Le Dakota Jazz Club, niché au rez-de-chaussée d’un immeuble de bureau du centre-ville est un endroit qui évite le mauvais goût. On pourrait être à Londres ou à Paris. Un long balcon – ce fameux balcon où Prince, à l’abri des regards, avait ses habitudes, jusqu’aux derniers moments – encercle la scène et les tables qui lui font face. Moment volé, juste avant le début de son concert, avec Eric Leeds, le Dorian Gray du jazz-funk. Sa belle-sœur, Gwen, préposée au merchandising, joue les intermédiaires de bonne grâce. On se sert la main, je lui remets son exemplaire dédicacé du livre de Raphy, on échange quelques banalités. L’homme est élégant, affable, sympathique.

La programmation d’avant-concert donne le ton : Prince, Stevie Wonder, Rick James. Pas d’erreur, nous ne sommes pas dans un club de grass root ou de country du Midwest. Le public est majoritairement blanc, en surcharge pondérale, sur son 31 (ou du moins, l’intention est là…). L’atmosphère est avenante, plutôt chaleureuse.

Et puis soudain, les lumières se tamisent : « Ladies & Gentlement, give it up for Eric Leeds & LP Music« !!

Le premier morceau du set commence par des nappes de synthétiseurs et, au-dessus, la ligne mélodique de P. Control… Les choses semblent bien engagées. Eric Leeds, coiffé d’un petit chapeau, arrive et souffle le thème de Caravane. Le style est funk, résolument funk. Deux claviers répondent à une section rythmique solide, callée au fond du rythme. Un percussionniste venu d’Israël (tous les chemins mènent à Minneapolis faut-il croire) tricote par-dessus : The groove comes from everywhere affirme à raison Eric Leeds. Un Leeds qui n’a donc pas changé depuis 1987-1988. La même esthétique jazz-funk, ce phrasé staccato si caractéristique (celui de Madhouse et de ses deux premiers albums solo) et si maîtrisé, ce déhanchement dégingandé quand il tape ses solos… Tout est là, rien n’a changé. Les notes se détachent, claquent. Le groupe est en place, ça tourne.

Le deuxième morceau semble être tiré de ses albums solo. Ça pourrait être un outtake de N.E.W.S. également. Jazz-funk, encore et toujours. Lorsque Leeds ne souffle pas dans son saxophone ténor, il pose des accords sur un Fender Rhodes.

Le troisième morceau nous transporte sur des rivages plus 70’s, inspirés du Weather Report. Son jeu est plus libre, moins corseté. Et puis soudain Leeds accompagne le groupe avec une espèce d’improbables maracas. Comme quoi, la vie est faite de surprises…

Leeds s’arrête ensuite pour présenter ses musiciens (la liste est dans le Star Tribune de ce matin pour les plus scientifiques d’entre nous). Le P de LP Music n’est pas là (en Australie avec son frère et Mike Scott) mais les remplaçants n’ont pas à rougir. Eric explique qu’il entretient une « open musical relationship » avec Paul Peterson… On n’en saura pas plus, mais on ne sent pas de rancœur (il était prévu initialement qu’il soit de la partie).

Et puis Leeds, après avoir incité le public à passer dire bonjour à Gwendoline et à participer au crowdfunding de son prochain album avec LP, retourne à la musique, en passant par la case numérologie. Et là, donc, forcément, inévitablement… 10 de Madhouse. Plus up tempo que sur l’album. Le thème fait exploser la salle. Ça siffle, ça applaudit… Les solos sont fiévreux, tendus. Ça groove méchamment. Les funky faces contaminent les visages. Le mien en tout cas.

Après une incartade latino qui, sans être dispensable, n’apporte rien de fondamental à la soirée, un nouveau morceau fait à nouveau réagir la salle. Une pompe au Fender très « People Pleaser », agrémentée de quelques notes de la partition cuivres de It’s gonna be a beautiful night, en guise de clin d’œil élégant. L’effet est immédiat. Tout le monde hurle. On est bien. Le titre suivant est plus up tempo. Eric se déchaîne, l’hommage aux Crusaders époque Street Life est évident. Un des deux claviers enchaîne sur un solo chaleureux et aérien. Joe Sample aurait apprécié.

Eric Leeds fait ensuite mine de tirer sa révérence, non sans avoir souhaité à tous une bonne Celebration. He knows why we’re here… Mais le meilleur reste à venir.

L’encore s’appelle Pacemaker. C’est une version revisitée de Its’ gonna be a beautiful night. La rythmique est au cordeau. Leeds se détache ensuite du carcan de l’original, improvise avec ferveur, avant de laisser le reste de son groupe s’exprimer, lui se contentant de battre la mesure avec une cowbell. Le fan de SNL que je suis ne peut s’empêcher de sourire et s’imagine Christopher Walken interrompre le concert pour demander à Eric « more cowbell please« .

Le concert se termine dans une certaine allégresse, un sentiment de légèreté qui fait presque oublier l’Absent. La musique laisse la place à la séance de dédicace et de meet & great dont Leeds s’acquitte avec élégance et patience.

Le off a mis la barre très haut. Attendons le in.

Eric Fiszelson