Solennité

La journée commence de façon plus solennelle que la veille. Quatre des héritiers, Tyka, deux demi-soeurs et Alfred, sont sur le devant de la scène, accompagnés de Damaris et du responsable logistique de l’évènement, un certain Joel Weinshanker (membre de Graceland Holdings), qui semble affecté. Damaris demande aux spectateurs de se tenir la main et de respecter une minute de silence, suivie d’une minute d’applaudissements. Le deuil est encore présent, palpable. Après un rappel un peu irritant des consignes de la veille (pas de téléphone portable, on respecte le lieu, etc.), Damaris revient sur la journée du 21 avril 2016. « Il y a un an, nous avons gagné un ancêtre et un gardien. Laissez-vous aller à vos sensations. Aimez. Pleurez. Réjouissez-vous. Faites ce que vous souhaitez, mais dansez. N’arrêtez jamais de danser. Offrez quelque chose de vous à son esprit. N’arrêtez jamais de ressentir. Son héritage vivra si vous le portez en vous. Observez, enseignez, apprenez et recommencez. C’est ce qu’il faisait, c’est son héritage. » Damaris, vêtue de blanc, parle sans note. Elle est à son aise dans l’exercice. On frôle le pathos, ça a quelque chose des séminaires de développement personnel de Tony Robbins certes, mais il y a du vrai dans cette proposition qui consiste à s’inspirer des qualités de l’Absent. Une façon de sublimer le chagrin, de dépasser la tristesse.

Paisley Park, 21 janvier 2016

Présentation du deuxième extrait de concert ensuite. Pas n’importe lequel. Celui du 21 janvier 2016 joué ici, dans cette même salle. Damaris insiste sur l’importance de cette prestation, sur le fait qu’il jouait seul, à nu, « juste pour nous ». Les lumières s’éteignent. Et on s’apprête à découvrir un objet musical non identifié d’une intensité rare et d’une grande singularité.

L’écoute clandestine des bandes avait déjà donné une indication de la force de ce concert, tour de chauffe avant le Piano & Microphone Tour. Le voir ne fait que renforcer cette impression. Ce qui nous est offert, ce n’est rien de moins que son testament artistique.

Prince s’avance sur la scène et commence par faire du Prince : il cabotine. Le master teaser s’assied, frappe une note, puis se lève et fait mine de repartir. Deux fois de suite, un rictus malicieux aux lèvres. Puis il prend place, enfin. Il ajuste son tabouret et remonte le fil de sa mémoire. Car c’est à un étrange voyage dans le temps auquel nous sommes conviés. Prince se met en effet dans la peau de l’enfant de trois ans qu’il était il y a 55 ans. Un enfant à la fois terrifié et fasciné par le piano paternel qui trônait au milieu du salon familial. Mais ce souvenir, au lieu d’en parler, il le revit à hauteur d’enfant. Il se lève et se tient à distance de l’instrument. Il hésite, s’apprête à braver l’interdit paternel, fait mine de se rasseoir pour poser ses doigts sur l’ivoire et l’ébène. Mais il se ravise au dernier moment : la peur prend le dessus. « A trois ans, ça semble gigantesque un piano ». Alors Skipper, son surnom à l’époque, préfère regarder la télévision. Et c’est littéralement ce qu’il fait. Il monte sur le piano, croise les jambes et regarde, dos au public, l’écran stroboscopique qui projette des animations psychédéliques (que l’on retrouvera dans sa tournée chant du cygne (noir)). Il mime un enfant devant la télévision qui plonge la main dans un sachet de pop-corn ou de bonbons… Il se relève avec grâce et se remet au piano. La télé c’est bien, mais la radio c’est mieux. Car à la radio des DJ locaux vous font découvrir de la musique. Musique (Who’s Loving You?) qu’il réinterprète devant nous.

On se rend compte très vite que nous assistons à bien plus qu’un concert. Lui, le control freak absolu, se livre sans fard. Met en scène sa vie. Ses souvenirs. Plongée autobiographique fascinante. Improvisation sur un mode stream of consciousness ou théâtralisation mûrement réfléchie ? On penche pour la deuxième option, sans en être tout à fait certain… En tout cas, dans cette sphère intime, sa mère n’a pas de place (en a-t-elle jamais eu ?). Elle n’est même pas évoquée. Dans cette sphère, on parle du père avant tout, statue violette du Commandeur.

Tout change avec le divorce. Un divorce qui devient la pierre angulaire de son univers. Un divorce dont il parle. Il avoue être heureux de voir son père partir. Car si son père part, le piano reste. Alors ça y est, maintenant, il est pour lui. Prince grandit. Il a désormais sept ans. Il apprend seul à rejouer le thème de la série télé de Batman. Il nous montre comment, à l’oreille (parfaite), il retrouve la mélodie. Le petit Prince s’entraîne, s’applique, mais ne parvient pas encore à jouer comme son père. « Comment fait-il ? » Et là, il nous montre comment son père jouait. Un jazz aux tonalités blues. On a du mal à croire ce qui se joue devant nous.

Désormais nous dit-il, il faut composer ses propres morceaux. S’émanciper. Et en toute logique, Prince, dont la coupe afro fait écho à celle qu’il portait à ses débuts, entame alors un morceau de son premier album, Baby. Une chanson dont il décortique devant nous le processus de composition. Chercher la bonne tonalité, ajuster la progression harmonique pour qu’elle sonne mieux… Tout cela est convoqué devant nous. Rares sont les artistes (quels qu’ils soient à la réflexion) qui se sont ainsi ouverts. Prince nous explique ensuite qu’il a trouvé qui il était en créant. Qu’il s’est construit en composant, à travers la musique. Et dans ce processus, Joni Mitchell, sans être jamais nommée, est partout semble-t-il. Il finira même par jouer, comme une évidence, a Case Of You, juste après une reprise de Sometimes I Feel Like A Motherless Child qui ne doit donc rien au hasard. Comme si Joni avait remplacé Mattie, sa mère démissionnaire. Soudain il s’arrête et s’adresse au public : « j’ai le meilleur public de mélomanes du monde » (I have the best music loving supporters in the world). On le croit sans peine.

Il continue. Le falsetto est omniprésent. I Wanna Be Your Lover. Dirty Mind, pourtant banni du répertoire depuis sa conversion aux préceptes de la Tour de Garde… Il nous explique qu’il cherche constamment à créer. Un peu pour se faire aimer des filles avoue-t-il… C’est donc l’épitomé de la sensualité princière, Do me baby, qui se fait alors entendre. Ce concert n’en étant pas vraiment un, après un crochet par Something In The Water (Does Not Compute), il s’arrête à nouveau. Cette fois, pour nous parler de liberté. Pour nous dire que l’on peut choisir de dire non. Que « non » est un mot puissant lorsque l’on sait l’utiliser à bon escient. Comme une évidence, il enchaîne avec Free. Au milieu de cette balade hypnotique (on se demande d’ailleurs où est Prince depuis le début de ce concert ? Avec son public ? En lui ? Sous hypnose ? Déjà en partance pour d’autres horizons ?…), il s’interrompt brutalement, comme submergé par la douleur et l’émotion. Il veut rendre hommage à David Bowie, mort il y a moins de de deux semaines (hommage qu’il prolongera lors de sa tournée d’adieu avec une reprise de Heroes). Il ne l’avait rencontré qu’une fois mais il s’était comporté avec lui avec beaucoup d’élégance. « Il m’a semblé qu’il traitait tout le monde ainsi »…

Au vu de ces images, il est de plus en plus difficile de croire que Prince n’avait pas la conscience d’avoir atteint la dernière étape de son parcours artistique et personnel. Ce concert, cette tournée, c’est son requiem. Il reprend le piano. S’arrête encore, cette fois pour parler de l’importance de l’espace entre les notes. (On pense aux leçons de Miles Davis distillées sur ce sujet à la fin de sa vie.) « L’espace entre les notes, c’est ce qu’il y a de plus important. C’est ce qui permet de juger ce qui est funky de ce qui ne l’est pas« . Il nous le démontre en frappant quelques accords. L’air de rien, ce sont les fondements de l’esthétique musicale de Prince Rogers Nelson qui nous sont ainsi transmis. Et on se dit aussi qu’avec ce concert, on sait ce qu’il y a dans les 50 premières pages de l’autobiographie qu’il avait commencé à rédiger dans les mois précédant sa mort.

C’est The Beautiful Ones qui se fait alors entendre. Son piano est aussi un synthétiseur, et il parsème cette chanson, comme pratiquement toutes les autres, de nappes électroniques. On se dit que ces ajouts ne sont pas forcément nécessaires mais ils définissent tellement son univers sonore que l’on comprend bien la raison de leur présence. L’homme est frêle. Les plans de haut dévoilent un tout début de calvitie. Il s’arrête après le « if we got married » du quatrième couplet. Il demande « do you want to get married?«  Un « you » dont on ne sait pas trop à qui il est adressé. La réponse fuse, avec franchise plus que malice : « attention, je suis peut-être un pauvre type » (watch out, I might be a jerk)… La création et l’estime de soi… Il reprend le fil de ce morceau, si central dans sa discographie pour le clore en criant comme jamais il n’a crié. Des cris qui démontrent la force intacte de sa voix et qui débouchent sur une improvisation incroyable de richesses harmoniques. Sans le savoir peut-être, Prince convoque la musique classique post romantique du début du XXème siècle (si si, je vous assure).

Il continue avec un U’re Gonna C me plus récent (2001), qui parle d’absence et d’insomnie…. Toutes ses chansons, Prince les relie à son histoire personnelle. Dignement, sans effet irritant. Et puis, enfin, comme une apothéose, les premières notes de How Come U Don’t Call Me Anymore s’élèvent… avant de s’éteindre dans le fader le plus frustrant de l’histoire de la musique filmée…

Tout le monde est abasourdi. Damaris revient sur scène et enfonce le clou : « nous sommes saisis d’une envie que cela ne s’arrête jamais n’est-ce-pas ? » Et oui, en effet, on attend le rappel, le « encore« . C’est Damaris, l’une des dernières protégées de l’Absent, qui propose un pacte pour pallier le vide : « You are now Prince’s encore. You will be the continuation« . Dépasser le deuil, encore.

Wendy? Yes Lisa. Is the water warm enough? Yes Lisa. Shall we begin? Yes Lisa

Première table ronde de la journée : The Revolution. Jim, le journaliste de The Current déjà présent la veille, monte sur scène et nous salue. Wendy, Lisa, Brown Mark, Fink (en blouse d’hôpital) et Bobby Z lui emboîtent le pas. C’est une sensation étrange de se tenir en face d’eux. Cette Celebration, c’est aussi un Bal de têtes proustien… Ils s’installent dans des chaises de réalisateurs noires et Wendy prend la parole. Elle semble avoir mûrement réfléchi à ce qu’elle s’apprête à nous dire. Le ton est grave. Triste. Sincère. « Nous sommes encore endeuillés. Mais ici on se sent en sécurité pour en parler. Pour partager. Prince était une comète. Il avançait à toute vitesse. Nous, on s’était accrochés à lui. Tant bien que mal, pour le suivre. La comète est partie. Et nous, nous sommes de retour sur terre. » La métaphore est belle. « Ici, c’est Ground Zero« . (Là, pour le coup, le parallèle est plus hasardeux…) « Et nous sommes porteurs d’un message pour vous les fans : c’est à vous de faire vivre l’héritage qu’il nous a laissé. » La voix est tendue, proche de la rupture. Le regard perdu dans le vague. L’émotion non feinte.

La première question vient troubler ce moment de recueillement, tant il semble évident que ces quatre jours sont avant tout un exercice de thérapie collective.

Comment tout cela a-t-il commencé ?

C’est Bobby Z qui commence. Il était là depuis le début, aux côtés de son frère David, lorsque Prince enregistrait ses premières démos dans un studio de Minneapolis. « Jusqu’alors, il jouait avec ses copains de lycée. Il voulait ouvrir le spectre et m’a demandé d’aller chercher du sang neuf. » Matt Fink confirme. « C’est Bobby l’agrégateur de The Revolution. C’est lui qui a repéré Brown Mark. » Le Docteur digresse : « nous l’aimions tous vraiment. On se souciait vraiment de lui, sans lui servir la soupe. Il nous respectait et nous avait surnommé le Mont Rushmore. » Le journaliste remonte le fil des étapes-clés de l’histoire du groupe. La pochette de 1999, premier signe officiel de son existence. La genèse du film, ensuite. Lisa prend alors la parole. « C’est le réalisateur – Albert Magnoli – qui a fait de ce film un film à succès ; sans lui, il ne serait sans doute resté qu’un film culte. C’est lui qui a pressenti qu’il pourrait en être autrement. Il a réussi à nous cornaquer à cette fin. » Lisa continue et explique que ce succès est aussi dû au fait qu’ils étaient un « vrai groupe ». Et que la rivalité qui les opposait à The Time était bien réelle. Rien que l’on ne savait pas déjà…

Brown Mark, lui, était sceptique sur les chances de réussite de l’entreprise. « On jouait comme des chèvres. Même les cours que la production nous a fait prendre n’ont pas aidé…! Mais grâce à cela, nous sommes devenus des personnages de fiction. Un peu comme Star Wars. Moi, j’étais Chewie. » Et Wendy d’enchainer : « et Lisa et moi on était les pains aux raisins de Princesse Leia ». L’atmosphère se détend un peu.

Dentelles

La question suivante porte sur l’esthétique visuelle du film et les costumes du groupe. Nos quinquas oublieront de mentionner Marie-France, la costumière française de Prince. Le style des costumes, Wendy le définit grâce à une formule amusante : « c’était la rencontre de la Révolution française et de Victoria’s Secret ». Bien vu. Wendy, décidemment en verve, élabore : « Prince avait le chic pour sentir les tendances et la mode ; c’était la fin de la période des Nouveaux Romantiques, avec des groupes comme Visage ou Siouxsie & the Banshees. Et quand on se penche sur une chanson comme Annie Christian, on se rend compte que Prince a réussi à marier le punk et la new wave pour en faire quelque chose de beau. Purple Rain vient de là. Vous ajoutez du funk à cet hybride, et vous obtenez Purple Rain. Et ça c’est la vision de Prince. C’est lui qui l’a créée. On a compris tout de suite ce qu’il voulait. Et on l’a suivi. Ce sens de l’hybridation chez Prince, on le retrouve aussi dans le creuset qu’était The Revolution : des blancs et des noirs, des femmes et des hommes, des hétéros et des gays, des chrétiens et des juifs. Cette vision, on lui a donné l’espace et les moyens pour qu’il puisse la distiller ». Tous les musiciens ne parviendront pas, dans les panels suivants, à parler de leur parcours avec autant d’intérêt et de justesse.

Jim pose une autre question qui transforme définitivement ce panel en un panel « Purple Rain » : « quand avez-vous vu le film pour la dernière fois ? »

C’est à nouveau Wendy qui s’y colle. « C’était à LA, l’été dernier. Questlove m’avait proposé d’aller assister à la projection annuelle du film dans le cadre du festival de cinéma en plein air de Cinespia, dans le Hollywood Forever Cemetary où est enterré Douglas Fairbanks Jr. Je ne voulais pas, mais il m’a convaincu. Il y avait 10 mille personnes, c’était dingue, une ambiance à la Rocky Horror Picture Show. » Wendy poursuit en avouant que si les scènes de concert n’ont pas pris une ride, le reste du film en revanche, est daté. « Si je prends le point de vue d’une sociologue du cinéma, c’est compliqué… Il y a beaucoup de scènes très misogynes qui posent problème aujourd’hui. Donc c’est mitigé. Fantastique par certains côtés, terribles par d’autres »… On ne saurait lui donner complètement tort…

C’est le Vault qui est ensuite abordé, trop brièvement. « Oui », confesse Bobby Z, « la production de l’époque est pléthorique. Around The World In A Day a été enregistré avant même le début de la tournée Purple Rain. Prince est selon moi le musicien le plus prolifique de l’histoire de la musique. Comme Mozart, on continuera à le commémorer dans 200 ans. » Il n’est pas sûr que tous les historiens de la musique classique se rangent à cet avis. Pour ce qui concerne le XXème siècle en revanche, avec Zappa, c’est sans doute en effet le cas.

Jim finit par une question sur la vie privée de Prince. Sur le Prince des coulisses. Lisa s’apprête à prendre la parole mais Fink l’interrompt. Après une partie de « après toi, non, je n’en ferais rien, non sérieux, vas-y, vous en êtes un autre » arbitrée par Wendy, c’est Lisa qui prend la parole. C’est la plus légitime, car elle a vécu avec Prince. La première révélation n’est pas transcendante : il aimait les sandwiches aux œufs frits et au fromage grillé et il avait beaucoup d’humour (l’un n’ayant a priori rien à voir avec l’autre). Mais Lisa continue : tous les deux étaient très timides, ce qui ne facilitait pas les choses. Un jour, vers la fin de leur cohabitation, Prince avait fait comprendre à Lisa qu’il était temps qu’elle déménage. Elle le prit mal et claqua la porte. Elle revint deux heures plus tard à la demande du technicien de Prince qui avait réussi à la retrouver dans un bar où elle avait ses habitudes. Prince lui demande juste de la suivre au sous-sol, là où leur home studio était installé. Deux heures. Le temps qu’il fallut à Prince pour composer et enregistrer Strange Way Of Saying I Love U, pour elle. L’anecdote est connue mais sans doute pas de tous ceux présents.

« Prince n’aimait pas trop parler au début » continue-t-elle. « Et quand il parlait c’était souvent au moyen de métaphores, de paraboles souvent cryptiques. Mais musicalement c’était autre chose. Il avait la faculté d’exprimer toutes ses émotions à travers la musique. Il n’hésitait pas à dévoiler ainsi sa vulnérabilité. Toutes ses vulnérabilités. »

Fink lui s’attarde sur le penchant de Prince pour les blagues. Quand ils voyageaient en avion, Fink était chargé de faire croire au personnel de bord qu’il avait envie de vomir. C’était leur « fake throw up routine« . Il demandait un sac. Faisait semblant de le remplir très bruyamment et d’en demander un second, que l’hôtesse ou le steward se précipitait d’aller chercher à l’autre bout de l’appareil, sous les hurlements de rire de Prince… Et puis il y eu également l’incident du porte-voix. C’était en 79 ou 80. Les deux sont dans un avion. Avant le décollage, Prince convainc Fink de voler l’hygiaphone de sécurité qui est accroché dans un des compartiments hauts de l’avion. Fink s’exécute. Mais le porte-voix ne rentre pas dans son sac. « Essaye avec le sac de Dez » l’enjoint Prince. Fink y parvient. Quelques secondes après, le pilote prend le micro. « Mesdames et Messieurs, nous avons été victimes d’un vol d’un objet appartenant au gouvernement fédéral. Nous allons devoir stationner sur le tarmac jusqu’à l’arrivée de la police. » Prince se dénonce… Fink et lui passeront la nuit en prison à Memphis et furent bannis à jamais de cette compagnie aérienne. Prince trouva tout cela hilarant. Fink, moins. Ils durent affréter en urgence un jet privé pour se rendre au concert qui avait lieu le soir même. Et, clin d’œil à cette histoire rajoute Wendy, on retrouve la trace de l’hygiaphone dans In All My Dreams, utilisé par Prince pour la mélodie principale de la chanson.

C’est sur cette tranche de vie insouciante que se termine la table ronde qui n’en est pas une, les fans se précipitant sur le devant de la scène pour faire signer leurs livres, carnets ou albums vinyles.

L’iconographie princière

Il échoit à trois photographes d’évoquer le rapport que Prince entretenait avec son image : Randee St Nicholas, Steve Park et Afshin Shahidi. On y apprendra que Prince exigeait que ses photographes personnels se tiennent prêts, à sa disposition et à tout moment pour le prendre en photo. Que Randee St Nicholas fut chargée de la réalisation du clip de Get Off alors qu’elle n’avait jamais réalisé le moindre clip vidéo ou film auparavant. Que Steve Park était illustrateur et non pas photographe. Que Prince contrôlait son image et la lumière que ses photographes utilisaient avec une minutie rare. Que Prince était drôle. Qu’il partit en vacances avec Afshin et ses enfants à Hawaï pour pouvoir être pris en photo quand il le voulait. Qu’ils sont allé faire des courses chez le primeur ensemble. Que tout cela était irréel. Qu’il imposait sans cesse sa vision des choses. Mais surtout, plus que tout, les trois insistent sur le fait que Prince les poussaient en permanence en dehors de leur zone de confort. Qu’ils se sont tous les trois dépassés professionnellement grâce à l’exigence, la confiance et la vision de leur employeur. Leurs propos sont illustrés par des photographies qu’ils commentent et remettent dans leur contexte. La table ronde se conclue par une remarque définitive de la part de Randee : il avait les plus belles fesses du monde. Une anglaise décatie, la voix cassée par la clope, approuve vivement d’un « YES! » si enthousiaste que toute la salle en rit. Une fois encore, la capacité qu’avait Prince à transformer les gens qui travaillaient pour lui se révèle être l’élément clé, le dénominateur commun de ces panels.

Ladies and gentlemen, please welcome…The Revolution

La journée s’achève avec le concert de The Revolution, épaulés par un guitariste rythmique (Ron Bacon) si discret qu’il ne sera même pas présenté. Sur certains morceaux (ceux que Wendy ne peut chanter), ils seront accompagnés par Stokley Williams de Mint Condition. Susannah, la sœur jumelle de Wendy, assure les cœurs.

Wendy commence par dire qu’il est temps de faire venir l’esprit de Prince dans la salle. Salle dans laquelle le groupe joue pour la première fois.

Computer Blue et son dialogue mythique entre Lisa et Wendy ouvre le bal violet. L’énergie est là, la salle est saisie par l’émotion. Le son et les arrangements sont très proches de ceux de la tournée de 85. Sur le solo de la fin, c’est le guitariste qui est à genoux devant Wendy. 30 ans ont passé. Les rôles sont inversés.

America, ensuite, chanson qui est « très importante en ce moment » nous dit à raison Wendy, décidément porte-parole et front person du groupe. Fink tape un solo d’orgue du plus bel effet à la fin de ce titre. Susannah, d’une élégance infinie, rejoint le groupe sur scène pour Mountains, qui déclenche l’hystérie (« c’est votre chanson » dit alors Wendy). Après un rapide détour par Take Me With U, le public s’apprête à vivre un instant magique. « Wendy, tu te souviens de ces chansons ? » demande Lisa. Wendy répond : « voyons voir »… Et là… deux inédits, jamais rejoués depuis le fameux concert anniversaire de juin 1984 au First Avenue : Our Destiny et Roadhouse Garden. Effarement du public, aux anges.

Avec Raspberry Beret, Wendy se réapproprie avec malice les paroles de cette chanson d’amour dédiée à une mystérieuse fille au béret. Elle n’essaie pas de singer Prince. Elle imprime sa marque à ce titre qui lui va bien. C’est fluide, serein.

©Steve Parke

Sur Erotic City, c’est Stokley qui mène la dance avec Brown Mark. Le tempo est un peu plus lourd que l’original. Ça groove moins, c’est un tantinet poussif, mais ça marche tout de même.

Après une courte incursion sur le terrain de l’album 1999 (All The Critics Love U in NY), c’est Let’s Work qui nous est offert. Le timbre très RnB/New Jack de Stokley fonctionne plutôt bien sur ce titre. Le morceau se finit par un méchant solo de Brown Mark. Nasty groove résume Wendy.

1999 explose ensuite dans la salle, avant Paisley Park. « Il a construit cet endroit en raison de cette chanson, alors il faut que vous la chantiez avec nous » demande Wendy.

Retour à un funk plus robotique ensuite avec Controversy. C’est jouissif.

Les musiciens s’arrêtent un instant ensuite. Seules Wendy et Lisa restent en scène. « Il est donc mort il y a un an. La prochaine chanson, nous l’avons écrite ensemble au Sunset Studio le 21 avril 1985… Je ne sais pas si on va arriver à la chanter. Ça va être difficile mais on le lui doit. Sur une Fender acoustique, Wendy décompose les accords de Sometimes It Snows In April un à un en les jouant en arpèges. Puis le thème s’avance, empli de tristesse. C’est lacrymal. Wendy tient le choc. C’est poignant mais les deux complices ne s’attardent pas. Let’s Go Crazy rallume les ardeurs de la salle. Le solo de la fin est mis de côté. C’est sans doute mieux ainsi.

Et puis, en guise de bouquet final, Purple Rain, I would Die 4 U et Baby I’m A Star. Imparables. Lacrymal. Festif. En place.

Alors oui, évidemment c’est doux amer. C’est étrange d’écouter ces chansons hors de sa présence. Mais c’est surtout émouvant et respectueux. Tout le monde sort de la salle sous le choc. On ne parle que de Roadhouse Garden et Our Destiny, ultimes cadeaux offerts aux fans qui pendant des années se sont abreuvés de ces chansons clandestines…

Eric Fiszelson