« The Beautiful Ones » est certainement le livre le plus attendu depuis le décès de l’artiste. En France, c’est l’éditeur Robert Laffont qui publiera ces « Mémoires Inachevés » de Prince le 31 octobre.

Note : nous avons choisi de préserver au maximum votre plaisir de lecture. Chaque phrase du livre donne envie d’être citée ici. Nous nous sommes retenus le plus possible pour que vous puissiez profiter de tout ce que ce livre réserve comme surprises.

Contexte d’écriture du livre The Beautiful Ones

Le 21 avril 2016, peu de temps après que le corps de Prince ait été retrouvé inanimé à Paisley Park, les journalistes sont en quête de dernières informations disponibles sur l’artiste. Très vite les différents intervenants sélectionnés, souvent à la hâte, se retrouvent interrogés sur le dernier projet en date : Prince aurait commencé à écrire ses mémoires. A l’époque difficile de se prononcer. Le choc est immense. Et l’idée qu’il ait pu commencer à se raconter, sans pouvoir aller au bout, ajoute une triste ironie à une situation aussi incompréhensible que dramatique.

Prince dans un lit avec une guitare (© 1986 Joseph Giannetti)

27 pages

Il aura fallu attendre pratiquement 3 ans et demi, pour que les 27 pages manuscrites de Prince soient publiées. Quelle forme donner à l’ouvrage ? Que dit-il dans ces 27 pages ? Est ce compréhensible quand on connait sa capacité à tenir des propos obscurs ? Est il possible d’en faire un livre ? Comment ne pas considérer le résultat comme du remplissage ? Qui osera terminer le travail ?

Voila autant de questions que professionnels et fans ont pu se poser.

Le résultat est bien supérieur aux attentes que l’on pouvait avoir, et certaines craintes légitimes peuvent définitivement se dissiper ; Prince dit plus en 27 pages que bien des biographies publiées depuis des décennies. Du moins, sur une même période.

« Mais alors, si Prince raconte les débuts de sa vie, qu’il ne parle pas des grandes années de sa carrière et pire encore, que rien ne traduit son état d’esprit des dernières semaines de son existence, quel est l’intérêt ? » pensez-vous. Pourtant c’est précisément là que « The Beautiful Ones » apparaît comme une magnifique surprise.

Frustration ?

La question récurrente, sachant qu’on allait tenir un livre traduisant « 27 pages manuscrites », était « Mais est ce que cela n’est pas frustrant ?  »

Il est certain qu’on ne saura jamais ce que Prince avait en tête lors de l’annulation du « Black Album », qu’il ne raconte pas plus ses nuits sulfureuses avec Vanity que son histoire d’amour avec Mayté. Il n’a pas non plus eu le temps nécessaire pour aborder ses tournées et ses albums les plus prestigieux, et son rapport à tout cela.

Mais finalement « The Beautiful Ones » raconte bien plus. Ce livre raconte deux périodes importantes de la vie de Prince, sur lesquelles nous connaissons finalement assez peu de choses : ses premières années…. et les dernières semaines. Entre les deux, nous avons des centaines de chansons qui nous permettent de combler les trous.

L’intelligence du récit et de sa conception, nous la devons à Dan Piepenbring, co-auteur choisi personnellement par Prince

« Si je veux que ce livre ait un sujet dominant c’est la liberté. La liberté de créer en toute autonomie »

En choisissant comme co-auteur Dan Piepenbring, journaliste littéraire de The Paris Review, Prince trouve quelqu’un capable d’échanger avec lui, de relire ce qu’il écrit et de lui faire un retour. Il évoque souvent la manière dont les mots de Dan se marieront avec les siens. Que les fans les plus intransigeants se rassurent, le texte de Prince est livré brut, sans modification. Il est cependant enrichi par des notes qui sont la plupart du temps des précisions que Prince donnait à Piepenbring pour expliquer son propos. Il y a donc les mots de Prince, et ici et là, dans la marge, la « voix » de Prince qui commente ou affine.

« The Beautiful Ones » ne débute d’ailleurs pas par le texte de Prince mais par une longue et passionnante introduction où Dan Piepenbring raconte, assez simplement et avec une humilité immense, le processus créatif du livre et ses échanges avec Prince durant les trois mois qui vont précéder son décès. Inexorablement, en racontant le making of du livre, il raconte les derniers jours de Prince. Ce regard, nous ne l’avions pas. Le désir profond qu’avait Prince de s’adresser au monde, le souhait d’écrire un ou plusieurs livres qui puissent compter  (la communauté afro-américaine, puis le racisme, et la liberté artistique sont des sujets récurrents), ainsi que son dégoût pour la guitare (?!?!) à ce moment de sa vie (et bien d’autres choses qu’il serait criminel de divulguer ici) interpellent résolument. Prince ne parle pas comme quelqu’un qui se voit mourir. Mais il y a un feu différent en lui, c’est évident. Est-ce l’âge ? Est-ce le décès de personnes importantes autour de lui ? L’idée de bilan est forte. L’idée de transmission importante. Mais aussi, et plus surprenant peut être, une volonté de clarté.

© 1985 Allen Beaulieu

Prince est précis. Que ce soit dans les questions qu’il pose à son co-auteur, ou dans son texte, il ne minaude pas. Il ne biaise pas, ne cherche pas a prendre des chemins incompréhensibles. Le verbe est précis tout comme les mots choisis… Le manuscrit intégralement présenté au sein de l’ouvrage comporte très peu de ratures. Prince explique même qu’il appréhende l’écriture de ce livre comme celle d’un album. On savait que bon nombre de ses classiques étaient le résultat d’un premier jet. Il semble en être de même pour ces premières pages.

Dan Piepenbring n’a publié aucun livre, et à ce jour il ne sait pas encore véritablement pourquoi Prince l’a choisi.

Dans les moments où ils sont réunis, la manière dont ils conversent est remarquablement retranscrite. Nous avons l’impression de partager la même salle de réunion, la même banquette à Paisley Park pendant le concert de The Time, ou…. la même voiture quand Prince en personne raccompagne Dan à son hôtel !!!

L’article publié dans le New Yorker raconte déjà beaucoup, et nous n’avons pas envie de vous priver du plaisir de cet incroyable aventure que le jeune journaliste a vécu au contact du plus incroyable musicien de sa génération. Mais une chose est certaine, Prince n’a jamais semblé aussi abordable.

Dan Piepenbring, c’est aussi un peu nous. Quel fan ne s’est jamais dit « Si je devais parler à Prince, comment est ce que je m’y prendrai la première fois ? ». Ce moment où Dan répète les différentes manières de dire « Bonjour Prince »en attendant son appel, fera nécessairement écho chez bon nombre d’entre vous. A part pour Frédéric Goaty bien sûr, qui parle souvent avec lui.

« Yesterday I tried 2 write a novel, but I didn’tknow where to begin »

Dan Pieperbring , comme beaucoup de fans dans le monde, apprendra la mort de Prince par un SMS, alors qu’il est dans le métro… Le choc est immense. Lui qui commençait à peine à assimiler et croire qu’il travaillait avec Prince sur son autobiographie voit son travail en cours s’effondrer.

Dan Piepenbring

En s’adressant de nouveau humblement aux fans, il expose la manière dont l’ouvrage s’est construit après le 21 avril 2016. Il raconte le moment où il a rendu les pages manuscrites, sa visite du Vault et la façon dont il a sélectionné les photos, principalement en se remémorant ce que Prince évoquait en terme d’iconographie. Chaque décision est expliquée, justifiée, et le résultat s’en ressent. Le choix des photos est à tomber, que ce soit l’album de 1977 annoté par Prince aux autoportraits dont est issue la couverture du livre, en passant par divers manuscrits, dessins ou shooting historiques comme les pochettes des albums « Prince » et « Dirty Mind« . Comment ne pas verser une larme devant les paroles de « Little Red Corvette« , devant la photo mythique de son passeport, les délires avec Morris Day, ou bien encore lui enfant avec Tyka et ses parents.

Comme une cerise sur le gâteau, la première ébauche de « Purple Rain » est aussi présente. D’abord à travers le manuscrit de Prince, intitulé Dreams, et ensuite via sa transcription pour une meilleure lisibilité. On découvre d’ailleurs que dans les chansons sélectionnées par Prince pour ce film, Bold Generation est présente. Morceau que l’on va pouvoir enfin découvrir dans 1999 Deluxe à la fin du mois de novembre, et dont on vous parlait il ya quelques jours. Il ne s’agit nullement d’un ajout factice. Mais nous préférons vous laisser découvrir, là encore, les explications du co-auteur, qui justifient pleinement la présence de ces quelques pages supplémentaires.

Du début à la fin, « The Beautiful Ones » est émouvant. Il ne faut pas penser à ce que nous n’avons pas, à ce que Prince aurait pu écrire, et à la montagne d’hypothèses qui de toute façon n’existeront pas. Concentrons nous plutôt sur l’ouvrage tel qu’il est aujourd’hui. Ici la quantité n’est pas le sujet. Il faut savourer chaque mot, chaque phrase, chaque image, chaque situation, qui en disent tellement sur qui était Prince en 2016… Mais aussi dans ses jeunes années.

Et puis qui sait, Prince se lassait vite de ce qu’il entreprenait. L’édition n’est pas un monde où l’instantanéité est le maître mot. Peut-être qu’en cours de route il aurait dit « Stop ! Finalement je n’ai plus envie, je passe à autre chose », laissant ainsi au milieu de nombreux documentaires, interviews, clips, et autres films inédits, son manuscrit perdu dans The Vault.

Et donc ? Prince, qu’est ce qu’il raconte ?

« Les yeux de ma mère, c’est la première image dont je me souvienne« .

Voila comment Prince souhaite débuter son récit. Il veut réhabiliter l’importance de sa mère dans sa carrière. Il le dit clairement à son co-auteur. Il enchaîne sur ses jeunes années, de manière assez précise, de cette douce époque où il écoutait son père jouer du piano, au divorce causé principalement par la vie tumultueuse de sa mère (« elle avait des secrets« ). Sans être impudique, il livre énormément d’émotions. Il serait dommage de trop dévoiler le texte de Prince, même si ce n’est pas l’envie qui nous manque, car il est impératif que chacun d’entre vous puisse le lire, et le vivre.

Que celles et ceux qui ont peur que Prince n’ait pas eu le temps d’aborder l’aspect musical de sa vie se rassurent. La manière dont il parle de son enfance est justement traité par le prisme du musicien qu’il est rapidement devenu. Aussi, tout est traduit en musique dans son esprit. Une fois encore, quelle émotion quand il raconte la manière dont il retranscrivait les paroles des chansons qu’il écoutait, pour en comprendre l’essence. Ce qui est agréable c’est que Prince ne fait pas dans la fausse modestie. Que ce soit dans son récit, dans ses propos avec Dan Piepenbring ou dans les notes, il a parfaitement conscience de son talent, de ses capacités et de son niveau. Dans l’introduction, il n’apprécie pas qu’on le compare aux nouveaux musiciens : « Alors qu’ils n’écrivent, ne produisent et ne jouent pas tous les morceaux eux-mêmes – il n’y a pas beaucoup de jeunes musiciens qui ont les compétences techniques nécessaires« . Dans son texte :  « Je n’ai jamais entendu la moindre chanson de rupture comparable a celles que je suis capable d’écrire » puis, « personne n’écrit de chansons d’amour comme moi« . Il a tellement raison.

Spiritualité et sexualité

Depuis la fin des années 90, Prince avait rejoint les Témoins de Jéhovah. Le choix de cette « religion » avait eu deux impacts majeurs sur sa carrière. D’abord il parlait beaucoup de la Bible sur scène, lors de certaines interviews et également en privé. Ensuite, il retira plusieurs chansons trop explicites de son répertoire, et en censura d’autres. Prince était devenu plus édulcoré, ce que beaucoup de fans regrettaient.

Dans « The Beautiful Ones – Mémoires inachevés », le ton employé par Prince est très surprenant. Il se replace avec honnêteté dans ses jeunes années, où sa vision était différente. Il semble subir les longues Messes auxquelles il est obligé d’assister, plutôt qu’avoir réellement appris à développer sa spiritualité. Il va même jusqu’à taquiner sa tante Olivia qu’il voit « obsédée par la Bible » et qui « en parle plus que Jésus en personne« .

Concernant la sexualité, avec ses premiers émois et son rapport aux filles alors qu’il est au lycée, c’est la même chose. Il ne cache pas son goût prononcé pour le sexe ainsi que son attirance pour différentes camarades. Si les expéditions avec son beau-père pour regarder des Films X dans des drive-in ne semblent pas lui avoir laissé un excellent souvenir, les formes corporelles de Debbie, Petey ou Marcie ne l’ont pas laissé de marbre. Cette sensualité, il l’évoque bien entendu aussi à travers la musique. « Une ballade réussie devrait systématiquement vous donner envie de faire l’amour » dit-il.

« Je suis musique »

Vous l’aurez compris, l’envie de partager avec vous chaque page de cet ouvrage est immense. Mais vous devez découvrir les trésors que vous réservent encore le manuscrit de Prince et l’introduction de Dan Piepenbring. Bien évidement on se met a rêver de ce qu’aurait pu être la suite. Mais ce témoignage est déjà très riche. La manière dont la musique est omniprésente dans son esprit dès les premières années témoigne de la détermination qu’il a pu avoir par la suite. L’excellence est un impératif qui arrive très tôt (cf l’épisode où il va voir le film Woodstock avec son père), et la musique qu’il écoute lui procure des émotions profondes, comme il le dit lui même à l’écoute de « Pack’d My Bags » de Chaka Khan : « l’intro au piano m’a littéralement fait planer. Je me souviens avoir tenté d’expliquer à mes copains ce que cette musique suscitait en moi, mais personne ne semblait me comprendre« . Qui mieux que nous pour le comprendre ? Combien de fois avons nous dû expliquer à nos amis ou nos proches à quel point la musique de Prince nous procurait d’incroyables émotions.

Prince voulait faire le plus grand livre écrit sur la musique. Il n’en a pas eu le temps. Mais les prémices lui laissent le bénéfice du doute. Vu l’énergie qu’il comptait y mettre, n’était-ce pas là un défi que lui seul pouvait relever ?

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