Quand j’ai plongé dans l’addiction princière j’ai assimilé à la manière d’un glouton tout ce qui se rapprochait de prés ou de loin de sa musique. Parmi les artistes que l’on présentait à l’époque comme Satellite, l’un d’eux m’a toujours fasciné, il s’agit de Jesse Johnson.
Jesse a plus que contribué a ce qu’il est commun d’appeler le Minneapolis Sound, ses albums contiennent de belles merveilles, et surtout sa relation avec Prince est ambiguë. Dans les années 80 alors que Prince est au top, Jesse Johnson sort son deuxième album Shokadelica. D’après les différents proches de Prince que j’ai pu rencontrer, ce dernier prend l’album en pleine tête, et voit vraiment en Jesse un réel concurrent. Et oui il est comme ça le « kid », quand quelqu’un assure vraiment dans son entourage il n’aime pas trop. Ce fut le cas avec Dez Dickerson déjà, mais avec Jesse il semble que ce soit pire. Passons sur cela, j’en ai déjà parler ailleurs, mais à l’époque, en Europe, du moins en France, Jesse n’est présenté que comme un ersatz, une copie du génie de Minneapolis.
De mon côté, tout fan de Prince que j’étais, je n’y ai jamais cru. Je pense que Prince a emprunté énormément de chose a Jesse. Je sais que cela peut paraitre surprenant, mais Jesse n’était pas un produit Princier, pas une production Paisley Park, et il n’avait nullement besoin d’imiter Prince, puisqu’artistiquement il existait.
Bon j’arrête la cette longue intro qui cherche juste à dire que depuis plus de 20 ans je suis un inconditionnel de Jesse Johnson, qu’il est l’un des artistes de Minneapolis qui m’intrigue le plus, et que je rêvais de le rencontrer.

L’annonce de sa présence avec The Time à Vegas a commencé a bien m’exciter, et  les premiers « reports » racontant qu’il jouait ses titres m’a vraiment donné envie d’y aller.
Je suis souvent transparent sur le pourquoi ou le comment je décide de faire un voyage etc.. Mais la c’est un peu compliqué. Je traverse un épisode très difficile de ma vie et les choses se sont décidées en à peine 10 jours.  Ca parait paradoxal mais c’est ainsi.
Me voila donc parti pour 2 concerts de The Time, le 29 et 30 juillet. Je posterai dans le sujet sur The Time mes impressions sur ces concerts, me focalisant ici principalement sur le guitariste.

Lorsque Jesse est arrivé sur scène j’ai d’abord eu peur. Quelques kilos en trop, le visage visiblement marqué par les années, tous les « on dit » que j’avais pu entendre sur son état mental, la drogue etc, ne laissaient rien présager de bon. Mais dès les premiers accords la magie commence à opérer. Jesse est fascinant sur scène car…. Il faut admettre que 95 % de ses attitudes sont identiques à celles de Prince. C’est absolument impressionnant, et encore une fois, pour reprendre ce que je disais plus haut, il est impossible que l’imitation soit à sens unique. Et si on commence à se dire que l’imposteur n’est pas celui qu’on croit, alors on part dans un tourbillon un peu inquiétant.
Pendant le concert Jesse assure vraiment à la guitare, et dans un show hyper carré, il arrive a glisser des riffs assez variés.
Arrive enfin « sa partie ». Terry Lewis à la basse, Jellybean à la batterie et lui a la guitare (un groupe de rêve), voici qu’il enchaine pendant 10 minutes impros et medley « be your man / can you help me / free world ». La voix est intacte. Pur présence. C’est grandiose.

Fin du concert, Vegas est une ville de business, il est possible de prendre une photo avec le groupe (payante bien sur), j’en profite pour capter l’attention de Jesse (sachant qu’a 20 centimètres j’ai 2 autres de mes héros : Jimmy Jam et Terry Lewis), a qui j’explique que j’ai fait le trajet motivé par sa présence. On me presse pour la photo. Je m’exécute. Puis le groupe se disperse, mais Jesse, Jimmy Jam, Terry Lewis, Jerome Benton et Jellybean restent là. Je parle avec chacun d’eux, et surtout Jérome et Jellybean que je connais un peu, puis Jesse revient vers nous. Je commence à parler avec lui, afin de le rassurer un peu (genre « je ne suis pas juste un fan débile »), et je me dirige vers la sortie en me disant que je pourrai poursuivre le lendemain. Premier « miracle »,  il m’appelle par mon prénom (tiens, quelle mémoire), pour me dire que le lendemain à 11h30 il pourrait être disponible. Je pense à une formule de politesse, ou a une volonté de trouver une collaboration (je lui ai parlé des soirées, mais aussi de mon boulot). Je lui donne mon numéro de chambre et je le quitte content, mais un peu sceptique. Combien de fois ce genre de promesse n’est pas tenu.

Je vais dans ma chambre, je prends 2 ou 3 choses et je redescends. MIRACLE je croise Terry Lewis en « tenue civile », et 30 secondes après Jesse en compagnie d’amis. Je le salue rapidement, avance de quelques mètres et de nouveau j’entends « Raphael ! » . Là je crois halluciner. Je me retourne, c’est  bien lui qui m’appelle.
J’approche, et là il me dit « si je ne t’ai pas appelé a 11h vient directement dans ma chambre, voici le numéro ».
Je n’ose y croire, je n’ai même plus envie de sortir, n’ayant qu’une hâte : me coucher.

Lendemain matin : 11h. Le téléphone ne sonne pas. Mon intuition ne m’a donc pas trompé, encore une promesse à la va vite, que je connais, et que je peux comprendre, mais quand même…
11h30 : que faire ? Y aller, au risque de passer vraiment pour un lourd ? Et en même temps quand pourrai je de nouveau tenter ma chance ? C’est bon je monte.
J’arrive à l’étage des suites, les numéros défilent… Ce n’est pas possible je ne vais pas frapper quand même ?
Toc Toc…. Rien… Ma paranoïa revient au galop « il est parti / ce n’est pas la bonne chambre / il ne veut pas ouvrir »
Toc toc… Rien… ok je pars… non je ne peux pas partir quand même, allez une dernière fois
Toc Toc.. Rien ! je marche un peu dans le couloir, je me dis que c’est mort et la…
La porte s’ouvre, Jesse est réveillé depuis peu, il est en peignoir, je n’arrive pas a y croire. A-t-il bien vu que je n’étais ni blonde, ni en jupe ? ….

Dans sa suite des amplis et des guitares sont posés. Il me propose à boire, et nous commençons a parler. Très vite la glace se brise, il aborde de lui-même sa collaboration avec Rita Mitsouko et ses 8 mois à Paris. Je lui annonce la mort de Fred Chichin, il est touché, et ne semble pas feindre son émotion. Il me raconte comme Fred était gentil, se souvient de la présence de Mondino, lui-même fan de Jesse à l’époque.
On parle de The Time, comme quoi ce groupe est un « vrai » groupe, pas un « truc qui appartient a Prince », que ce projet  « ils l’ont porté sur leurs épaules », et que cela motive cette réunion. Puis on parle de musique, de ses influences, de la « jeunesse et du téléchargement », de notre désarroi chez les disquaires devant les nouveautés qui ne nous parlent pas, et donc de nos dépenses dans des ré-éditions sans fin etc etc etc..
Puis on parle de ses productions, principalement KoolSkool et Da Krash, ce qui le fait sourire.
Sur sa « disparition » je ne saurai rien.
Au cours d’une discussion il me dit « j’ai bien vu que tu étais sceptique sur notre rendez vous, mais quand je promets une chose je m’y tiens. D’ailleurs ce n’est pas pour rien si dans Black In America j’ai écrit… » et il commence a chanter 1 couplet devant moi. Mes amis comment vous expliquer l’état dans lequel j’étais à ce moment là ? Non seulement je parle à une de mes idoles, mais il chante devant moi au levé du lit. C’est bon j’en ai pour ma journée.
Enfin.. que je crois. Car je ne suis pas au bout de mes surprises.
Jesse se lève et va chercher son ordi portable. Il l’ouvre et commence à me faire écouter des titres live de lui. Il m’explique que si les gens ne les vendent pas , ils peuvent enregistrer ses concerts, et que ceux qu’il me fait écouter viennent de fans de différents pays.  Je suis en plein rêve, je ne veux pas me réveiller.. et il ne le veut pas non plus.
« you got a minute ? » me dit il.
Tiens, tu penses que j’ai une minute !…
Il prend le casque de mon ipod, le branche sur son mac, me le met sur les oreilles, et me balance du début à la fin les 20 titres de son prochain disque.  Si ce qu’il m’a fait entendre sort, ca va faire très très très mal. C’est horrible car je ne peux en parler. Mais ce n’est pas une redite de ses premiers disques, et pas du tout la suite de « bare my naked soul ». Les amateurs de pur funk seront servis, et ceux qui apprécient son jeu de guitare vont pouvoir jouir de ses progrès et de sa multiplicité. Les influences sont très variées. Je ne veux pas vous gâcher la surprise dans le cas où il sortirait un jour, donc inutile de disserter d’avantage. Mais depuis mon retour  je ne pense qu’à le ré-écouter… ce qui sera j’espère un jour possible.
A cet instant précis je suis au bout de ce que je pouvais imaginer, quand soudain on frappe à la porte. Jesse va ouvrir, et voici que Dee Dee guitariste de Da Krash et Kool Skool entre dans la suite. Le type est adorable, halluciné que je connaisse les groupesen question, Jesse à un sourire complice face a cette « surprise », je nage en plein rêve. On parle encore tous les 3 pendant un long moment, Dee Dee commence à sortir une des guitares qu’il manipule un peu… Je pense qu’ils ont l’intention de jouer un peu.
Malheureusement il faut alors que je les laisse, Jesse ne me chasse pas, m’invite même a rester, mais ça fait déjà 2 heures que je suis là, et c’est horrible mais il faut que je parte. Sur le pas de la porte Jesse me lance un sympathique « tu montes ce soir après le concert ok ? »… Je n’y crois toujours pas.

Le soir du second concert l’émotion est différente. A peine le rideau ouvert Terry Lewis me fait un petit « hello », Jerome arrive au milieu de COOL pour me dire « bonjour monsieur », et en plein solo sur Free World, Jesse vient me serrer la main. Que puis-je souhaiter de plus ?

Le concert se termine, le « meet and greet » est expéditif, et Jesse disparait assez vite. 30 minutes après je frappe à sa porte pensant  le trouver avec quelques « copines » ou amis. Et bien non. Il est prêt à partir, il « m’attendait ». Nous descendons pour aller manger, on sort du Flamingo Hotel, direction le Caesar Palace en face que l’on traverse pour nous rendre au Cheesecake Factory. Nous y resterons jusqu’à ce que le directeur nous mette dehors gentiment, puisqu’il ne restait plus que nous dans les lieux, et qu’ils avaient déjà tout nettoyé
Au cours de ce repas nous avons parlé de différentes choses, mais aussi et surtout de Ségolène Royale !!!! Figurez vous que Jesse Johnson a suivi les élections et les débats sous titrés en anglais. Il me demande comment ça se passe avec «ce jerk de président qui a épousé la fille connue ». Pincez-moi, je rêve.

Voila ce que je peux vous rapporter de ce périple. Sur la liste des gens que je rêvais de rencontrer Jesse Johnson était le dernier et au top de la liste. J’aurai voulu rester encore plus. Je m’attendais à voir un type ravager par les excès, totalement déconnecté de la réalité, et j’ai rencontré un être délicieux, lucide, avec une touche de folie bien sur. Quelqu’un qui a quand même morflé des journalistes, de son statut de « clone de Minneapolis », et d’une trop longue période de silence. Cette rencontre est pour moi très importante,  il m’a d’ailleurs confié sa vision des choses, que l’artiste que je vénère le plus devrait adopter, il m’a dit : « quand tu rencontres tes héros il n’y a rien de pire que se rendre compte que ce sont des sales cons. Quand quelqu’un m’a fait l’honneur d’acheter mes disques, d’écouter et de comprendre ma musique, il est normal que je sois disponible pour lui. Je suis moi-même « fan », et quand j’ai rencontré BB King j’étais comme un gamin à lui demander de me signer des disques et a être tout excité».

Pari réussi Mr Jesse Johnson, vous n’avez rien d’un « asshole », et vous avez bel et bien fait de cette journée un moment dont je me souviendrai jusqu’à la fin de mes jours.