Voilà un peu plus de 48 h que HitNRun est sorti.

Tenter d’écrire sur un album de Prince en 2015, 48 h après sa sortie semble une éternité, limite un réveil tardif après que la tempête soit déjà passée.

Il y a 15 ans, se prononcer après à peine 4 ou 5 écoutes était la certitude de dire n’importe quoi. Souvenons-nous de combien de critiques professionnels sont passés à côté de Lovesexy, Batman, ou Parade, à leur sortie.

Alors ça y est HITNRUN est disponible, sur une plateforme de streaming, TIDAL, et pas dans une boutique « comme au bon vieux temps ». Cela semble contrarier pas mal de fans, pourtant dès les prémices d’internet, Prince, novateur à l’époque disait-on, fit une première tentative pour diffuser sa musique avec les singles Slave et New World (en prémices de ce qu’il fera ensuite avec Crystal Ball ou C-Note) . Si vous lisez ces lignes c’est que vous connaissez suffisamment bien le bonhomme pour que je vous évite l’historique de la relation d’amour/haine qu’il entretient avec le web : du NPG Music club (critiqué à l’époque, regretté et encensé aujourd’hui), aux fermetures de sites (officiels ou non), en passant par des propagations chaotiques de MP3 ou de vidéos ci et là. Toujours est-il que ce « ringard de Prince », choisit une fois encore d’être dans son temps ! Pour la 4e fois de sa carrière le disque est « offert » avant d’être vendu. Planet Earth et Musicology furent « donnés » aux détenteurs de billet de concert, 20ten joint à un journal, et voilà que HITNRUN est disponible pour les abonnés de Tidal (donc compris dans leur souscription), ou pour les nouveaux entrants qui bénéficient d’un mois offert.

Détestation ou fascination immédiate

Moins de 37 minutes après sa mise à disposition (donc avant même la fin de l’écoute pour quelques fans des réseaux sociaux plus que de musique), la tempête a débuté entre ceux qui vomissaient tout en s’arrachant les oreilles sur FALLINLOVE2NITE, tandis que d’autres s’époumonaient à déjà crier au génie parce que Prince se mettait à sonner comme Rihanna ou Katy Perry…

Ce qui est intéressant c’est que nous comparons les œuvres Princières sans les replacer dans leur époque, alors que contrairement à ce qu’on pense souvent, Prince par son rapport totalement stratosphérique à ce qui se déroule dans le monde où il vit, est en fait assez intelligent pour savoir exactement ce qui se passe, et comment nous allons réagir.

Prince a toujours jonglé entre des projets où il se faisait plaisir seul dans son coin, et d’autres où il arrivait en chef de bande pour bouffer le monde, ou simplement « nous donner une leçon ». Les périodes où il cherchait à conquérir la planète avec The Revolution, NPG (version Michael B / Sonny T / Hayes / Barbarella), ou le ONA Tour, et son groupe « so tight », allaient clairement dans cette direction, et les albums qu’ils défendaient à l’époque collaient bien à cette attitude, même s’il était parfois seul en studio. Résultat : des disques qui font partie de son panthéon, et des incontournables qui structurent la colonne vertébrale de sa discographie et de ses plus importantes prestations scéniques.

Et puis en parallèle, il se faisait plaisir avec plus ou moins de bon goût, passant d’une pop « insipide et FM » (Planet Earth), à du jazz « plus ou moins inspiré » (N.E.W.S.), ou des albums composés de titres éparses (Chocolate Invasion / The Slaughterhouse). A chaque fois ces albums ont divisé, ont été conspués à leur sortie « ne correspondant pas à l’attente » de son public hardcore, mais au final se révèlent maintenant comme tenant la route sur la durée pour la plupart d’entre eux.

Je ne peux pas croire un instant que vous qui attribuez du temps à ces lignes, ayez été séduits instantanément par Parade, Sign O’ The Times, Lovesexy, Batman, mais aussi Exodus, Emancipation, ou Chocolate Invasion dès la première écoute. Pour ma part, alors que j’étais confortablement installé dans le son de Purple Rain et d’Around The World in a Day, je n’ai pas pu dépasser le 3e titre de Parade : une fanfare, une chanson sans mélodie basée sur un son de cloche répétitif, puis un bidule tout mou où il chante à peine, c’était bien suffisant pour juger, rejeter, et ranger définitivement cet incontournable chef d’œuvre. Seulement avec Prince même quand ça déplait il y a un gout de « reviens-y ». De tout temps, nous sommes revenus sur ses disques, immédiatement ou des années après. Les mauvaises langues appellent cela du bourrage de crâne, la méthode Coué, ou la mauvaise foi. Je crois qu’au contraire, Prince, même dans ses pires moments, propose une œuvre qui demande qu’on s’y attarde. On peut bien entendu ne pas être sensible à certaines périodes, à certains choix, à certains sons. C’est indiscutable. Mais au final, même les moins bons albums, restent maitrisés par son auteur.

C’est la faute à…

Joshua Weldon à la production, est, pour beaucoup pointé du doigt comme le responsable de ce « misérable disque ». Je pense que c’est lui donner beaucoup d’importance. Il est clair qu’on ne fait plus de la musique aujourd’hui comme on la faisait il y a 20 ans. Dire que « c’est un gamin qui ne joue d’aucun instrument mais qui sait utiliser une banque d’effets », est pratiquement la définition de tout ce qui se vend aujourd’hui, non ? Le songwriting passe derrière, au profit d’une relative efficacité qui n’a pour but que de faire danser, ou « passer un bon moment dans les transports ». Qui considère encore qu’un disque est une œuvre qui mérite qu’on s’arrête comme pour regarder un film ou lire un roman ? Qui considère encore que la musique nécessite plus de deux écoutes pour savoir si « ça plait » ? Quelques quadras, dont je fais partie, qui ont volontairement souhaité accorder un rapport privilégié à la musique dans leur vie, mais majoritairement la musique se consomme, ne s’achète quasiment plus physiquement, et se retrouve entassée sur des plateformes colossales pour un abonnement mensuel au prix d’un paquet de cigarettes. Mais cette critique sur « le mode de production » n’est-elle pas la même à chaque grand changement ? Quand Prince a monté Paisley Park, il a voulu que le studio soit au top de la technologie, avec ce qui dans ces années-là, était à la pointe de l’innovation. Eric Leeds raconte que quand Prince a reçu sa console 48 pistes au moment de Lovesexy, il lui a fait écouter l’album qui utilisait alors 24 pistes. Leeds aurait congratulé l’artiste pour le résultat, trouvant cela très abouti, mais Prince fut surpris, et lui annonça qu’il avait encore du travail et qu’il devait utiliser la totalité de la table. Eric lui demanda pourquoi ? Et Prince répondit « mais parce qu’il reste 24 pistes disponibles, voyons ». Comme quoi, en d’autres temps, l’utilisation de « la machine moderne » au détriment des « techniques passées » n’a pas produit que des erreurs.

Prince un ringard moderne ?

On peut lire ci et là que Prince cherche à séduire les jeunes avec cet album, et je pense très sincèrement que c’est là où nous nous trompons. Considérer que le son d’aujourd’hui est le son « des jeunes », c’est volontairement s’exclure et considérer que la musique des jeunes (donc la musique actuelle) n’a aucune valeur et que « c’était mieux avant ». Il m’arrive de rejoindre cet avis, mais dans le cas de HITNRUN qui se trompe vraiment ? Prince qui continue d’évoluer en décidant de ne pas se copier et d’exister dans cette époque, où nous qui n’acceptons pas qu’il nous chahute, qu’il nous mène justement là où nous refusons d’aller, c’est-à-dire dans la musique d’aujourd’hui ?

Je n’ai bien sûr pas la réponse puisque j’oscille entre les deux, mais je m’interroge. Je suis heureux de suivre un artiste qui cherche encore à faire de nouvelles propositions, et qui me force, un peu, à faire l’effort d’écouter des sonorités que « naturellement » je rejette chez les gros vendeurs contemporains (de Rihanna à Daft Punk en passant par Katy Perry ou les tentatives du même acabit de Madonna)

Une cuvée 2015 qui ne délaisse pas la fanbase

Contrairement à ce que disent beaucoup de fans je ne pense pas que Prince soit fou, bien au contraire. Je crois même qu’en filigrane il nous parle dans ce disque. Et que cet album possède un double discours dont un directement orienté vers ses fans les plus hardcores (donc les plus critiques, râleurs, ronchons, insatisfaits et bien entendu, de mauvaise foi)

Je ne me lancerai pas dans une chronique détaillée de chaque titre, puisque comme je le disais en introduction, à l’ère d’internet c’est déjà trop tard, et cet article est déjà vieux puisqu’il est publié après que des milliers d’auditeurs se soient déjà prononcés sur les réseaux sociaux. Mais je souhaite m’attarder sur l’intro et la fin de ce disque.

HITNRUN débute avec un clin d’œil plus qu’appuyé à ce que les fans vont immédiatement savoir identifier. C’est à la fois une intro qui ressemble à celle des grands concerts « Best Of » donnés ces dernières années, mais aussi l’enchainement de 3 titres qui ne sont pas anodins : For You (le premier album), 1999 (hit interplanétaire), Let’s Go Crazy (qui ouvre son opus le plus iconique : Purple Rain). Donc par ce biais il s’affirme comme étant Prince (celui des grandes années), puis décide de rompre brutalement avec cela, car « ce coup-ci », ce ne sera pas la musique du passé, mais bien celle qu’il a envie de faire aujourd’hui avec ses « amies du moment » comme Judith Hill. Million $ Show est tout de même une magnifique pirouette de l’artiste, quand on sait que c’est le cachet officiel qu’il demande. Pour quelqu’un qui manque d’autodérision je trouve osé de commencer ainsi.

Je passe sur le reste de l’album, pour aller directement à la fin. Pendant une trentaine de minutes Prince nous a malmenés, chahutés, amusés, il s’est amusé, nous a fait danser (ou, une fois encore, vomir pour certains qui se sont exprimés sur Facebook ou le forum). Il sait qu’une grande partie de son public historique va rejeter ce disque, et peut être s’en amuse-t-il. Puis arrive le dernier titre, et tout rentre dans l’ordre. JUNE est un ovni dans HITNRUN. Un titre étonnamment calme, plein de sobriété, où Prince nous donne ce que nous attendons : sa voix en avant, et bien moins manipulée que sur le reste du disque, une ballade comme il en a le secret, une mélodie moins évidente, et des repères dont il faudra plusieurs écoutes pour en comprendre les contours. JUNE, un mois si important chez les fans même si notre témoin de Jéhovah préféré a choisi de ne plus rien fêter à cette période. Prince sait donc encore faire du Prince. Un peu comme dans New Power Soul, où dans un délire foutraque, affublé d’une pochette ridicule, d’une intro en autocitation, et de quelques titres honteux, il concluait avec un somptueux Wasted Kisses… Comme quoi, HITNRUN n’est pas une première.

Pour conclure, je ne vais pas conclure, car si je devais faire une conclusion, elle ne pourrait être écrite que dans quelques années. Quand nous verrons ce disque a l’intérieure d’une discographie gigantesque, qui s’est construite sur des chefs d’œuvres pour ensuite s’agrémenter de tentatives, de caprices et de « side-projects ». Quelle place tiendra HITNRUN là-dedans, y aura-t-il une phase 2 qui donnera un sens différent à cet album, va-t-il, comme il y a un an, lui associer un faux jumeau avec ses 3rd Eye Girl, aurons-nous oublié ce disque dans 6 mois, ou serons nous à genoux s’il se met à chanter Shut This Down, X’s Face, Hardrocklover au prochain concert, ou dans 5 ans ? Comme toujours, et c’est bien là que notre homme est constant, c’est l’avenir qui nous le dira.

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Note : pour ceux qui apprécient les chroniques classiques voici une rapide « revue de presse »