre sera réenregistré une nouvelle fois pour le clip que l’on connait afin d’être diffusé à l’occasion du Superbowl de 1992). Tommy reconnait qu’il a parfois du mal à se souvenir de toutes les sessions lorsque des fans lui posent des questions (en citant l’exemple de titres de Carmen Electra dont il ne se souvient pas si cela s’est passé à Londres ou à Paisley Park).

Michael Bland pense également que lors de cette même nuit à Tokyo, Prince, Levi et lui ont aussi travaillé sur la production de« Strollin’ », « Money Don’t Matter 2Night » et une démo de « Five Women », finalement offerte à Joe Cocker.

Michael Bland vs les samples

Beaucoup de choses qu’ils essayaient de faire ont été influencées par le hip-hop. Mais comme ils essayaient à l’époque de procéder différemment des autres, Prince eut l’idée de donner un son hip-hop à son. Prince et Levi écoutaient incessamment ce qui se tramait du côté des nouveautés commerciales et le groupe essayait de le distiller à leur manière dans leur son, moins orienté vers les DJs mais plutôt vers les instruments de musique.

« De la vraie musique par de vrais musiciens » – Prince.

Prince leur disait d’étudier la musique trap (ndlr : sous-genre du rap, mais qui n’existait pas encore à l’époque. La mémoire de Michael B. lui joue encore des tours), d’aller au Glam Slam et d’écouter ce que le DJ passait, etc. Le but était d’intégrer la nouvelle texture hip-hop à l’aide du clavier. C’était l’avènement de l’utilisation des samples en live. Chacun d’entre eux était déclenché en direct. Pas de Pro Tools ou de DAT.

C’est ici que Michael Bland nous révèle son aversion pour le hip-hop car l’utilisation des samples et des boucles signifiait la fin de son métier de batteur. Mais si Prince voulait intégrer une dose de hip-hop dans sa musique, il fallait que ce soit avec de vrais musiciens, bien avant The Roots. Maintenant, Michael voit des fans débattre sur la qualité de la musique qu’ils ont offerte à cette époque. Certains aiment, d’autres non.

La première boucle que Prince a utilisée en concert est probablement la partie de batterie de Bernard Purdie (samplée de « Rock Steady » d’Aretha Franklin) lorsqu’ils jouaient « Daddy Pop ». Tommy devait maintenir cette boucle en continu car Michael Bland ne possédait pas la technologie adaptée pour les relancer depuis sa station. Cela n’arrivera que plus tard. Tommy ne pouvant pas lâcher cette note, devait arranger la disposition de son matériel de manière à ce qu’il lui soit possible d’atteindre les touches des autres samples et en même temps que cela lui soit possible de jouer sur le clavier. Cette pratique évoluera et Tommy finira par ne plus jouer que des samples.

Un jour qu’ils étaient en train de faire une jam interminable, Prince lança : « Break it down ! Tommy on the one ! » Et Tommy commença à jouer toutes ses parties qui n’étaient qu’une succession de samples de Prince à la guitare et à la basse. Prince disait « Yeah, Tommy est funky ! » mais il ne s’agissait en fait que de samples de son propre jeu et c’est pour cette raison que lorsqu’il a rejoint le groupe Greazy Meal, Tommy ne voulait plus jouer d’aucun sample et revenir aux fondamentaux : jouer du clavier et de l’orgue.

Michael Bland nous révèle quant à lui, que le recours aux samples était de plus en plus important au fil des années, en particulier à l’époque était en formation réduite à la batterie, la basse et deux claviers. En effet, le NPG de la période « Come » / « Gold Experience » a vu naitre et a utilisé plusieurs nouveaux appareils et devait s’adapter en permanence à ces nouveaux programmes de différents éditeurs.

Michael et Tommy se remémorent une anecdote au sujet de Janet Jackson et son groupe : Un jour, une dame avoue à Michael Bland que jusque-là, elle n’avait jamais réalisé à quel point ils étaient doués. Celui-ci lui demanda quelle en était la raison et elle lui raconta qu’un jour, durant une tournée de Janet Jackson, alors qu’elle devait faire quelques arrangement au département vestimentaire, elle a entendu le groupe commencer à jouer pour le soundcheck. C’était une heure avant le début du show et elle se dit : « Que font-ils déjà ici ? » La dame, s’est alors précipitée vers l’auditorium mais il n’y avait personne sur scène. C’était simplement les pistes qui tournaient. Ce jour-là, elle a découvert que les musiciens de Prince faisaient du live et ceux de Janet, du Memorex.

Chaque solo comme si c’était le dernier

Pour Tommy, de nos jours, si l’on demande à quelqu’un, quels sont les musiciens qu’il admire, sa réponse sera de donner le nom de la personne dont il admire les performances sur YouTube. Il se considère donc très chanceux d’avoir grandi en regardant leurs influenceurs jouer en live, de très près, la sueur coulant sur leur visage et avoir les oreilles emplies d’un son qu’il ne pourra jamais entendre sur une plateforme virtuelle. C’est cela qui leur était inspirant. La musique était tout autour d’eux et il fallait se battre pour prouver ce qu’ils valaient. Cela pouvait être musicalement brutal mais c’est comme cela qu’ils se perfectionnaient, c’est parce qu’il fallait se faire une place parmi les « anciens » qu’il fallait travailler dur. Pour Tommy, c’était du « vivre ou mourir », il jouait chaque solo comme si c’était le dernier. C’est de cette manière que leur groupe jouait avec Prince car c’est ce qu’il a lui-même toujours montré et c’est cette intensité que Tommy reproche à la génération d’aujourd’hui d’avoir perdue. Michael tempère toutefois en disant qu’on peut quand même être ébloui en regardant des performances sur Youtube, comme les vidéos de Cory Wong.

 

 

Article rédigé par Virginia PM, complété par Chak