Blule, une des dernières illustratrices à avoir travaillé pour Prince lance une campagne sur Kickstarter pour publier son livre. Elle raconte pour nous son expérience, son parcours de fan, le projet qu’elle avait avec Prince et les studios de Paisley Park.

Blule, de son vrai prénom Clémentine Campardou, est une illustratrice française. Après avoir étudié à l’école des Beaux-Arts, elle fait de sa passion un métier en travaillant pour des grandes marques comme l’Oreal et Fila et s’expatrie en Australie. En surfant sur le net, Prince découvre ses œuvres à travers une illustration qu’elle avait faite de lui et lui propose, via son staff, une collaboration dont le point d’orgue devait être une re-décoration des studios Paisley Park.

Aujourd’hui, Blule a l’intention de publier une trentaine de ses aquarelles princières sous forme de ‘beau-livre’ (Grand format avec une grande qualité d’impression) sous le titre « « On The One » by Blule ».

Pour soutenir ce projet, rendez-vous sur kickstarter avant le 2 novembre 2017 (il ne sera financé que si l’objectif de financement est atteint à cette date).

Dans l’interview que vous pouvez lire ci-dessous, Blule revient sur son parcours professionnel d’artiste/designer et de fan de Prince puis comment, un jour, ses deux passions se sont rejointes.

Introducing Blule

  • Pour ceux qui ne te connaissent pas peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis une illustratrice / designer Française. Je vis maintenant à Sydney, en Australie.

J’ai commencé ma carrière en tant que designer pour des marques comme Fila et l’Oreal. Après une dizaine d’années, je suis retournée à mes premières amours: la peinture.

  • Le Kickstarter actuel présente ton travail de peintre. Parle-nous de ton parcours et ton travail.

Je travaille principalement en aquarelle, et traite de tous les sujets qui m’inspirent, le plus souvent « pop culture ».

Je suis une enfant des années 80/90, de la télé, des mangas et des comics. Au-delà de mon travail pour Prince, certains d’entre vous ont peut-être déjà vu mes séries Marvel et DC Comics.

En Australie, je travaille depuis mon atelier, à Bondi Beach. Je suis aussi très inspirée par l’environnement local, qui pour une Française reste très exotique. J’ai fait 2-3 expositions à Paris à l’époque où je travaillais à l’acrylique, dans un style assez différent.

Maintenant, la majeure partie de mon activité sont les travaux de commande pour divers marques, et mon travail plus personnel via mon studio et ma boutique en ligne (blule.fr).

  • Comment as-tu découvert la musique de Prince ? Etais-tu toi même « fan » ? Je crois que ton mari est un « hardcore », comment se traduit chez lui cette passion ?

Mis à part ses tubes des années 80 que j’ai découvert à la radio comme beaucoup d’entre nous, j’ai découvert sa musique grâce à mon mari. Il est en effet ce que certain appelleraient un « Hardcore », depuis le plus jeune âge (précisément depuis qu’il a vu le Lovesexy tour à Bercy, du haut de ses 11 ans :)).

Nous nous sommes rencontrés au collège, je dessinais déjà et il était déjà fan. Un t-shirt de Prince différent chaque jours de la semaine, en en parlant comme s’il savait quelque chose que nous autres n’avions pas encore compris. Un jour il m’a demandé de lui dessiner la Cloud Guitar. Il faut croire que tout ça était écris… (Tristement, ce dessin n’a pas survécu aux années).

On s’est revu quelques années après. Je faisais l’école des Beaux-Arts, il était toujours fan. C’est là que j’ai vraiment découvert Prince et sa musique, à travers les centaines d’enregistrement live et studio, les histoires de tournées. C’était un peu après la période Love Symbol.

A l’époque, il pouvait décider du jour au lendemain de partir voir un concert à Londres ou même aux Etats-Unis. Sa passion m’a toujours interpellée et fascinée, comme faisant écho à la mienne pour la peinture. Avec les années, les contraintes familiales et professionnelles, les voyages se sont faits plus rares, heureusement, on habitait Paris, passage obligé de toutes les tournées. La passion, elle n’est jamais partie.

Ma relation avec Prince est très différente. J’ai à la fois tout entendu,mais je suis incapable de citer les titres des albums. En partie parce que l’encyclopédie, c’est lui, du coup je n’ai pas besoin de retenir tout ça, mais aussi parce que ma vision de Prince est plus graphique que musicale, déformation professionnelle oblige.

Sa musique prend tellement le dessus, qu’on a tendance à oublier qu’il a aussi révolutionné tant de « looks ». C’est la partie vers laquelle je suis la plus attirée, tout particulièrement par l’époque « Purple Rain ». Le dandy romantique et sexy, rockeur en dentelle…

  • Si tu devais nous faire ta playlist idéale , quels seraient les 20 titres que tu choisirais ?

Mon choix est partiellement influencé par le « graphisme » que j’associe avec les morceaux.

« Purple Rain », l’album. Plus spécifiquement « When Doves Cry » et « Purple Rain ».

Je suis aussi beaucoup influencée par les lives : « How Come U Don’t Call Me Anymore » du Purple Rain tour, le « Gett Off » de MTV ou « Little Red Corvette » du Piano & A Microphone.

C’était absolument formidable. J’étais au concert de l’Opéra de Sydney, mon mari fait ceux du State Theater en plus. L’expérience, le lieu. Sa présence, la musique. C’était incroyable, le voir animer, seul, une salle comme celle de l’Opera….

Quiconque assistant à ça, fan ou pas, aurait compris avoir vu quelque chose, quelqu’un, d’unique.

  • Rétrospectivement, beaucoup disent que cette tournée était annonciatrice des tristes événements d’avril 2016. As-tu ressenti cela toi-même ?

Que ce soit mon mari ou moi, personnellement, nous n’avons pas ressenti ça. Il y avait beaucoup d’émotions: Vanity était décédée quelques jours avant. Il n’avait pas l’air moins en forme. Il avait sa canne, mais rien de particulièrement nouveau ici. Certainement moins « athlétique » qu’à 20 ou 30 ans, mais en même temps, il n’avait plus 20 ou 30 ans…

« I know first hand that Prince loves your work »

  • Quand et pourquoi as-tu commencer à peindre l’artiste?

Là encore, c’est à travers mon mari. Mis à part les débuts au collège, j’ai peint un portrait de Prince pour lui, en cadeau. Celui-là même que Prince achètera quelques années plus tard. C’était mon premier vrai portrait de Prince, mon seul même.

  • Nous avons vu Prince porter un de tes tableaux sur ses tenues de scène. Comment cela s’est-il produit ?

J’ai diffusé ce portrait via mon projet de l’époque: « Colour Up Your Day« . Il a ensuite été relayé sur Internet, notamment par Lydia (LV), une amie graphiste qui travaillait déjà pour Prince.

Un matin quelques jours après, je découvre un court email du manager de Prince disant qu’il souhaitait l’acquérir. C’est amusant comme certains emails réussissent à vous réveiller plus rapidement que d’autres.

Je n’y croyais pas trop au début, j’ai fait vérifier l’authenticité du nom et de l’adresse email avant d’engager la conversation. Vingt-quatre emails plus tard, c’était signé. Le processus était à la fois très cordial et sympathique, et professionnel.

Cette chaîne d’email contient les neuf mots les plus beaux qu’une artiste puisse lire: « I know first hand that Prince loves your work ».

Ca a aussi marqué le début d’une collaboration.

Let’s Work 2Gether

  • As-tu eu d’autres échanges et/ou commandes de sa part ? 

Peu après tout ça, un fan Anglais m’avait commandé une nouvelle illustration. Prince l’a vue, et elle a connu le même sort. J’ai aussi reçu une demande de travailler sur une image des trois musiciennes de 3rd Eye Girl.

Je n’étais en contact qu’avec le staff, jamais avec Prince en direct, mais ils étaient assez clairs sur le fait qu’ils ne faisaient que relayer ses demandes.

Pour ces images, la nature de la relation était assez différente: c’était une commande. Là où les autres images étaient « en l’état », il y avait des « retours » et commentaires. Mais comment dire à Prince qu’on n’est pas d’accord avec ce qu’il veut ? Tous les gens qui ont travaillé en agence le savent: gérer les modifications du client peut s’avérer délicat. Attendez que votre client s’appelle Prince…

Au final, en grande partie grâce à l’efficacité de son équipe, les choses se passent bien. Le plus dur est de gérer les attentes et les délais. Il était bien sûr très occupé, et manifestement, rien ne se fait sans prendre son avis ? Du coup, entre deux retours, plusieurs semaines peuvent passer.

Enfin est arrivé le projet des studios: re-décorer les salles d’enregistrement de Paisley Park. Lydia travaillait déjà dessus, et je sais que d’autres artistes étaient aussi dans la boucle.

Le brief était assez sommaire. On commençait par la plus grande salle: Purple Rain. Il fallait « raconter » le film, de son stade « projet » à l’avant-première en passant par le show du First Avenue. Le travail était assez conséquent, donc j’ai commencé par une phase de croquis (ce que je fais assez rarement pour les commandes).

Pour ce projet, l’interlocuteur a changé: j’échangeais maintenant avec le « premier cercle ». C’était intéressant de voir qu’il avait plus d’autonomie, de pouvoir de décision. Il avait la confiance de Prince.

A ce moment-là, Prince préparait la tournée Piano & A Microphone depuis Paisley Park. La communication s’est faite plus rare. La tournée Australienne a été annoncée. Une rencontre pour travailler sur le projet de re-décoration des studios a été évoquée, mais son emploi du temps ne le permettait pas. Son attention était clairement portée sur la tournée, le projet du studio était en attente.

S’il y avait eu un projet qui aurait pu m’amener à le rencontrer et à aller à Paisley Park, c’était celui-là. Je me suis beaucoup investie dessus, ça aurait été ma chapelle Sixtine. A ce jour, je n’y suis pas encore allée.

Sydney-Minneapolis n’est pas un petit voyage, encore moins en famille. C’est prévu cependant.

  • Quel souvenir gardes-tu de toute cette expérience ?

Parfois, je n’y crois toujours pas complètement. J’en retiens une grande fierté bien sûr. En tant qu’artiste, recevoir l’aval de Prince peut difficilement être battu.

Mais il y a un goût d’inachevé qui me restera jusqu’à la fin de ma vie.

  • Tu as participé à l’élaboration du poster pour célébrer l’anniversaire du musée de Paisley Park. Comment s’est faite cette demande de Paisley Park ? Par qui ?

Depuis le décès, je n’avais eu aucun contact avec les équipes de Paisley Park.

J’ai déjà mis un certain temps avant de pouvoir peindre Prince à nouveau et je me concentrais sur la communauté. Je n’étais pas particulièrement intéressée de travailler pour l’Estate. C’est pourquoi j’ai été très agréablement surprise de recevoir un email des mêmes personnes avec lesquelles j’étais en contact auparavant.

J’ai créé une image pour l’anniversaire du musée de Paisley Park. Si les conversations sont bien sur différentes, ça s’est révélé mois difficile que ce que j’imaginais.

Il ne faut pas oublier que les premier « fans » sont aussi les équipes de Paisley Park. Ce sont les premiers à se battre pour préserver sa mémoire, et il n’y a pas plus légitime qu’eux. Ils doivent composer avec l’Estate, mais de là ou je suis, ils font un très bon travail.

  • As-tu d’autres projets avec les héritiers / Paisley Park?

Rien de concret, mais on discute… 😉

« On The One » A Marvellous Book, about Prince, by Blule

  • Aujourd’hui ton actualité est ce Kickstarter. Il reste quelques jours. Peux-tu nous en dire plus sur cet incroyable ouvrage que tu prépares ?

 Ouvrage. J’aime beaucoup ce mot, et il est très adapté dans ce cas. C’est le projet le plus dur de ma carrière. D’un point de vue émotionnel, de par l’ampleur, mais aussi et surtout par la pression de ne pas vouloir décevoir la communauté.

La communauté des fans de Prince est absolument formidable. Faire quelque chose en son nom et pour elle, même avec la légitimité que m’a offerte Prince, c’est très dur.

J’ai créé le livre avec mon mari en tête. C’est aussi une réponse aux nombreux fans qui m’ont contacté en m’expliquant comment mon art les aidait à guérir. Ça a été ma principale source d’énergie.

Je souhaite que le livre reste sur les table-basses, dans les salons des fans, et déclenche des conversations, entre fans, ou avec des néophytes, autour de Prince. Un outil supplémentaire pour préserver sa mémoire.

L’objet en lui-même est très différent de ce qui se fait, unique même. J’ai des centaines de livres d’art (déformation professionnelle oblige), aucun ne lui est comparable. 44cm par 34 cm, 2 Kg, dorures, rubans, matières…. Et 30  illustrations en aquarelle représentant Prince uniquement, dans les personnages qu’il inventait pour nous à chaque nouvelle période pour ses concerts.

Ce sera une édition unique, tout petit tirage, imprimé en France.

Kickstarter me permet de financer ça sans hypothéquer la maison (que je n’ai pas de toutes façons 🙂 ), et sans faire de compromis sur la qualité non plus.

La campagne avance bien, je suis confiante sur son aboutissement. J’ai tellement hâte de le faire découvrir aux fans.

Il s’appelle « On The One. » (Toutes les infos (en Anglais) sont sur https://on-the.one)

  • Penses-tu que prince va continuer de t inspirer ? Imagines-tu déjà un volume 2 ?

Créer le livre m’a pris beaucoup d’énergie. J’ai aussi dû mettre de côté tout un pan de mon activité que je dois maintenant réactiver. Donc je vais probablement faire une pause (j’ai vidé tous mes tubes de violet de toutes façons 😉 ) Mais rien ne changera l’inspiration qu’il représente pour moi. Même après son départ, j’ai le sentiment qu’il m’a tant appris.

Un deuxième volume, certainement pas. Je n’ai pas du tout créé le livre dans cette optique.

C’est en partie un hommage. Je préfère rendre hommage une seule fois.

  • Le mot de la fin : que veux-tu dire au public francophone/français qui te lit aujourd’hui ?

Merci, tout d’abord. La quantité de soutiens et d’émotions est exceptionnelle.

Cette communauté, internationale avant tout, est chaque jour plus forte. C’est fascinant de la voir s’organiser pour préserver, collectivement, son œuvre. Il y a de nombreux nouveaux fans, après le 21 avril. Prince, c’était une expérience. Et une expérience, ça ne se photographie pas, ne s’enregistre pas. On ne peut qu’essayer de la préserver en échangeant, et c’est ce qu’on fait, tous les jours.

Continuons.